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    05/03/2018

    Chaque année ils sont plus de 6.000 étrangers retenus dans la zone d’attente

    Enfermés à l’aéroport de Roissy

    Par Claire Corrion , Yann Castanier

    Businessmen, touristes ou personnes soupçonnées de vouloir immigrer sont enfermés dans la zone d’attente de l’aéroport. Droits bafoués, fausses couches, enfermement de mineurs… StreetPress te raconte le quotidien de cette prison qui ne dit pas son nom.

    Roissy (95), Zone d’attente pour personnes en instance — Le nom de Madame Dia (1) résonne dans les hauts-parleurs de la zone d’attente. La Police aux frontières l’appelle pour embarquer, direction Abidjan. « Tous les jours, la police essaye de me renvoyer en Côte d’Ivoire » murmure timidement Miriam, les yeux rouges et la mine fatiguée. Derrière mon bureau de l’Anafé – l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers – où j’ai été bénévole, sa fille de trois ans dessine. A ses côtés, Madame Dia, son fils de un an dans les bras, m’explique la voix tremblante :

    « C’est difficile pour les enfants. L’autre jour, sur le trajet pour aller à l’aéroport, la police m’a séparé de mon fils, il s’est mis à pleurer et moi aussi. »

    Madame Dia a quitté la Côte d’Ivoire en urgence après avoir appris que son fils aîné, qui vit en France depuis trois ans, avait été victime de maltraitance. A son arrivée sur le tarmac, la Police aux frontières (Paf) a estimé qu’elle ne remplissait pas les conditions d’entrée en France.

    « A Roissy, les personnes se présentent obligatoirement au point de contrôle frontière, on leur demande les documents nécessaires pour entrer sur le territoire » explique Frédéric Pillot, délégué syndical Unsa Police de Roissy. Vérification du passeport, visa, argent, assurance médicale, attestation d’accueil ou réservation d’hôtel payée… Le voyageur doit cocher toutes les cases. « A partir du moment où une condition n’est pas respectée, les personnes font l’objet d’une procédure de non admission » explique-t-il. La Paf les envoie alors au poste de police de l’aérogare où de nouveaux contrôles sont effectués. Si certains sont relâchés, d’autres empochent un refus d’entrée et la police les transfèrent en Zapi, la zone d’attente pour personnes en instance.

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    L'entrée de la ZAPI est chatoyante / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Bienvenue en Zapi !

    Ni en France, ni à l’extérieur. En 2016, ils étaient 6.798 à errer dans cette zone internationale, véritable « fiction juridique ». Enfermés pour une durée maximale de 20 jours, en attendant que la République française les accepte ou les renvoie dans leur pays d’origine. En 2016, 53% des maintenus ont ainsi été refoulés sans avoir mis un pied sur le territoire français. Situées dans les principaux aéroports et les gares internationales, on compte 51 zones d’attente en France. La plus grande est à Roissy, au pied des pistes de l’aéroport CDG.

    Homme d’affaires ou voyageur novice à qui il manque une réservation d’hôtel, on y croise de tout. Papiers de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) à la main, Azad (1), jeune kurde aux allures d’ado’ vient de recevoir son rejet de demande d’asile et veut faire appel. « Je viens de Dersim, la situation est très compliquée en ce moment là-bas avec le gouvernement turc et puis je suis alévi, nous subissons beaucoup d’oppression… » explique-t-il hésitant. Emmitouflée dans un sweat à capuche bleu, Miriam (1), jeune guinéenne, est venue visiter Paris avec son mari. « Il y a eu un problème avec mon passeport et ça fait quatre jours que je suis là » raconte-t-elle d’une voix frêle. Enceinte et visiblement épuisée, elle ne comprend pas pourquoi on ne la libère pas. La question de son passeport a rapidement été résolue par la Paf. Alors que son mari, policier en Guinée, a pu entrer sans problème sur le territoire, les autorités françaises craignent qu’elle reste illégalement sur le territoire français.

