Le Téléphone Grave Danger, « je l’ai tout le temps dans la main quand je me déplace », raconte Aurélia, 32 ans. Ce petit smartphone basique noir, doté d’une touche spéciale sur la coque arrière – le « buzzer d’urgence », est donné à certaines victimes de violences conjugales qui risquent un viol, une agression ou un meurtre. L’ancien compagnon d’Aurélia, figure du grand banditisme en France et en Turquie, continue de la menacer malgré un dépôt de plainte :
« Les violences ont duré deux ans à partir du moment où j’ai voulu me séparer de lui. J’ai subi plusieurs séquestrations. Je dormais entourée de kalachnikovs. »
Le 16 avril 2017, il tente de la percuter avec son véhicule en pleine rue dans Paris. Le mois d’après, elle reçoit son Téléphone Grave Danger comme 288 autres femmes en France en 2017. En cas de besoin, elle peut déclencher le « buzzer d’urgence » pour être mise en relation avec une société de téléassistance 24h/24, 7j/7. Un employé écoute et évalue la situation et la police débarque plus rapidement qu’en faisant le 17.
« Si une femme est en boîte de nuit aux Champs-Elysées, on n’a pas à le savoir. En revanche, si elle appuie, on sait tout de suite où elle se trouve grâce à la géolocalisation », explique Ernestine Ronai. La responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis a importé le dispositif d’Espagne en 2009 :
« Là-bas, cela fonctionnait bien. On a fait un groupe de travail avec le procureur, à l’époque François Molins, Orange, qui fournit les téléphones, et la société privé Mondial Assistance. »
Le TGD est testé et perfectionné dans le 93 pendant plusieurs années avant d’être généralisé en France en 2014. L’objectif du portable ? « Sauver des vies ».
Besoin d’être entourée
Les conditions d’attribution du TGD sont assez strictes. Pour obtenir l’appareil, il faut être majeur et ne plus vivre avec son agresseur. Celui-ci doit avoir une interdiction d’entrer en contact avec la victime. De plus, une enquête sociale est réalisée par un psychologue et un juriste. « On doit tout savoir : son métier, si elle a des enfants, des chiens, des chats… », raconte Laurent Boulch du Centre d’information sur les droits des femmes et de la famille (CIDFF) du Finistère. Le procureur attribue ensuite le téléphone pendant 6 mois, renouvelables.
Avant, pendant et après le TGD, on suit et on accompagne les victimes médicalement, socialement, psychologiquement et si besoin, pour un relogement. C’est pourquoi Aurelia* souhaite rester à Paris :
« C’est ici que je me sens protégée. Tous les acteurs qui me suivent depuis le début sont là. Je ne compte pas changer de pays dans l’immédiat, j’ai besoin d’être entourée… »
Même si son agresseur est à Paris lui aussi, elle se sent plus en sécurité depuis qu’elle a le Téléphone Grave Danger. « Chaque déclenchement d’alerte sauve potentiellement la vie d’une victime. Dès qu’elle se retrouve face à son agresseur, qui ne l’oublions pas reste très dangereux, sa vie est mise en jeu », assure Olivia Tabaste, directrice du CIDFF de Paris chargé de la mise en place du téléphone spécial dans la capitale.
Les situations sont parfois extrêmes. « On a déjà eu le cas d’un ex conjoint qui se présente devant le domicile de la victime avec une arme en essayant d’entrer. Il voulait forcer la porte mais la police est arrivée juste à temps pour le faire fuir », rembobine Jérôme Jannic, directeur de SOS Victimes 93. Aurélia*, elle, a appuyé deux fois sur le buzzer :
« J’ai déclenché le téléphone une première fois le 20 mai quand j’ai vu les hommes de main de mon ex. La police était sur les lieux en 5 – 6 minutes. La seconde fois, je recevais des messages de menace donc je l’ai déclenché parce que j’ai eu peur qu’ils reviennent. »
Les forces de l’ordre la rassurent et vérifient qu’elle est en sécurité. « C’est un dispositif qui fonctionne très très bien », estime-t-elle.
