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    11/05/2018

    Un chapitre tiré du livre Gribouillages de Rachid Sguini

    Souvenir de mes vacances au bled

    Par Rachid Sguini

    Rachid Sguini, aka Rakidd, est d'origine marocaine. Dans ce chapitre tiré de son nouveau livre Gribouillages, sorte de journal intime, il raconte le voyage entre ses deux pays et ses deux identités.

    12 juillet 1998

    Les vacances d’été ont commencé depuis deux semaines. L’année a filé à toute vitesse.

    Aujourd’hui, on part pour le Maroc : 2 jours et demi de route à 7 dans une Renault 21 Nevada blanche sans clim.

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    La voiture est surchargée. On a des bagages jusqu’à nos pieds. Pour rentrer tout ça, mes parents font preuve d’une inventivité incroyable. J’ai l’impression de les voir jouer à Tetris grandeur nature. Avec un large sourire, je chantonne l’air du jeu pendant que mon père finit de fixer le porte-bagages sur le toit de la voiture. Il fait 30 degrés et on est déjà tous un peu sonnés par la chaleur.

    La voiture démarre. On s’éloigne de la rue Grenouillit. Puis on sort du quartier du Marché Couvert. On traverse les rues de la ville déserte. Il n’y a que quelques garçons de café qui ici ou là préparent leur terrasse pour le grand match.

    Mon père a préparé toute une playlist pour ne pas s’endormir : Rouicha et une pléthore de chanteurs chleuhs vont nous ambiancer.

    La boîte à gants est remplie de K7 de musique chelha parce que oui, on n’est pas arabes mais amazighs. C’est une nuance importante là d’où viennent mes parents.

    Pour ma part, j’ai pris de quoi dessiner sur le trajet, mais les virages de l’Ardèche et de l’Aveyron ne me laisseront pas tranquille. J’ai passé le trajet à vomir. Ensuite, arrive le désert espagnol. Je pensais d’ailleurs jusqu’à mes 11 ou 12 ans que l’Espagne n’était composée que d’autoroutes et de désert. J’avais trop de compassion pour ce peuple : « Ça doit être dur de vivre ici. » Cette croyance m’effrayait d’autant plus que ma mère me menaçait régulièrement de me laisser sur une aire de repos espagnole si je n’étais pas sage dans la voiture.

    Le soir même, on arrive à la frontière espagnole. Je le sais car j’aperçois toujours ce drôle de monument : une sorte de pyramide aztèque plantée là. On dirait un décor de Stargate oublié.

    Au revoir la France, on se revoit dans deux mois.

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    On s’arrête sur une aire de repos. Ma mère sort de la glacière un « douaz » préparé en amont. Elle cuisine tous les repas minutieusement. Il n’y a pas de petites économies.

    Dans un petit bar, ils diffusent la finale de la coupe du monde de football. Mon frère s’est précipité pour regarder. Quand il est revenu après que l’on ait fait le plein d’essence, il a hurlé : « Y a déjà 2-0 pour la France ! » On ne l’a pas cru et on a repris notre route.

    13 juillet 1998

    On attend le ferry, avec des centaines de voitures. Ça peut durer 2, 3 voire 10 heures. On est mélangés à d’autres familles à bout de force, tout comme nous. En plus de devoir supporter l’attente dans la voiture, on doit remplir des papiers, encore et encore. Le soleil nous tue. On ne bronze pas, on cuit. Après moulte contrôles et dans une mécanique bien huilée, on nous fait entrer dans le ferry.

    Juste avant de monter, des missionnaires nous donnent des cassettes vidéo et des BD sur la vie de Jésus. On peut y lire des passages bibliques illustrés. C’est ma petite pause BD. Cette fois, c’est l’histoire de la Saint Lance. Je ne comprends pas vraiment. C’est l’histoire d’un soldat romain qui, avec sa lance, perce le flanc du Christ. Et visiblement, le bout de son arme ne cesse jamais de saigner. Pas vraiment pratique. Ça doit tacher.

    On doit cacher ça à la douane, ma mère me dit que c’est illégal de les faire entrer au Maroc. Mais on garde quand même les VHS pour réenregistrer dessus. THUG LIFE.

    Quand je dis « ferry », vous pensez sûrement à ces bateaux où l’on prend un verre pour se détendre, où les enfants jouent dans les aires de jeux et où l’on peut manger un morceau. FOUTAISES. Un ferry qui traverse Gibraltar c’est un souk. Les pères qui ont conduit 20 heures à la suite dorment n’importe où : sur les banquettes ou au sol ; les mères changent leurs marmots là où elles peuvent, les toilettes sont réservées à ceux qui ont le mal de mer. On passe aussi la moitié du temps à faire la queue pour se faire tamponner notre passeport. Au retour, certains prendront des cigarettes à bas prix.

    Cet enfer se termine enfin lorsque j’aperçois au loin les côtes marocaines.

    Mon Dieu que c’est beau ! Je suis euphorique ! Je touche du regard ce pays qui est le mien, sans l’être vraiment. Les gens sur le bateau, jusque-là très agités, se taisent et admirent le spectacle. Les lumières de Tanger scintillent. Notre ferry ralentit comme pour nous laisser admirer ce beau pays. Les passagers ont fait des milliers de kilomètres en voiture sous un soleil de plomb. Mais en une seconde, ils oublient tout ce chemin de croix. L’air s’est légèrement rafraîchi en cette fin d’après-midi.