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    Sapé en tout circonstance / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    « C’est totalement discrétionnaire voire arbitraire d’être classé dans la catégorie risque migratoire », dénonce Maître Berdugo, visiblement agacé. « Les gens ont reçu un visa, la plupart du temps de la part du ministère de l’intérieur et pourtant on multiplie les contrôles », s’étonne ce spécialiste en droit des étrangers.

    Rien d’étonnant en revanche pour Frédéric Pillot qui reconnaît l’existence de contrôles renforcés – parfois directement en portes : « Ça concerne les pays qui sont potentiellement plus à risque, sujet à l’immigration irrégulière. Ça peut être des pays d’Afrique, des pays d’Amérique latine, ça dépend » oppose l’ex-flic.

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    Bienvenue à la zone d'attente / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Une prison qui ne dit pas son nom

    « Vous avez des chambres, des douches et des WC partagés. Il y a une zone détente où ils peuvent aller fumer, sortir. C’est un peu comme au Formule 1 », assure Frédéric Pillot qui y a travaillé près d’un an. « On est enfermé, on te réveille à 6 heures 30 du matin pour le petit déjeuner, on mange mal, quand on a besoin de toi on t’appelle au microphone. C’est comme une prison », juge Miriam. « Je me suis sentie très mal », glisse tristement la femme enceinte.

    Couloirs étroits et murs décrépis, c’est derrière des portes à l’enfilade que se trouvent les chambres de la zone d’attente. Equipées du strict minimum : deux lits simples, deux tables basses et une commode, Madame Dia y stocke des jus de fruits récupérés à la cantine pour ses enfants. Les fenêtres scellées et les appels réguliers de la Paf au microphone rendent l’air lourd. Des cabines téléphoniques défoncées – seul lien vers l’extérieur – font face à une rangée de toilettes et de douches communes. Au rez-de-chaussée, une pièce exiguë appelée « réfectoire » accueille trois fois par jour et sous l’oeil de la Paf, les maintenus. Azad se souvient :

    « Il y a des heures fixes pour les repas, les demandes personnelles ne sont pas prises en compte, ça fonctionne comme une institution disciplinaire, on sent l’oppression partout. »

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    La débrouille, allégorie / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Zone d’atteintes aux droits

    Dès leur arrivée sur le tarmac, les « non-admis » sont plongés dans une confusion totale. « C’est une zone de non-droit » s’énerve Maitre Tercero de l’association de défense des étrangers. Sur place, deux associations sont présentes : la Croix-Rouge l’est en permanence, et l’Anafé est présente sur place une à deux fois par semaine et par téléphone pour tout le versant juridique.

    Azad a débarqué à Roissy tard dans la soirée. Emmené en salle de maintien par la Paf, il a passé la nuit sur un banc de béton, sans vraiment comprendre ce qui lui arrivait. Réveillé par la police le lendemain matin, un interprète turc lui traduit au téléphone son refus d’entrée, la décision de maintien en zone d’attente et ses droits. Puis il est emmené en Zapi. « Je débarquais dans un pays que je ne connaissais pas, avec sa propre bureaucratie. Un peu comme un mouton, j’ai suivi et j’ai fait ce qu’on me disait de faire » raconte Azad, laissant apparaître un léger bégaiement.

    « La Paf leur dit de signer des papiers mais les gens ne savent pas ce qu’ils signent ! », lance Berdugo le verbe haut. « Pour expliquer ses droits à un ressortissant étranger qui vient d’arriver en France, qui est demandeur d’asile et qui ne connaît pas la culture juridique ça nécessite un peu plus qu’un interprète par téléphone qui lui lit en cinq minutes un papier et qui lui demande de le signer » s’énerve l’avocat.

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    Au pied des pistes / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Can you translate please?