La directrice du CIDFF de Paris a rencontré autant de profils que de femmes : « Une jeune de 18 ans, lycéenne, est restée un an dans le dispositif. Une autre, médecin d’environ 45 ans et mariée à un avocat, a bénéficié du TGD pendant presque trois ans ». « J’ai déjà défendu une femme dans un couple de cadres qui a été violentée par son mari pendant des années sans jamais se confier à personne. Pas même ses enfants. Elle a porté plainte à 60 ans », complète maître Boudenne, avocat au barreau de Senlis. Les hommes y ont également le droit. Mais les cas sont rares : en moyenne 2 par an selon le ministère de la justice.
L’angoisse du retour
Souvent, les potentiels agresseurs sont des ex incarcérés pour avoir battu ou violé leur compagne. Quelques jours avant qu’ils ne sortent de prison, les femmes angoissent. « Elles sont en stress permanent. Elles ont peur de sortir seules, elles n’arrivent plus à dormir la nuit, elles s’isolent », raconte Aurélie Dupré, psychologue au CIDFF du Gard. Jérôme Jannic, directeur de SOS Victimes 93, a conseillé plusieurs fois le Téléphone Grave Danger « quand monsieur a harcelé son ex avec un portable depuis sa cellule ou via des courriers qui montrent qu’il n’est clairement pas passé à autre chose ». En moyenne, les femmes gardent le TGD entre dix mois et un an. Le temps que la situation se stabilise. Jérôme Jannic explique :
« Si l’agresseur constate que les policiers débarquent rapidement à chaque fois qu’il voit la victime, il va se rendre compte qu’elle réagit. Le lien d’emprise qu’il avait sur elle est rompu. »
La violence psychologique, Aurélia* l’a subie. « Je l’ai rencontré en décembre 2013 et les premiers mois, c’était un début d’histoire normal ». Mais son ex la fait quitter son job, l’éloigne de ses amis et de sa famille :
« Le chemin classique du pervers narcissique qui ne vous veut que pour lui. »
Les violences physiques surviennent durant l’été 2014. Au début, c’est une gifle après une engueulade. « La première, on l’excuse », raconte-t-elle. Un an et demi plus tard, elle le suit en Turquie. « J’atterris là-bas et je découvre un homme dont j’ignorais tout, qui trempe dans le blanchiment d’argent, entre autres. Au bout de 15 jours je voulais repartir, ça s’est super mal passé. Il m’a retiré mon passeport, mon téléphone… Tout était contrôlé ». Puis, les coups s’intensifient :
« Il m’a brisé la mâchoire. Et je suis sourde de l’oreille gauche. »
Aurélia* parvient à s’échapper et retourne en France.
Peut mieux faire
Pour beaucoup, le stock de TGD disponibles est insuffisant. « Il faut absolument qu’il y en ait plus et qu’on l’applique partout », réclame la gynécologue et présidente du Collectif féministe contre le viol Emanuelle Piet. « Je rencontre de nombreuses victimes qui devraient avoir le téléphone. Il y en a très peu », déplore maître Boudenne. Interrogé par StreetPress, le ministère de la justice envisage une augmentation du nombre de portables pour 2018 mais sans prendre d’engagement précis. Le dispositif serait « assez coûteux » selon Laurent Boulch, directeur du CIDFF du Finistère. En cause : le partenariat avec la compagnie d’assurance Mondial Assistance, la société de téléassistance privée qui prend en charge les victimes H24. De son côté, le ministère de la justice peine à nous donner le coût exact du Téléphone Grave Danger.
Conséquence : les cas les plus extrêmes remonte sur le haut de la pile et certains cas jugés moins urgents passent à la trappe. L’avocate star de Jacqueline Sauvage, du cabinet Bonaggiunta-Tomasini & Associés, pointe les limites du portable :
« Le téléphone est obsolète. Il est trop visible, ça n’a aucun sens. A l’heure du numérique, il faudrait développer une application. »
Une initiative pour laquelle maître Tomasini, qui défend Aurélia*, milite : « Je suis en pourparlers avec Brigitte Macron ». Si sa cliente est rassurée par le Téléphone Grave Danger, elle en constate aussi les limites. Aurélia* explique :
« Si vous avez le temps de le déclencher c’est bien. Malheureusement, quelque chose peut vous arriver en pleine rue sans que vous ayez le temps de réagir. ».
Le prénom a été modifié à sa demande.
Article publié en partenariat avec le CFPJ.
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