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    17/07/2017

    Prières, baignades topless et cours d’alphabétisation

    Ousmane, le réfugié musulman accueilli par des Femen

    Par Elvire Duvelle-Charles , Jacob Khrist

    Ousmane a 16 piges et dort dans un camp à Paris, quand il rencontre Gala, militante Femen. Le début d’une étonnante histoire d’amitié : pendant plus de 5 mois, le réfugié musulman et les féministes vont vivre sous le même toit dans leur squat de Clichy.

    Clichy, Squat Femen, juin 2015 – Sous la table de cuisine de récup, un tapis de prière couvre le carrelage froid de la salle à manger. Les reliques d’un shooting militant. Ousmane, jeune migrant ivoirien de 16 ans, rit en le découvrant. « Pourquoi vous avez un tapis de prière sous votre table ? ». Marguerite, activiste Femen depuis 3 ans, lui répond enjouée « Et pourquoi pas ? ». Ousmane n’a pas prié depuis longtemps. À la rue depuis quelques semaines, il préfère ne pas prier s’il ne peut pas faire ses ablutions. Maintenant qu’il est hébergé au squat Femen, il va pouvoir les reprendre. Marguerite met le tapis à la machine et l’offre à Ousmane.

    « Jusqu’à aujourd’hui je l’utilise. Tous les jours. »

    Arrivé seul en février 2015, Ousmane a dormi 3 mois sur un matelas défoncé dans le camp qui borde la Halle Pajol. En avril 2015, il se déclare en tant que mineur isolé. Les démarches sont longues. C’est à cette époque que je l’ai rencontré. C’est Gala, activiste Femen comme moi, qui lui a proposé de rejoindre notre squat. Il y est resté cinq mois. Ensemble, nous avons partagé les appels à la prière sur Youtube, fumé des cigarettes torse nu dans la piscine gonflable et flippé des menaces de mort récurrentes à l’encontre des activistes de notre mouvement.

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    Le fameux tapis de prière. /

    Un muslim chez les laïcardes

    Prière de rue topless devant l’ambassade de Tunisie à Paris, croix tronçonnée à Maïdan en Ukraine, cloches sonnées à Notre-Dame pour fêter la démission du pape Benoit : le mouvement Femen milite, entre autre, contre les institutions religieuses. Ousmane est musulman pratiquant. La cohabitation s’est pourtant faite très naturellement. Au départ, quelques règles simples ont été fixées : la prière ok, mais pas dans les parties communes ; les lardons sont cuits à part. Le reste, on en discute.

    Sur un mur trônent les coupures de presse qui racontent les actions Femen. Face à une photo d’activistes en train de mimer une prière de rue topless, Ousmane semble perplexe. Il demande :

    « Mais pourquoi vous faites ça ? C’est pas bien ! Il faut pas prier nues comme ça. »

    Esther lui explique la situation : trois activistes Femen étaient en prison en Tunisie après avoir mené une action en soutien à une jeune féministe, Amina, également emprisonnée. Elle lui montre la vidéo depuis sa tablette. Sur les images, Marguerite, Pauline et Joséphine portent un short et leur poitrine est barrée du slogan « Breastfeed revolution » . Les trois jeunes femmes en équilibre sur les grilles du Palais de Justice de Tunis s’égosillent : « Free Amina! Free Amina! » [Libérez Amina!]. Rapidement, on les voit se faire trainer, étrangler et arrêter par des hommes armés. Ousmane écarquille les yeux :

    « De la prison juste pour ça ?! Ils rigolent pas en Tunisie… »

    « En tout cas tu fais bien l’imam », conclut-il en me regardant. À la maison, les discussions sur les femmes et la religion sont nombreuses. « C’est quoi votre problème avec la religion en fait ? ». Ce qui pose problème dans la religion ce n’est pas l’idée d’une croyance en un Dieu, c’est la place de la femme dans ces religions, explique Marguerite. Ousmane a du mal à comprendre. L’activiste, cheveux courts teints en blonds, se lance : « Est-ce-que tu trouves normal, par exemple, que mon mari ait le droit d’avoir plusieurs femmes, mais que je n’ai pas le droit d’avoir plusieurs maris ? Ou que je doive me voiler mais pas toi ? » Ousmane explose de rire :