    A Roissy, des interprètes en cinq langues sont présents sur place. Pour les autres langues, il arrive que la traduction se fasse par téléphone, via un interprète de la société Inter Service Migrant. Plus original, des traducteurs non-officiels peuvent aussi prendre le relais. StreetPress s’est procuré un procès-verbal dans lequel on peut lire que la Paf, à la recherche d’un interprète, contacte un peu au hasard des sociétés présentes à l’aéroport de Roissy (Brinks, Securitas, ICTS) pour que leurs salariés fassent office d’interprètes. « La mission d’interprétariat est parfois assurée par la police, le personnel de compagnies aériennes ou même des passagers », rebondit Laure Palun, coordinatrice générale de l’Anafé :

    « Ça entre en totale contradiction avec le respect des principes de neutralité et d’objectivité. »

    Les problèmes d’interprètes se posent également pour les demandeurs d’asile en zone d’attente. « Une de nos bénévoles a assisté à un entretien Ofpra en tant que tiers, il y avait un interprète par téléphone et on entendait régulièrement des annonces SNCF, il était clairement dans une gare », se souvient Laure Palun. Pour la jeune femme, en la matière, la liste des griefs est longue : refus d’enregistrer la demande d’asile par la Paf, rapidité de la procédure, manque de préparation et isolement des demandeurs d’asile…  

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    Frontex représente / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Violences policières…

    En 2016, l’Anafé a recensé 29 allégations de pression et de violences policières. En 2017, trois maintenus ont porté plainte. « Jusqu’à aujourd’hui toutes les plaintes ont été classées sans suite », précise d’emblée Laure Palun.

    Certaines populations subiraient un traitement particulier des fonctionnaires de police. Assises par terre, une demi-douzaine de femmes d’Amérique du Sud discutent dans les couloirs de la zone d’attente. Elles tuent le temps, sachant qu’à n’importe quel moment, la Paf peut les embarquer dans un avion vers leur pays de provenance. Charlène, intervenante à l’Anafé se rend régulièrement en zone d’attente depuis un an, elle évoque les difficultés que rencontrent plus particulièrement les femmes du Honduras :

    « La Paf et les juges les maintiennent, ils considèrent qu’elles veulent aller travailler illégalement en Espagne. Elles se plaignent quasi-systématiquement de pressions policières. »

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    Ambiance pénitencier / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Le problème, identifié depuis longtemps par les intervenants en Zapi, a fait l’objet d’un rapport de l’Anafé. Celui-ci évoque des femmes honduriennes auxquels la police aurait « mis un sac noir sur la tête avant l’embarquement » ou qui auraient été « secouées, bousculées, tirées par les mains et par les pieds, attrapées par les cheveux et frappées pendant près d’une heure afin de les mener jusqu’à l’avion ». D’autres rapportent des propos injurieux et racistes tenus par des agents de la Paf : « Vous êtes du Honduras, vous êtes des “morts de faim” » ou encore « Chiennes d’Honduriennes ».

    Frédéric Pillot explique n’avoir jamais eu de problème dans sa brigade. Il reconnaît que certaines tentatives d’embarquement peuvent être musclées :

    « Si une personne ne veut vraiment pas embarquer et qu’elle se débat, mes collègues utilisent des entraves. Les pieds et les mains sont attachés pour éviter qu’elle se débatte et on la porte jusqu’à l’avion ».

    3 fausses couches en 6 mois

    D’autres drames se déroulent en Zone d’attente. Charlène raconte avec pudeur sa récente rencontre avec une femme en larmes qui venait de faire une fausse couche dans sa chambre : « Elle était à un mois de grossesse. Le foetus était enveloppé dans du papier toilette et posé sur la table de nuit », se souvient-elle tout en jouant nerveusement avec les manches de son pull :

    « A notre connaissance, c’est la troisième femme qui fait une fausse couche en six mois. »

    Si elle ne peut dire que cette fausse couche est liée à l’enfermement, une chose lui paraît évidente : « L’enfermement exacerbe le stress et la fatigue ». Maintenus entassés, présence systématique de la police, craintes d’un retour forcé, pour Charlène, « ce n’est pas un environnement sain pour une femme enceinte ». Transférée à l’hôpital, la jeune femme a ensuite été remise en zone d’attente puis placée en garde-à-vue avant d’être libérée sur le territoire.  

