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    13/02/2018

    « Il va finir par y avoir un mort »

    Sous la neige, avec les exilés qui continuent à dormir dehors

    Par Tomas Statius , Pierre Gautheron

    À Paris, près de 1300 exilés dorment à la rue malgré le froid. Toute la nuit, des soutiens bénévoles tournent dans le nord-est parisien pour leur porter assistance. « Si on ne vient pas les voir, personne ne le fera », se lamente l'un d'eux.

    Rue Tristan Tzara, Paris 18e – La neige crisse sous les pieds de Vincent et Lucie. Le bruit ne réveille pas pour autant les sept personnes qui dorment emmitouflés sous un monceau de couvertures grises, abritées par le porche d’un immeuble. « Mais pourquoi ils se sont mis là ? », s’interrogeait Vincent quelques minutes plus tôt. Alors que le thermomètre indique sept degrés en dessous de zéro, ce mercredi 7 février, le jeune homme est à la rue. Depuis plusieurs années déjà, le musicien sacrifie ses nuits sur l’autel de la crise migratoire. Au volant de son Kangoo rouge, rempli à ras bord, un portable dans chaque main, il arpente les rues du nord-est parisien. « J’ai commencé en 2015, au moment des camps de Stalingrad », se souvient-il. Vincent le confie : il est déjà un ancien de l’aide aux migrants. Au côté d’une cinquantaine de « soutiens », il coordonne ces maraudes de nuit :

    « On s’est habitués à dire que ça fait deux ans que l’on fait ça. Mais en fait, ça fait plus longtemps. »

    Allongé de tout son long, un homme roupille. Il ronfle. Entre deux édredons, on aperçoit son visage bouffi et une petite moustache. « Eux quand ils dorment, ils dorment », rigole-t-il alors qu’il s’approche à pas de loup. Les maraudeurs le recouvrent d’une couverture supplémentaire. À côté de son oreiller de fortune, ils déposent une paire de chaussettes sèches :

    « Si on ne vient pas les voir, personne ne le fera. »

    Paris la nuit

    À Paris, la nuit agit comme un révélateur de la situation migratoire. Si la journée, les principaux camps de réfugiés paraissent bien vides, ils se réveillent passé 22 heures. « Si tu viens en début de soirée, tu peux avoir l’impression qu’il n’y a personne, mais en fait ils sont deux ou trois par tente », décrypte Vincent :

    « Et il y a presque 100 tentes. »

    L’assertion se vérifie sous le pont qui enjambe le Canal Saint-Denis, à deux pas de la Porte de la Villette. Là, deux campements se font face. Ils rassemblent près de 400 exilés, glacés par le froid qui monte du cours d’eau. « Au début, il n’y avait que cinq tentes », se souvient Ibrahim :

    « Maintenant, regarde combien on est. »

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    Les maraudeurs avant de partir marauder / Crédits : Tomas Statius

    Le jeune homme, originaire de Sierra Leone, a posé ses bagages il y a presque un mois. Rien ne le fera bouger :

    « La police, elle vient nous enlever les tentes. Mais c’est pas grave, le lendemain on revient. »

    Les nouveaux continuent à affluer chaque jour. Hamad (1), jeune Tibétain au visage poupon et à l’épaisse parka rouge, est arrivé il y a cinq jours, avec ses frères et sœurs. Ils occupent trois tentes au milieu du camp. John (1), réfugié libérien, découvre lui aussi les joies du camping sauvage à Paris. « J’étais dans le quartier et quelqu’un m’a indiqué cet endroit ». Il grelotte :

    « Ce soir, il fait vraiment froid. »

    Orientation

    Alors que la distribution de gants, bonnets et chaussettes suit son cours, Vincent est pendu au téléphone. Avec d’autres bénévoles, il fait le point sur le nombre de chambres d’hôtel disponibles ce soir. Certaines sont payées par MSF. D’autres directement par des soutiens. « Il y a des soirs où je passe ma soirée à chercher des solutions », poursuit Agathe Nadimi, une militante investie au côté des mineurs isolés. Ce soir, quatre Tibétains, dont une jeune fille, abandonneront leur tente pour une nuit au chaud.

    Aux abords du camp, la quiétude de la nuit est troublée par un incessant ballet de voitures et de camionnettes. Ici, c’est une asso de Mantes-la-Jolie venue apporter thé et biscuits aux exilés. Là-bas, des anonymes distribuent couvertures et chaussettes au dos de voitures, tandis que d’autres servent de la soupe. Plus tard, ce sera au tour d’Heather de passer sur le camp. Chaque nuit, cette Britannique fait le tour de Paris en camionnette. Elle est l’ultime recours pour les exilés en galère. « Il y a un besoin absolu dans la rue. Nous sommes dehors tous les jours », s’énerve-t-elle quand on la joint par téléphone. Pour elle, le soutien des Parisiens n’est pas à la hauteur du péril qu’encourent ceux qui dorment dehors :

    « Comment les gens font-ils pour ne pas s’inquiéter ? Il va finir par y avoir des morts. Hier, les gens n’avaient de cesse de nous répéter qu’ils n’arrivaient pas à dormir parce qu’ils avaient peur de ne pas se réveiller. »

    Cela fait un an et demi que la jeune femme maraude dans la capitale. Partie de Grèce, où elle intervenait sur un camp de réfugiés, son projet initial était de rejoindre la jungle de Calais. « Quand je suis arrivée à Paris, la situation était horrible », se souvient-elle :

    « 4.000 personnes dormaient à la rue. »

    Alors Heather est restée. Elle a même monté une asso. Il y a quelques semaines, la jeune femme a filmé l’évacuation musclée d’un campement par les CRS. Sur le bitume ne restent que des tentes lacérées et des affaires en pagaille. La jeune femme en perd ses mots :

    « Quels sont les droits de ces gens ? »

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    Sous le pont du Canal Saint-Denis / Crédits : Tomas Statius

    Éparpillement

    Pas le temps de s’endormir. Après le Canal Saint-Denis, la voiture de Vincent file sur le Boulevard Ney direction Porte de la Chapelle. « À l’époque des grands campements de Stalingrad ou Jaurès, c’était vraiment facile pour faire des maraudes », se souvient le jeune homme :

    « Il y avait 3.000 personnes réparties sur cinq endroits. »

    Aujourd’hui, les migrants sont éparpillés sur les 18e, 19e et 20e arrondissements. Au dernier pointage, ils étaient 1.300 à dormir à la rue, malgré le déclenchement du plan grand froid. Tous répartis principalement sur 35 campements. « Parfois, on croise des gens tout seuls, abrités sous un porche. » Sur le chemin de Jaurès, rue de Tanger, on tombe sur quatre exilés assis autour d’une grille d’aération, leur seule source de chaleur. Sans tente. Ni couverture. « Ça me rend vraiment fou », lance Vincent. Après Jaurès, il y a une petite vingtaine d’endroits à visiter. Il y a « le petit parc », « la résidence », « les bulles », « la boîte de nuit »… Autant de lieux-dits nommés par les réfugiés et les bénévoles. « Ça fait deux ans que l’on tourne, on sait où ils sont », résume Heather. Pour Vincent, la maraude a duré jusqu’à deux heures du matin. Il n’a plié que sous les suppliques d’une amie, elle aussi investie dans la cause :

    « Chaque soir, elle m’envoie un texto pour me dire qu’il faut que j’arrête. »

    Image d’illustration en une

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