    « Mais le voile c’est pour les filles pas pour les garçons ! »

    Cette fois, les filles décident de changer de sujet. Ce jour là, Ousmane a une conjonctivite. Il m’apporte le collyre pour que je lui mette dans ses yeux. En me tendant le flacon, il me rappelle :

    « Il faut dire Bismillah avant. »

    Tous topless !

    Dans l’aile Femen du squat, Ousmane est le seul mec. Une présence masculine qui ne change pas les habitudes de vie des sept amazones. L’été est caniculaire. Une partie de la troupe a pris l’habitude de se balader en culotte. Elles demandent à Ousmane si cela le gêne. – « Non ». Au début Ousmane dévie son regard. Il garde aussi ses distances avec la piscine, installée sur la terrasse, lieu de prédilection du topless. Sur whatsapp, Gala m’envoie une photo prise en juillet 2015 sur cette terrasse. On la voit lunettes de soleil sur le nez, en culotte de maillot de bain, éclatant de rire tandis qu’Ousmane pose à côté, un sourire gêné aux lèvres :

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    « Tu vois ça ? Ça c’est la tête d’Ousmane quand il fait le timide. Il était tellement mal à l’aise au début. »

    « Au début, voir des seins c’était compliqué. Je n’avais jamais vu ça. Et puis je me suis habitué », se rappelle Ousmane en mélangeant la sauce tomate qu’il prépare pour accompagner l’attiéké qu’il nous prépare. Progressivement le jeune Ivoirien s’acclimate et ne semble plus remarquer la nudité.

    Un après-midi de juillet, Ousmane trouve un préservatif dans un tiroir de sa chambre. Il attrape le petit paquet métallique Skin, l’observe sous toutes ses coutures. « C’est quoi ça ? » Marguerite, l’air amusée, improvise un cours d’éducation sexuelle. « C’est aussi important d’en mettre pour ne pas faire de bébé. » Ousmane ne semble pas voir le rapport. Pour lui, c’est Dieu qui met les femmes enceintes. Marguerite et Esther échangent un regard avant de se lancer dans une explication qu’elles ne pensaient jamais avoir à donner à un ado de 16 ans : comment on fait les bébés. « On a fait des dessins tu sais : le petit spermatozoïde qui rentre à l’intérieur de l’ovule, tout ça. En fait on s’est rendues compte qu’il avait pleins de croyances issues soit de la religion soit de traditions orales », se rappelle Marguerite. Ousmane croit d’abord à une blague et refuse d’entendre les filles. Marguerite lui montre alors un documentaire qui finit de convaincre le jeune homme. Il demande tout de même à la fin :

    « Mais est ce qu’une femme peut quand même tomber enceinte si elle n’a jamais fait l’amour ? »

    La vie ensemble

    Au moment de son installation, nous avions établi quelques règles : faire sa vaisselle, ne dire à personne qu’il vit ici, ne dire à personne que nous vivons ici. Ousmane prend vite ses marques. Il nous apprend à cuisiner, passe des heures à faire ses exercices de lecture et d’écriture pendant que certaines bullent ou préparent les actions. Chaque jour, il fait ses prières sur le tapis que nous lui avons finalement offert. La prière collective du vendredi lui manque. Je lui propose de l’accompagner à la mosquée de Paris. Il accepte.

