Saint-Denis (93) – Yabou (1) a bien dormi la nuit dernière. Et pour cause : c’est la première fois depuis de longs mois que la police ne vient pas le réveiller aux aurores. « Quand on dort dehors, ils viennent chaque matin, ils nous enlèvent nos sacs de couchage », raconte le jeune homme, grosse chaîne en maille sur tee-shirt camouflage.
Autour de lui, une petite dizaine d’étudiants s’affairent dans cette grande salle de l’UFR d’Arts appliqués de l’université de Paris 8. Certains, rivés sur un écran d’ordinateur, épluchent les sites d’information et préparent des communiqués de presse. D’autres, café à la main, discutent à côté d’un coin cuisine improvisé où s’entassent des corbeilles garnies de fruits et d’assiettes sales. À l’étage, les amis de Yabou, réfugiés comme lui, émergent difficilement. Depuis mardi 30 janvier, tout ce petit monde occupe un bâtiment de la faculté, comme l’annonce une banderole affichée fièrement à l’entrée du bâtiment. Une petite dizaine de dortoirs ont été installés dans des salles de classe, dont un réservé aux femmes. « On est arrivés hier vers midi », indiquent plusieurs membres du comité de soutien aux occupants du bâtiment A, un collectif informel qui a organisé l’occupation. Ils sont une centaine à squatter les lieux :
« Les objectifs sont multiples, mais le principal c’est surtout de loger un certain nombre de personnes qui sont à la rue depuis longtemps. »
L’occupation se veut dans la continuité de ce qui s’est passé à Nantes, Grenoble ou Lyon. En province, des étudiants solidaires ont occupé amphithéâtres et salles de classe pour héberger des exilés à la rue, pendant plusieurs semaines. Ce n’était pas encore arrivé à Paris.
Les trottoirs de Paris
Avant d’arriver sur les bancs de Paris 8, Yabou squattait les trottoirs parisiens. Cela fait sept mois qu’il est en France. Sept mois de galère et de tracas pour ce jeune Tchadien passible d’un renvoi en Italie, où il a déjà formulé une demande d’asile. « Alors que je dormais dehors, des étudiants sont venus nous voir. Ils ont dit que cette occupation allait se passer », explique calmement le jeune homme. Avant de hausser la voix :
« Parmi nous, il y a des demandeurs d’asile, des dublinés [personne qui a déjà effectué une demande d’asile dans un autre pays d’Europe], des réfugiés… Il y a même quelqu’un qui a des papiers depuis 2015. Et il dort toujours dehors. »
Adam (1), éthiopien, fait peu ou prou le même récit. Arrivé à Paris il y a quelques mois, il dormait à Porte de la Chapelle. « Il fait froid dehors », se lamente le jeune homme. « On est venus en France parce que c’est le pays des droits de l’homme mais ici, on n’a rien trouvé », renchérit Ahmad (1), les yeux rougis par de longues nuits à la rue. Pour le jeune Libyen, « le peuple français est prêt à nous accueillir » :
« Mais pas le gouvernement. »
Dans la bouche de ces jeunes hommes, c’est le constat d’une situation bloquée qui se dresse. Chaque jour, des réfugiés continuent d’arriver à la capitale. Sans que la puissance publique ne leur propose des solutions d’hébergement pérennes.
Coucou, c'est nous / Crédits : Tomas Statius
La fac se réveille
À Paris 8, les cours se poursuivent malgré l’occupation. Seules quelques pancartes scotchées au mur attirent l’attention des étudiants qui ont repris cette semaine le chemin de la fac. « Il y a cours ici ? », interroge une jeune étudiante. «Négatif.» répondent les nouveaux occupants des lieux. À l’entrée de l’université, depuis ce matin, des agents de sécurité vérifient les cartes d’étudiants de tous ceux qui veulent entrer. « Les vigiles ne laissent entrer aucun matériel, cafetières ou matelas », regrette le comité de soutien :
« Certains se montrent même menaçants. »
Les occupants des lieux appellent de nouveaux étudiants à les rejoindre. Ils jouissent déjà d’une sympathie auprès de certains professeurs, annoncent t-ils :
« Quand on est arrivés mardi midi, des professeurs ont interrompu leurs cours pour nous laisser nous installer. C’était assez impressionnant. »
À terme, tous aimeraient sanctuariser une partie du bâtiment et, pourquoi pas, obtenir de la direction un accès aux douches. « On considère que les universités devraient plus appartenir aux étudiants », affirme le même comité.
No future
Yabou n’a pas peur de la police. « De toute façon, je suis dans la rue », lance-t-il en haussant les épaules. Car à peine installés, le spectre de l’expulsion pèse déjà sur les frêles épaules des occupants. Sur les réseaux sociaux, les rumeurs vont bon train. Hier, sur Facebook, un militant annonçait l’intention de la présidence de l’université de faire intervenir la police.
Mais pour l’instant, rien à signaler du côté de l’administration. Tout juste des contacts ont-ils été noués, confie-t-on à demi-mots du côté des occupants. « Si les gens sont mis en danger [à cause d’une intervention de la police], ce sera à cause de la présidence », tonne le comité de soutien. Pour le moment, les barrages de chaises tiennent le coup. Et Ahmad ne compte pas bouger d’un iota :
« Je veux dormir ici. Ailleurs, il n’y a pas de solution. »
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