    Pour les bambins qui accompagnent leurs parents, ce n’est guère mieux. « Mes enfants ne mangent pas bien. Ils sont énervés et plus fatigués que d’habitude », explique Madame Dia. Depuis une semaine elle partage une chambre avec sa fille et son fils. La zone d’attente, elle ne la quittera que 14 jours plus tard, après que son fils de un an, tombé malade, est hospitalisé en raison de l’aggravation de son état de santé.

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    Orange is the new black / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Erreur de casting  

    Un peu avant 11h, dans la salle d’audience qui borde la zone d’attente, une agente de police, cheveux rouge et sweat à capuche noir sur le dos, prévient les six maintenus : « Quand le juge sera là faudra enlever les casquettes, c’est plus poli ». Depuis le début de l’année, c’est ici, en bord des pistes, que comparaissent les maintenus et leurs avocats pour demander leur libération. « Avec cette annexe, il y a une volonté de faire en sorte que ces gens n’aient plus accès au Palais de Justice. Il ne faut plus les voir ! », s’insurge Laurence Roques du Syndicat des avocats de France (Saf) :

    « Plus l’audience est loin d’un centre-ville, éloignée des transports en commun, plus la défense est difficile à exercer. »

    Sans local aménagé, ni bibliothèque, ni fax, ni internet, pas facile de faire son job d’avocat. Dans son gros manteau noir, Miriam, un mouchoir à la main, s’assoit devant le juge et écoute, prostrée, la joute verbale qui se joue devant elle. L’avocat de l’administration se lance :

    « Madame Balla explique être comptable mais ne justifie rien. Son mari, présent dans la salle, serait policier en Guinée mais ça ne prouve pas ses attaches à son pays. De plus, il y a traditionnellement de la polygamie en Guinée. »

    L’avocat n’y va pas par quatre chemins, pour lui, la Guinée est un pays avec un risque migratoire important et il pense que Madame, en fin de grossesse, a l’intention de rester en France. L’avocate de Madame, cheveux tressés et coiffés en chignon s’avoue profondément choquée par les propos qu’elle vient d’entendre :

    « Parce qu’elle est de nationalité guinéenne, on établit un risque migratoire ? »

    Et de préciser que Madame a un travail en Guinée, un enfant et toute sa famille. « Elle est venue pour visiter Paris, faire du shopping, préparer la venue de son enfant », poursuit-elle.

    Au juge, Madame Balla, visiblement marquée par cette épreuve ne glissera que quelques mots :

    « Je ne me sens pas bien, je n’arrive pas à manger. J’ai vraiment besoin de sortir d’ici. »

    Le juge estimera que les conditions d’entrées sont garanties et Miriam, finalement libérée, repartira soulagée aux bras de son mari.  

    Andrés, (1) jeune vénézuélien, avocat dans son pays, quittera également la zone d’attente ce jour-là. Petites lunettes carrés sur le nez, slim noir et sac de voyage en cuir jaune, dans le bus le ramenant à l’aéroport d’où il prendra un vol pour Madrid, il a l’air perdu. « Maintenant qu’ils m’ont libéré, ils ne se soucient plus de moi. Je ne connais pas ce pays, j’ai dépensé tout mon argent pour régulariser ma situation et je dois racheter un billet pour Madrid », s’inquiète le jeune homme qui ne parle qu’espagnol.

    S’il explique ne pas avoir été mal traité pendant ces quatre jours, il ne gardera pas un bon souvenir de son passage en Zapi. « Je me sentais emprisonné alors que je n’ai commis aucun crime. Je me suis senti humilié », termine-t-il.
    Quatre autres maintenus retourneront quant à eux en zone d’attente…

    (1) Les noms ont été modifiés.

    Les chiffres proviennent du Ministère de l’intérieur et de la Direction centrale de la Police aux frontières. Les photos ont été prises à l’occasion d’une visite en compagnie d’élus communistes, à la Zapi et au Centre de rétention, dont nous vous faisions le récit ici.

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