Il est 11h, en cette matinée de juillet, et le magasin n’est pas encore ouvert. Les bénévoles, eux, sont déjà au travail : une dizaine, vêtus de tabliers vert fluo, s’activent depuis quelques heures à ranger les fruits et légumes dans des cagettes ou les céréales dans les distributeurs de vrac. À Fives, quartier populaire, la façade vitrée du premier supermarché collaboratif de Lille, ouvert en avril dernier, tranche avec les bâtiments en briques rouges de la rue du Prieuré.
Membre depuis un an, Léo, 26 ans, vient tout juste de réceptionner les arrivages du jour. L’étudiant en socio à la barbe fournie a découvert ce supermarché grâce à son coloc, adhérent lui aussi. Un carton de gâteaux dans les bras, ce garçon « pas fan des grandes surfaces » explique qu’il a « toujours eu de la curiosité pour les cercles alternatifs de distribution alimentaire ».
Les Lillois ne manquent pas d’imagination quand il s’agit de lancer des initiatives : un supermarché collaboratif qui s’appelle SuperQuinquin, une flûte-saxophone connectée, des baguettes pour faire de la batterie sans batterie, des fablabs à gogo…
Alors si devenir patron – bon, avec 600 autres personnes – d’un supermarché vous tente, lisez le guide. Même le chanteur de Skip the Use, que nous avons interviewé, a l’air super motivé…
Trois heures de bénévolat par mois
Proposer une alternative aux supermarchés classiques, c’est bien l’objectif de SuperQuinquin. À l’entrée de la boutique, la présidente Geneviève Sevrin, 55 ans, explique qu’ils se sont installés à Fives pour offrir « une vraie mixité sociale, un réel élan coopératif et donc collectif ». Pas question pour l’ex-présidente d’Amnesty International France que le magasin soit « un projet de bobos ». En tout cas, bobo ou pas bobo, tout le monde doit donner de sa personne : pour y faire ses courses, il faut bosser trois heures par mois, et ainsi devenir un « collaborateur ».
On définit le plan d'attaque / Crédits : Pierre Gautheron
Julie, 25 ans, est une vraie de vraie. Après avoir fait un service civique – un méga stage – chez SuperQuinquin, elle est maintenant une collaboratrice motivée, qui n’a aucun problème à sacrifier un apéro pour décharger des légumes. Entre deux allers-retours à l’arrière-boutique, la jeune femme de 25 ans explique :
« Avec le planning à l’année, c’est très simple de caler trois heures par mois. Surtout que c’est plus fun que ce qu’on pourrait croire, on n’a pas le temps de s’ennuyer et ça nous arrive même de transpirer. »
Un fonctionnement démocratique
Au programme du jour : réception de marchandises, un peu de réassort dans les rayons et un passage par la caisse. Et pourquoi pas une petite pause musicale : sur un cahier près de l’entrée, les bénévoles peuvent noter leurs titres préférés et nourrir la playlist du magasin… Les shifts s’enchaînent avec des groupes de 8 à 10 personnes encadrées par un chef d’équipe. En plus de ces heures de travail, les coopérateurs doivent acheter des parts de la structure. Soit au minimum 100 euros pour 10 parts de SuperQuinquin (une part sociale = 10 euros). Les bénéficiaires des minimas sociaux ainsi que les étudiants boursiers peuvent eux n’acheter qu’une part, soit un investissement de 10 euros. Et une fois membre de SuperQuinquin, chacun peut donner son avis sur les décisions du supermarché.
Pas de trace de Nutella / Crédits : Pierre Gautheron
La présidente, Geneviève Sevrin, insiste :
« Que l’on ait souscrit 5 000 ou 10 euros, 1 coopérateur = 1 voix. Personne n’est mis de côté, tout le monde a son mot à dire. »
Suffisant pour éviter les bisbilles ? Léo raconte que « les décisions en assemblée générale sont souvent unanimes. Personne ne voulait proposer de Nutella par exemple ! » Mais ce n’est pas toujours le cas. Lors des derniers votes d’orientation, concernant l’ouverture éventuelle du magasin le dimanche, les réactions étaient mitigées. Et pour l’instant, aucun consensus ne s’est dégagé.
Bio or not bio
Que trouve-t-on alors chez SuperQuinquin ? « De tout », selon sa présidente :
« Il ne s’agit ni d’une épicerie bio ni d’un supermarché classique. Il faut que les coopérateurs trouvent les produits qui leur plaisent et qui leur ressemblent, quels qu’ils soient. L’axe principal reste leur qualité et leur accessibilité ».
L’objectif : que tout le monde, étudiant boursier, cadre CSP+, mère seule, soit bienvenu. Tant qu’ils ne sont pas viandards. Pour l’instant, SuperQuinquin n’en propose pas. Pas de quoi freiner Léo, qui souligne :
« Le fait de ne pas trouver de viande ne me dérange pas. L’atmosphère ici est plus intéressante que celle des supermarchés où l’on trouve absolument tout. »
Cape de super-héros automne-hiver 2017 / Crédits : Pierre Gautheron
Dans les rayons, on trouve donc du bio, du local ou du circuit court, mais aussi des produits conventionnels de la marque Belle France. Au niveau du porte-monnaie, le bio est « 5 à 20 % moins cher que chez Biocoop. Et les articles conventionnels sont au même prix, voire 5 % moins chers que dans des magasins franchisés. »
Ce jour-là, les courgettes sont par exemple à 2,28 euros le kilo, les abricots du Roussillon à 4,37 et les fraises locales à 3,29.
Au fil des mois, SuperQuinquin a tissé des liens avec des producteurs locaux :
« On a trouvé des fournisseurs sur le marché de Fives en cherchant par exemple des asperges ou des aromates. »
Il paraît que certains agriculteurs seraient même devenus coopérateurs.
Déménager pour mieux grandir
Pour continuer à se développer, SuperQuinquin devrait s’installer début 2020 sur la friche de Fives Cail et ses 1 000 m². Pour assurer un fonctionnement fluide, Geneviève Sevrin estime que : « L’idéal serait d’avoir un salarié pour 150-200 bénévoles. » Entre deux discussions avec de nouveaux coopérateurs, elle ajoute que pour cela, il faut « un chiffre d’affaires qui permette de verser des salaires corrects, et pas seulement un SMIC ».
L’objectif : qu’il y ait de plus en plus de collaborateurs, de l’étudiant fauché au cadre friqué. Si SuperQuinquin a reçu des subventions pour se développer, le futur passe évidemment par de nouvelles têtes dans le magasin. Chaque bénévole peut donc inviter un ami à y faire ses courses, même s’il n’est pas membre. Autre appât : les réunions et assemblées générales, qui sont publiques, et des conférences, sur la traçabilité des produits par exemple. Il y a déjà plus de 500 coopérateurs, et on risque de voir de plus en plus de tabliers fluo à Lille.
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