Mesnil-Amelot (78) – « Il ne faut pas suivre la police pour faire la visite », alerte Atef, un jeune retenu, enfermé depuis 45 jours au Centre de Rétention Administrative (CRA) du Mesnil-Amelot :
« La directrice, elle ne va pas tout vous montrer. »
Atef dans les couloirs du Centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
A l’entrée de la « zone de vie » du CRA, ils sont une dizaine de sans-papiers à faire le pied de grue autour du distributeur de boissons. Aujourd’hui, le bâtiment bout d’une activité inhabituelle. Deux sénateurs communistes, Eliane Assassi et Fabien Gay, arpentent les couloirs exigus du plus grand centre de rétention de France. «Je voulais exercer mon droit de visite », explique le second, nouvellement élu en Seine-Saint-Denis :
« Tous les parlementaires devraient venir. Et voir comment on accueille les étrangers chez nous. »
La présence de journalistes de StreetPress et de l’Humanité ne passe pas inaperçue. Jusqu’en mars 2016, impossible en effet pour un plumitif de franchir les grilles du Mesnil-Amelot sans obtenir une autorisation exceptionnelle, délivrée au compte-gouttes par la préfecture. Depuis la réforme du 7 mars 2016, les visites de journalistes sont censées être autorisées, sur simple demande. On s’en était tout de même vu refuser l’accès en novembre de la même année.
Les sénateurs Eliane Assassi et Fabien Gay sont venus visiter le CRA / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Thérapie collective
Ce jour-là, les retenus sont bien décidés à perturber le programme prévu par les autorités pour ses visiteurs du jour. Au passage de deux directeurs du CRA et de la directrice adjointe de la police aux frontières dans le département, ils tentent de se faire entendre. « Pourquoi on ne peut pas retirer nos sous ? Pourquoi on n’a pas le droit de ramener de la nourriture ? Et pourquoi on n’a pas d’eau chaude ? », interpelle Ismaël. Silence gêné des policiers qui les escortent. Il faut dire que le tableau dressé par les autorités est toute autre. Installation dernier cri, suivi par un médecin et accès aux droits… « On a tout ce qu’il faut pour le repas des bébés », vante même l’un des directeurs du CRA . Adossé à l’une des grilles de la promenade, Toufik, enfermé au Mesnil-Amelot depuis mi-octobre, livre un autre son de cloche :
« Ici, ils nous traitent comme des chiens. »
Bilal en a gros sur le cœur / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Dans la cour du CRA, des retenus nous interpellent derrière les grilles / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Dans les couloirs du CRA, les gens vont et viennent. Les policiers ne savent plus où donner de la tête. La visite prend des allures de thérapie collective. Ismaël interpelle les autres retenus. Il les incite à témoigner. Mais gare aux représailles, prévient-il :
« Quand on parle avec vous, ils nous regardent. Ils vont essayer de nous mettre dans des vols. Ici, ils sont pires que la Gestapo. »
Destination finale
Posé entre une caserne de CRS, des champs et les pistes du plus grand aéroport de France, le Centre de Rétention Administrative du Mesnil-Amelot est un cul-de-sac. On y rentre pour être expulsé. On en ressort, parfois, amoché par les conditions de détention et le ronron constant des avions qui prennent leur envol. « C’est de la torture morale. Tous les jours, tu vois les avions, tu te demandes si cela va être le tien », explique Youcef. Le jeune algérien, emmitouflé dans une épaisse doudoune, est arrivé au CRA il y a 38 jours. Tout en grignotant une gaufrette, il finit par lâcher :
« Ici, c’est pire que la prison. »
Les imposants grilles d'entrée de la cour du CRA / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
La cour principale / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Le réfectoire et sa cruche bleue / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Atef arbore casquette orange, sweat rayé et combo claquettes-chaussettes. Teint blafard, yeux cernés… cela fait près de deux mois que le jeune homme est enfermé. Il dénonce la déshumanisation des retenus dans le Centre de rétention :
« Ici on est pas des hommes. On est des numéros. 101H, c’est mon matelas. 1462, c’est mon numéro de PV. Les gardiens m’appellent comme ça. »
Des grilles aux spots, de la lumière chirurgicale aux boxs uniformes : tout évoque la pénitentiaire. Youcef n’en veut pourtant pas aux policiers. « Ils font leur travail et il n’y a pas à dire ils sont plutôt gentils », explique le jeune homme :
« C’est eux qui séparent les gens quand ils se battent. Ici, certains n’ont pas toute leur tête. »
Parle à ma main / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
« J’ai vu aussi beaucoup de détresse chez les fonctionnaires », affirme Fabien Gay :
« Je n’oppose pas les uns aux autres. »
C’est après les conditions même de la rétention que la plupart des enfermés en ont. Celles-là même qui détruisent les corps et font vriller les esprits.
