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    11/01/2018

    Le petit livre rouge de Mao ou les livres de Lénine traduits en braille

    À Montreuil, des bénévoles enregistrent des livres pour les malvoyants

    Par Marion Vercelot

    La bibliothèque Sonore, une association de Montreuil, enregistre romans, essais et manuels scolaires et les mettent à disposition des personnes « empêchées de lire ».

    Rue de l’église, Montreuil (93) – Un bruit de clavier se fait entendre dans le fond du couloir. Jack Cohen, 83 ans, épluche sa boîte mail, les yeux collés à l’écran. Le bénévole à la chevelure poivre et sel tient la bibliothèque sonore de Montreuil depuis sa création, il y a plus de 40 ans. Le lieu propose gratuitement aux personnes empêchées de lire par leur handicap l’accès à des livres audio sur CD ou MP3. Bureau en formica, carrelage bicolore, murs jaunis par les années et cassettes audio d’un autre temps conservées dans des classeurs, le temps semble s’être arrêté dans les années 70. Jack justifie :

    « On a gardé les cassettes pour meubler. »

    Le papa du journaliste Patrick Cohen – la passion du son semble se transmettre de père en fils – a soigneusement rangé les CD dans des boîtes en plastique. De Sepulveda aux ouvrages de l’auteure japonaise Aki Shimazaki, le choix est large. Un bristol jaune détaille les informations nécessaires à l’auditeur et si la voix est féminine ou masculine :

    « Car les usagers ont leurs préférences. »

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    Jack Cohen. / Crédits : Marion Vercelot

    PASSIONNÉS

    « Le choix des oeuvres est laissé aux donneurs de voix », explique Jack. Car l’essentiel de ces livres audio est enregistré par des bénévoles de l’association. Ces derniers sont souvent retraités :

    « Ils sont passionnés de littérature, un peu artistes, certains auraient aimé être acteurs. »

    « Une amie m’a parlé de la bibliothèque. Je voulais m’investir dans une association et ça m’a tenté », raconte Catherine, qui a commencé à donner de la voix en mai 2017. Pour elle, c’est une activité qui lui permet d’être utile. « J’ai déjà enregistré quatre livres », sourit l’ancienne professeure d’éco-gestion. Quant à Mireille, bientôt 60 ans, elle y a été par engagement. Donneuse de voix professionnelle pendant 3 ans pour le compte du ministère des Finances, elle raconte « qu’avec deux parents aveugles, ce boulot a été une évidence ». Elle a longtemps été les yeux de sa famille :

    « Je leur lisais le Monde ou les romans de Jules Vallès quand ils n’avaient pas les ouvrages en braille. »

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    Time code ready. / Crédits : Marion Vercelot

    Chez elle, un grand appartement dans le 19e arrondissement de Paris, tout tourne autour du livre. Ses étagères en sont pleines. Passionnée de littérature, elle conserve précieusement dans un carton quelques « pépites », comme le petit livre rouge de Mao et les livres de Lénine en braille, « presqu’introuvables ». Autour d’une salade, elle raconte les discriminations dont souffrent les empêchés de lire et comment elle « s’engueulait avec les gens au cinéma » car elle chuchotait les scènes silencieuses à ses parents.
    Elle prend l’exemple du travail, où ils sont souvent cantonnés à des jobs sans responsabilités :

    « Je veux contribuer à ce que des aveugles puissent gravir les échelons et ne pas rester en bas de l’échelle. »

    Raison pour laquelle elle a enregistré des livres de droit et de comptabilité, utilisés pour la préparation des concours.

    LES GALÈRES

    « Ca ne me satisfait pas, je vais réessayer en parlant plus fort et puis il y a trop d’espace, je vais couper ! » Confortablement installée chez elle, face à son ordinateur, Catherine travaille ses prises de son sur le logiciel Audacity. De la prise de voix au montage, elle doit tout faire ! C’est avec son casque-micro qu’elle enregistre ses prises. La retraitée a perdu la bonette et l’a remplacée par un gros morceau de coton. Elle raconte refuser de lire des livres trop violents ou avec trop de scènes de sexe…

    « Je saute les pages violentes des Rois maudits. Et je n’aime pas qu’on fantasme sur ma voix. »

    Elle n’ose pas se lancer dans des enregistrements de livres trop gros, une entreprise longue selon elle. Jack explicite :

    « Pour un livre d’une durée de dix heures, cela demande trois fois plus de temps pour l’enregistrer. C’est un peu compliqué. »

    Difficile de garder des donneurs de voix réguliers tant l’entreprise est laborieuse, selon le gérant de l’association. Il regrette également qu’en 40 ans d’existence, le lieu ne soit pas plus reconnu. Malgré leurs démarches répétées auprès des ophtalmos, opticiens et assistantes sociales, le lieu n’attire pas les foules. Seulement une trentaine d’audio-lecteurs, dans l’incapacité de lire, sont adhérents de l’association.

    Mais certaines choses permettent de garder espoir d’après Catherine. Elle se rappelle d’un audio-lecteur habitué. « Il peut écouter dix nouveaux livres par semaine ! » Alors que Catherine apporte sa nouvelle composition, le bonhomme lui saute dessus pour écouter son nouveau livre audio. De quoi penser que la grille de l’association pourrait s’ouvrir un peu plus souvent.

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    Au 15 Rue de l'Église, Montreuil. / Crédits : Marion Vercelot

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