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    "Ensemble, on a partagé beaucoup." /

    Le soir, le benjamin de notre famille recomposée vient squatter les chambres pour mater des films américains en VF ou des documentaires sur Malcolm X. « C’est un mec qui est fort, qui dit la vérité et qui n’a pas peur de parler. Il parle de l’islam, de l’égalité. Il défendait les noirs. Je veux devenir comme lui un jour mais c’est pas facile. »

    La moindre discussion se transforme bien souvent en cours improvisé. Aujourd’hui c’est un cours de géographie qui est lancé sur le bar de la cuisine. Sur la lampe planisphère que l’on a sortie d’une chambre, Ousmane essaie de déchiffrer le nom des pays. Il y en a certains qu’il connaît déjà : Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger, Lybie, Italie, France. D’autres dont il entend beaucoup parler mais qu’il ne sait pas situer comme l’Ukraine. Presque chaque jour, ses colocataires lui donnent, à tour de rôle, des cours d’alphabétisation. En Côte d’Ivoire, il n’est jamais allé à l’école.

    A cette époque, Inna, leadeuse ukrainienne du mouvement, apprend le français. Elle qui refuse de nous parler en français de peur que l’on se moque et baragouine quelques phrases avec lui. Un midi, attablée dans la cuisine, elle lui raconte certaines de ses aventures : la fuite d’Ukraine, la torture en Biélorussie, son discours à Copenhague interrompu par des tirs de kalach. Ousmane pense qu’elle le fait marcher. Elle lui montre alors sur son iphone les vidéos. Face aux images il est d’abord pétrifié. On l’entend dire :

    « Oui c’est la liberté d’expression mais… Le point clé c’est le “mais”. Pourquoi continuons-nous à dire “oui mais” quand nous… »

    Des tirs retentissent et empêchent lnna de continuer. Ousmane la regarde abasourdi et rembobine la vidéo pour revoir la scène. Il n’avait visiblement jamais entendu parler de ces attentats. La vidéo d’Itélé continue. On entend la militante témoigner, quelques heures après l’attentat. Accoudé sur la table en formica vert, Ousmane se tourne vers Inna. « Tu pleurais, là? » « Non. » Il sourit et nous prend à témoin : « Elle pleurait ça s’entend ».

    Ousmane finit son attiéké et débarrasse la table. « Il y a des mots en français que je veux dire mais je ne sais pas comment les dire. », soupire-t-il. « J’ai appris beaucoup de choses. En fait Femen c’est pas que les droits des femmes, c’est le droit de tout le monde. La cause c’est pour les femmes, mais si tu regardes vraiment ça concerne tout le monde. »

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    Selfie time ! /

    La peur

    Il y a quelque chose que les activistes Femen partagent avec Ousmane : la peur. Pas la même. Mais elle rapproche tout de même. Un soir, en rentrant au squat de Clichy nous découvrons un tag sur notre porte :

    « On va vous tuer sale putes. »

    (img) “On va vous tuer” home.jpg

    Des policiers viennent constater les faits. Pendant la fouille du squat Ousmane répète en boucle :

    « Mais pourquoi ces gens font ça ? Qui fait ça ? Pourquoi on vous veut du mal ? »

    Il tchipe. Ce jour là, il réalise que la menace est concrète. Jusque là, malgré nos avertissements, Ousmane considérait notre squat comme une forteresse intouchable. Nous lui racontons cette nuit au Lavoir Moderne Parisien, ce théâtre où certaines d’entre nous se sont réveillées au beaux milieu des flammes. Nous lui racontons aussi cet homme qui a poignardé trois inconnus dans notre ancien QG, furieux de ne pas nous trouver sur place. Et les attentats du 7 janvier, lors desquels nous avons perdus plusieurs de nos amis, dont Charb qui a peint un des murs du squat.