Hôtel quatre étoiles
La liste des doléances est longue pour les 163 habitants du Mesnil. « Il faut que vous alliez voir les chambres et les toilettes », conseille Atef dans la cour principale du CRA, un pré carré mi bitume, mi herbe, cerné de grilles vertes et parsemé de caméras de surveillance. Les conditions de vie sont spartiates. L’ameublement sommaire. « Le soir, tu ne peux même pas boire. La fontaine qu’ils ont installée, elle ne marche plus », rebondit Ismaël. Les retenus doivent alors se contenter de l’eau chaude de leurs salles de bain qu’ils font refroidir dans des bouteilles en plastique.
Nettoyage de fond en comble lors de la visite des parlementaires et des journalistes / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Devant le quartier des femmes et des enfants, l’homme rit jaune à la vue d’une femme de ménage qui frotte consciencieusement le sol des petites cellules :
« D’habitude, elles ne restent pas si longtemps. C’est quelques minutes au plus. »
Au coin du bloc 12, on croise Fabrice. Le trentenaire, en provenance de République Démocratique du Congo, est enfermé depuis le 30 octobre. Il boite bas. Son gros orteil est ensanglanté. « Je me suis coincé le doigt de pied dans la porte », annonce t-il, piteux :
« L’infirmerie n’a pas voulu de moi. »
Pour cautériser la plaie, Fabrice a mis du sel sur sa chair à vif. « Je suis africain, c’est comme ça qu’on fait chez moi », rigole t-il.
Fabrice, immigré congolais, ne comprend pas pourquoi il est là / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Les méandres de l’asile
Dans le couloirs du CRA du Mesnil-Amelot, on croise aussi des paumés de l’asile, ceux qui ne comprennent plus rien à ce dédale de procédures et d’interlocuteurs. « Le centre de rétention, ce n’est pas pour les gens qui ont une procédure en cours, non ? », interroge Fabrice. Il ne comprend pas vraiment pourquoi il est enfermé :
« Moi j’ai une procédure Dublin mais je veux déposer l’asile en France. Je suis ici parce que j’ai refusé d’aller en Italie. »
Jugé illégal par un arrêt de la Cour de Cassation du 28 septembre 2017, le placement en rétention des dublinés est pourtant inscrit dans le projet de loi sur l’immigration, présenté par le gouvernement fin septembre. Celui-là même qui prévoit d’étendre la rétention à 90 jours au lieu de 45. En attendant le vote de la loi, Fabrice ne devrait pas être là mais les juges tardent à le libérer.
Nabil, s'il est mineur, ne devrait pas être au CRA / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
« Lui, il est mineur », annonce finalement Ismaël en montrant un jeune garçon timide qui se tient au milieu d’un groupe de retenu. Il s’appelle Nabil. Ismaël nous tend un extrait d’acte de naissance. D’après ce document, dont StreetPress n’a pu déterminer l’authenticité, l’homme serait né le 21 septembre 2000. Il aurait 17 ans alors que le placement en rétention est réservé aux majeurs. Ces journées, Nabil les passe avec les hommes. La nuit, il dort dans le quartier des femmes et des enfants, à l’abri. Il a fait sa vie en France mais risque d’être renvoyé à tout moment. « On ne peut pas arracher la vie de milliers de personne comme cela », tonne Fabien Gay :
À l'arrière de l'un des bâtiments du CRA, un homme boit le thé / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
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