Samedi 8 juillet, Ezatwazir est posé chez lui. 19h20 son portable sonne. Au bout du fil, un copain en panique :
« Il me dit que Khan s’est noyé. Au début j’ai cru à une blague, mais j’ai couru les rejoindre. »
Quelques minutes plus tard, il rejoint ses copains afghans au bord du canal de l’Ourcq qui traverse le parc de la Villette. Le corps de son ami et colocataire, a disparu sous les eaux.
Quelques heures plus tôt la bande déjeunait ensemble. Ezatwazir nous montre une photo. Khan est attablé, un sourire discret barre son visage juvénile. Il n’avait que 19 ans. « On avait organisé ce repas parce que l’un de nos amis avait perdu son cousin en Afghanistan. » Victime d’un conflit qui n’en finit plus. Une situation que Khan a fui dans l’espoir d’une vie meilleure. Il n’a rejoint Paris que 4 mois plus tôt, après un très long périple : Iran, Turquie, Bulgarie, Serbie, Hongrie, Autriche et enfin la France, où il rêvait de s’installer.
14h, la petite troupe décide de se faire une partie de cricket à côté du Fort d’Aubervilliers. « Khan adorait le cricket et il était plutôt bon. Il devait rejoindre une équipe à la rentrée », raconte son ami Zia Jaan. Paris est écrasée par la chaleur. Ils rejoignent leur spot de baignade favori. « On savait que c’était interdit, mais il y a vraiment beaucoup de monde qui se baigne à cet endroit », explique Zia. « Même des enfants. » Pour eux, la baignade est en quelque sorte tolérée.
La noyade
Ceux de la bande qui savent nager, sautent tour à tour de la passerelle qui surplombe ce bras du canal. Khan en est. Il saute une première fois, puis une seconde. Il rejoint l’une des berges. Puis traverse le cours d’eau, large d’une vingtaine de mètres à cet endroit-là. Alors qu’il tente d’effectuer le trajet retour, il semble en difficulté. Ses amis n’expliquent pas ce coup de mou et le disent bon nageur – Pas tant que ça, selon la sécurité de la Villette. Une dame, interpelle Khan. « Elle lui a dit “sort, tu es fatigué” », rapportent ses amis. Il décide de poursuivre. Au milieu du canal, il sombre une première fois sous les eaux.
Zia Jaan à gauche et Ezatwazir à droite. /
Trois copains se jettent à l’eau pour tenter de le chercher. L’un d’eux touche sa main, mais ne peut s’en saisir. L’entreprise est vaine : ils ne savent presque pas nager. Des badauds les aident à remonter. Quand ils remontent sur la berge, leur ami a disparu. Il est 19h15. Un riverain appelle les pompiers. Les cris de panique attirent les passants et plusieurs agents de sécurité du Parc de la Villette. Zia Jaan, retourné chez lui pour chercher un short de bain, débarque à ce moment-là. Ému, il raconte :
« Je leur dis que je savais nager, mais ils m’ont empêché de plonger et aucun des agents n’a sauté. Personne n’a sauté ! Pourquoi ? »
Joint par StreetPress, la sécurité de la Villette confirme :
« On dissuade les gens de plonger parce que l’on craint de se retrouver avec une seconde victime. Et puis on ne voit rien dans le canal, l’eau est noire. Il faut être équipé. »
Ils ont appliqué les consignes :
« Dans ces cas-là, on appelle les pompiers pour qu’ils fassent intervenir les plongeurs. »
Quelques minutes après la noyade, un premier pompier arrive sur les lieux. Il plonge, sans équipement particulier. Entre-temps, deux bateaux sont passés au-dessus de la victime. Ses recherches à l’aveugle sont vaines. Vers 19h45, soit plus d’une demi-heure après la noyade, les spécialistes en intervention subaquatique arrivent sur les lieux. Ils finissent par retrouver le corps. Le décès est prononcé à 20h30, précise à StreetPress le service de communication des sapeurs-pompiers de Paris.
Ses amis cherchent des réponses
Les amis de Khan s’interrogent. « Pourquoi ont-ils mis si longtemps pour venir ? Pourquoi il n’y a aucune bouée de sauvetage alors que beaucoup de gens se baignent ? » Les pompiers assurent, eux, que ce délai d’intervention est normal, surtout pour solliciter les services spécialisés en sauvetage subaquatique. Quant aux bouées, du côté des canaux de la ville de Paris, on explique que plusieurs d’entre elles étaient installées tout autour du bassin dans de petits coffres :
(img) Khan
« Mais aujourd’hui, on n’en met plus parce qu’on nous les vole. Elles ne restent pas plus d’une semaine en place. »
Après son décès, le corps a été transporté à l’institut médico-légal de Paris. Ezatwazir a pu s’y rendre pour un dernier adieu. Le corps a ensuite été renvoyé à sa famille en Afghanistan. Il laisse derrière lui un père âgé et malade et un frère de sept ans. Tous les deux vivaient grâce aux petites sommes que leur envoyait chaque mois Khan. Ses amis ont ouvert une cagnotte en ligne qui a déjà permis de financer le retour du corps. Le reste de l’argent sera envoyé à sa famille, explique son ami Ezatwazir :
« Il espérait que son frère puisse aller à l’école. On va essayer de rendre ça possible. »
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