    Nous voilà au Maroc ! On sort directement dans le centre de Tanger et comme chaque année, je suis frappé par la misère qui me saute soudainement aux yeux. En France, je pensais être « pauvre », mais en réalité je suis un petit gamin gâté. Les enfants ici mendient. Je ne m’y fais toujours pas, pourtant chaque année c’est la même chose.

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    On se gare quelques minutes devant un « hanout ». Mon père achète quelques bouteilles de Sidi Ali. Je vois sur la façade du petit commerce une énorme publicité de La vache qui rit. Ici c’est une institution, tout le monde en mange. Constamment. On repart. Mon père a hâte de quitter le brouhaha de Tanger. Je n’ai jamais aimé cette ville moi non plus.

    Dans quelques kilomètres, on pourra déguster de la bonne viande à Larache. Une petite ville qui a les meilleurs restaurants de grillades au monde. Une bouteille en verre de Coca Cola ou d’Hawaï, un plat de kefta grillé saupoudré de cumin : les vacances ne peuvent pas commencer autrement.

    On arrive enfin chez nous, dans cette maison que je n’ai jamais vraiment aimée. D’abord parce qu’elle n’est pas dans le bon quartier de la ville mais à proximité d’un cimetière. Et surtout, elle grouille de blattes, ou comme ils disent ici, de « sarakzites », autrement dit, des « voleurs d’huile ». Comme si elles n’étaient pas assez monstrueuses, elles volent ! Mon Dieu ! Ce bruit horrible quand elles volaient. Un horrible hélicoptère qui effectuait un balai dansant. Je ne m’y suis jamais habitué. Ma hantise était d’en croiser derrière une porte.

    25 juillet 1998

    La France commence à me manquer. Je me demande ce que font mes amis, s’il pleut ou pas.

    1er août 1998

    Je regarde Captain Majid tous les matins, c’est la version arabe d’Olive et Tom. J’aime bien les dessins animés ici. Ils sont plus variés.

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    15 août 1998

    Je n’ai pas dessiné une seule fois. Ici je n’ai pas envie. Je préfère profiter du paysage, de l’ambiance.

    Ce pays est plein de couleurs, c’est impressionnant. J’aime tout particulièrement les capsules de soda Hawaï, Fanta, Judor, Coca ou Pom’s incrustées dans le goudron à cause des fortes chaleurs.

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    22 août 1998

    C’est le jour du retour. Comme à chaque fois j’ai la gorge nouée. Je suis toujours à deux doigts de pleurer mais bon « un garçon ça ne pleure pas ». Mon oncle nous offre quelques pains de sa boulangerie. L’air est frais. Il fait gris. J’ai passé presque deux mois dans cette fournaise où la température frôle les 50 degrés, mais aujourd’hui il fait gris, on sent même quelques gouttes. J’aime me dire que le Maroc est triste que je parte.

    23 août 1998

    On compte les taureaux que l’on voit sur les routes d’Espagne. Ils sont si majestueux. J’ai l’impression qu’ils veillent sur nous.

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    Il paraît que des gens font ce trajet en avion. 2 heures au lieu de 2 jours. C’est de la science-fiction. Ce trajet est horrible, mais pour moi c’est un rite.

    24 août 1998

    On vient de passer la frontière espagnole. Je suis en France. C’est pile à ce moment que je me sens le plus français. L’air est doux, ça sent bon et autour de moi, de la verdure à perte de vue. J’aime cette verdure ! Je savoure cette pureté. On était loin des paysages jaunâtres espagnols…

    J’entends des gens parler ma langue natale. Je respire profondément. Je me sens appartenir à ce pays qui m’a tant manqué. Puis brutalement, je me souviens que je ne suis « qu’un Arabe » pour eux. Mon cœur est pincé une seconde, puis je me suis dit : « Bof, tant pis. »

    Là-bas, je suis français ou « vacancier », ici je suis un Arabe. C’est à l’époque du « Black, Blanc, Beur » que je réalise que je n’ai pas vraiment de pays.

    Et je n’en ai absolument rien à faire ! Je profite des bonnes choses que peuvent m’apporter ces deux pays. Je les aime autant l’un que l’autre. Mais je ne comprends pas mes amis qui ont besoin de se revendiquer d’un seul pays. Ils ne réalisent donc pas que l’on peut être libre d’être ce que l’on veut ? Ni vraiment français ni vraiment marocain. On est autre chose. Une nouvelle identité dont il faut être fier. Appartenir moralement à une nation les rassure sûrement. Ils ne sont pas seuls. Ils marchent en troupeau. Avec la meute. Enfin je crois.

    Le cœur du déraciné et de celui qui recherche une terre est comme la Sainte Lance : il saigne sans interruption. J’ai décidé que ça ne serait pas mon cas.

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    Le chewing-gum Flash, le goût ne dure que quelques secondes. D’où son nom. Je crois. / Crédits : Rachid Sguini

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