Mon fils Sofiane s’est fait opérer de l’estomac en octobre 2016. Une sleeve [une technique de chirurgie bariatrique qui consiste à retirer les deux tiers gauche de l’estomac. On estime qu’il existe une chance sur 500 d’en mourir, ndlr]. Il venait d’avoir 18 ans et pesait 158 kilos pour 1m87. Ni sa mère ni moi ne connaissions les risques d’une réduction de l’estomac. Jamais nous ne l’aurions laissé faire si nous avions été informés correctement.
Comme beaucoup d’étudiants, Sofiane ne mangeait pas forcément très équilibré. L’embonpoint ne le dérangeait pas plus que ça. Il allait à la piscine ou n’importe où. Mais nous lui avons tous fait des remarques : « fais du sport », « fais attention », « Sofiane, perd du poids ». Un jour, de lui-même, il est allé voir un chirurgien. Avec du recul, je me demande s’il n’est pas passé sur le billard pour nous. Peut-être prêtait-il plus attention à son poids qu’il ne le montrait.
Rien n’est allé comme prévu
Après quatre jours à la clinique de Montpellier (34), Sofiane est rentré chez sa mère (nous sommes divorcés). Les médecins lui ont dit de ne manger que des pots mixés ou des yaourts. Ce qu’il a respecté à la lettre. En apparence, l’opération s’était bien passée. Mais très vite, des douleurs abdominales sont apparues.
(img) Sofiane
Une des agrafes de sa cicatrice à l’estomac avait sauté, ce qui a entraîné une grave infection. Sur un côté de l’estomac, la bile, acide, a dégouliné dans son corps. On m’a dit : « Imaginez qu’on ait versé de l’acide dans tout le ventre de votre fils ». Durant une seconde opération en urgence, Sofiane a fait un arrêt cardiaque. Son cœur est reparti. Pas sa tête. Il est resté dans le coma.
Il était sous respiration artificielle car les poumons avaient été touchés. Le sang avait été infecté et passait perpétuellement dans une machine pour être lavé. Jamais les chirurgiens n’avaient eu un cas comme celui-là.
Pendant 48 heures, le pronostic vital de mon fils était engagé. J’ai passé la nuit à prier pour qu’il s’en sorte. Il est resté dans le coma cinq semaines. Quand il en est sorti ça a été un de plus grand soulagement de ma vie. Mais depuis il est sous respiration artificielle et loin d’être autonome. Le trou dans sa gorge, qui lui permet de respirer, l’empêche de parler. Sofiane est branché de partout, en permanence, sous perfusion. C’était il y a 17 mois, en novembre 2016.
Des informations au compte-gouttes
Durant ces longues semaines d’angoisse, ni sa mère ni moi n’avons vu les deux chirurgiens qui l’ont opéré. Nous étions impuissants, sans aide. Avoir des information sur son état de santé était une épreuve. On a refusé de nous donner son dossier de santé. Nous étions perdus.
Ce sont des infirmières qui nous ont mis la puce à l’oreille, à force de sous-entendus : une erreur a-t-elle été commise ? Nous n’en savons rien et il est impossible de le prouver en l’état. Mais j’ai pris un avocat et porté plainte. Ca fait presque un an. J’ai appris cette semaine que des experts avaient enfin été nommés.
Pendant longtemps Sofiane a perdu la vue. Avant qu’elle ne revienne progressivement. Depuis il a également récupéré l’audition. Son cas est extrêmement grave. Et lorsque nous avons voulu le retirer de cette clinique sans humanité, aucun hôpital n’a accepté de l’accueillir. L’Agence régionale de santé (ARS) a dû intervenir pour qu’un de ces établissements finissent par céder.
Il a été pris en charge par un centre à Cerbère (66). Avoir accès aux soins est toujours compliqué. Certains infirmiers ont du coeur, d’autres beaucoup moins. Un jour, j’ai retrouvé Sofiane seul, avec sa sonde nasale retirée de 30 centimètres. Il ne peut pas la remettre seul et sa vie en dépend. Les personnels médicaux l’avaient laissé seul pendant presque une journée. C’était inacceptable. J’ai failli dérailler ce jour-là.
L’aider
Aujourd’hui l’état de mon fils ne s’améliore plus. Seul, il ne peut rien faire. Stimuler ses articulations permet de lui faire garder une certaine flexibilité. Il est allongé sur le dos, capable d’aucun geste ou mot, et ne peut que regarder le plafond. Plus mon fils reste alité, moins il a de chance de retrouver ses capacités. C’est son mental et son moral qui le font tenir. Mais jusqu’à quand ? Un médecin m’a dit qu’il ne retrouverait pas l’usage de ses membres. Il est hors de question que j’entende ça.
Depuis 17 mois, je fais des allers-retours perpétuels pour aller voir mon fils. Sa mère habite dans les environs, mais je vis et travaille à Limoges, à 500 km de là. Des voyages longs et onéreux. Mais je ne peux pas laisser tomber Sofiane.
J’essaie aussi de mobiliser autour de moi. Nous avons créé une association, Ensemble pour Sofiane. J’y poste des photos avec des personnalité de la boxe. Sofiane pratiquait avant son accident et, dans la vie, je suis coach de boxe [Ahmed est le coach de Cyril Léonet, héros de notre documentaire Aldo le Gitan, ndlr]. C’est une passion qui me vide la tête pour revenir avec des ondes positives à transmettre à mon fils. Je lui raconte à chaque fois, en face ou par téléphone en haut parleur, les championnats de France, les gens qui demandent de ses nouvelles et le soutiennent.
On organise aussi des compétitions de sport ou des tombolas, pour récolter des fonds et l’aider. Un crowdfunding aussi. Sofiane a besoin d’ordinateurs pour s’exprimer. Aujourd’hui, il peut à peine bouger la tête. Droite c’est pour dire oui, gauche non. Parfois, je lui récite les lettres de l’alphabet et il hoche la tête à la lettre qui l’intéresse ; à la fin ça forme une phrase. « Chaque matin que je me lève, je me dis que je suis invincible. » C’est la phrase qu’il m’a dit un matin, comme ça. J’ai pleuré ce jour-là. J’ai toujours en tête cette phrase.
Sofiane et son père. / Crédits : DR.
Nous voudrions aussi l’envoyer dans un établissement spécialisé en Suisse qui a déjà traité des cas comme le sien. Qui ont de l’humanité. Mais la sécu ne pourrait rembourser ces frais, prétextant que ces soins existent en France. Alors qu’ici, personne ne veut l’accueillir.
Je ne souhaiterais ce qui nous arrive à personne. Sofiane n’a pas dit un mot depuis octobre 2016. C’est comme si chaque jour, ça s’aggravait. Il y a tout de même de l’espoir. Des fois, il me sourit. Je retrouve ce sourire de quand il était tout petit. D’autre fois, quand j’arrive, il ferme les yeux et n’est pas coopératif, épuisé.
Quand je le vois, je sais qu’il a la force mentale. Qu’il va tenir. Je suis tellement fier de lui. Tenir comme ça ?! Imagine tu tombes d’une piscine, t’as fait le con, t’es blessé. Mais là il n’a rien demandé. Personne ne sait ce que l’on ressent. Ce que Sofiane vit. Je prendrais sa place si je le pouvais, sans hésité. J’ai 41 ans, j’ai fait ma vie. Je veux qu’il vive la sienne.
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