    Un soir alors que l’on regarde un film d’action dans ma chambre, il me raconte ses insomnies. Il n’arrête pas de penser à cet ami qui était avec lui en Libye, parti quelques jours avant lui en promettant de donner des nouvelles :

    « Il y en a qui disent qu’il est mort. D’autres disent qu’il est en Italie. »

    Nous avons tous le sommeil léger. La police vient régulièrement dans les locaux pour vérifier que tout va bien. Ousmane n’aime pas trop ces visites et s’isole dans sa chambre. Lorsqu’il était en Libye, il a passé « un mois et trois jours » en prison, entassé dans une cellule avec d’autres sans-papiers. Nourri une fois par jour, à 3h du matin : une demie baguette et une conserve de sardine pour trois personnes. Contrairement à ses compagnons de prison il ne rêvait pas d’aller en Europe. Il voulait simplement gagner un peu d’argent en Libye avant de retourner chez lui. En sortant de prison, il se rend compte que les passeurs ne proposent pas de voyage retour. Déterminé à ne pas passer un jour de plus en Libye, il décide de suivre ses co-détenus et d’embarquer dans un bateau de fortune pour l’Italie.

    Pendant son séjour au squat, son avenir est incertain : il espère être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et ainsi aller à l’école et avoir accès à un logement. Nous vivons tous avec une épée de Damoclès au dessus de notre tête : l’expulsion du squat, prononcée par un juge en juillet 2014, peut être exécutée à tout moment.

    La vie continue

    Le 21 octobre 2015, un tribunal pour enfant lui accorde le statut de mineur isolé. Lorsqu’on lui a annoncé qu’il était enfin pris en charge Ousmane, bien que soulagé, semblait triste. « Il y a un problème ? », demande l’assistante sociale surprise de découvrir des larmes ce jour là. Plus tard, Ousmane nous explique :

    « Depuis que je suis en France, le seul endroit où je me suis senti bien c’était quand j’étais avec les Femen. C’était comme une famille, tout le monde s’occupait de moi. C’est mes mamans (rires), les remplaçantes de ma maman, elles me protègent et me rassurent. »

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    "Je ne peux pas laisser dire du mal de vous." /

    Afin de continuer à nous rendre visite, Ousmane insiste pour être logé à Clichy. Il est scolarisé à Montreuil, dans une classe de remise à niveau. À l’école Ousmane défend farouchement Femen :

    « Quand mes éducateurs ont appris que j’avais vécu six mois avec vous, ils étaient surpris et ont commencé à me poser plein de questions. Il y en a un qui m’a demandé si ça ne me dérangeait pas que les filles aillent dans des lieux sacrés et qu’elles étaient contre la religion. Je me suis énervé. Je ne peux pas laisser dire du mal de vous”

    Après l’accès à un logement social qu’il partage avec un autre mineur isolé – faute de places dans les foyers – Ousmane passe tous ces week-ends au squat. Un dimanche matin, alors qu’il a passé la nuit dans son ancienne chambre, il s’aperçoit qu’il a des dizaines d’appels en absence de son éducateur. Alerté par le colocataire d’Ousmane, le centre social s’inquiète de son absence. « Je me suis fait gronder par le directeur parce que je n’ai pas dormi chez moi. » Quand je rencontre le directeur, quelques semaines après l’incident, il m’explique :

    « Au début on ne comprenait pas pourquoi Ousmane retournait aussi souvent dans ce squat. D’autant plus qu’il nous avait décrit les conditions de vie là bas : il fait froid, il y a des incidents violents… Ça n’est qu’après qu’on a compris qu’il y avait trouvé un peu comme une famille d’adoption. »

    Octobre 2016. Pour des raisons de sécurité, les activistes Femen quittent le squat. Ousmane revient pour le déménagement. Il aide à découper un pan de mur sur lequel Charb a fait une fresque légendée « Femen Akbar ». Pour lui, « c’était hyper dur », rembobine Valérie qui habite les lieux jusqu’au déménagement :

    « Il essayait de trouver des choses auxquelles se rattacher. Des objets. Il voulait ramener n’importe quoi chez lui. Il était prêt à tout prendre, le moindre objet, jusqu’au papier toilette… Comme s’il pouvait emporter Clichy chez lui. »

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    Dolce vita. /

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