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    11/07/2017

    « Tout ça est fini. On est dégoûtés »

    A Saint-Denis, les habitants du squat l’Attiéké attendent l’expulsion avec amertume

    Par Asma Benazouz

    L’Attiéké, c’est fini. Pendant 4 ans, le centre social autogéré de Saint-Denis (93) a offert logis, coup de main et conseils juridiques à ceux qui étaient en galère. Suite à une decision de justice, il devrait être expulsé dans les prochaines semaines.

    Finis les cours, les conférences et les soirées à siroter des bières sur la large terrasse du 31 boulevard Marcel Sembat… Hakim, Hillal et Yassine le savent : l’Attiéké, le squat où ils ont élu domicile depuis plusieurs années, vit ses dernières heures. Après trois ans et demi de bataille juridique avec la Fédération Français de Triathlon, propriétaire des lieux, le verdict est tombé le 16 décembre 2016. Le tribunal d’instance de Saint-Denis a prononcé l’expulsion du centre social autogéré. D’abord prévue pour le 2 avril, elle est finalement reportée au 27 juin.

    Depuis, les policiers ne sont jamais venus et les habitants de l’Attiéké restent sur leurs gardes. Tous les matins, ils organisent des piquets de veille, de 6h à 9h du matin. « Nous le ferons tous les matins jusqu’à l’expulsion », prévient Denis, membre actif du collectif depuis sa création :

    « Et ce jour-là, nous ferons en sorte qu’il n’y ait aucune bavure et que les habitants puissent quitter sereinement leurs appartements. Jusqu’au bout, on veut leur montrer qu’ils nous font chier ! »

    C’est l’histoire d’un gitan, d’un malien et d’un algérien

    L’histoire de l’Attiéké commence en 2012, quand 3 copains, un gitan, un malien et un algérien, habitués des squats investissent le bâtiment. « C’est John-John lui-même qui a ouvert l’Attiéké », explique fièrement Yassine, 27 ans, chapeau noir écrasé sur son front. A l’évocation de ce souvenir, tous les habitants ont le sourire. John-John, c’est la légende du milieu des squats. La vocation du quarantenaire ? Briser les portes des locaux abandonnés de la capitale pour y accueillir de nouveaux habitants.

    Pendant quatre ans, sur trois étages et un sous-sol, les membres de l’Attiéké ont animé des ateliers de langues françaises, des permanences proposant une aide administrative aux personnes en situation irrégulières ou encore des ateliers de réparations de vélo. Le bâtiment se pense comme un véritable centre social, offrant l’aide à ceux qui en ont besoin.

    « Ici, on partage tout »

    Au troisième étage, une dizaine d’algériens se préparent à aller rejoindre les beaux quartiers pour la fête de la musique. Du haut de ses 36 ans et de sa taille frêle, Hilal est le caïd du palier. Il est arrivé en octobre 2014 après avoir obtenu l’asile politique. En Algérie, il était journaliste et opposant au régime. Les manifs, les arrestations, la menace terroriste, il connaît. Mais depuis qu’il est arrivé en France, l’Eldorado s’est transformé en cauchemar. Après avoir fait la plonge dans un restaurant italien, il se retrouve au chômage. Il a finalement trouvé refuge à l’Attiéké. « Quand on était au bled, tout le monde nous promettait de l’aide. C’est ici que j’ai trouvé une vraie famille. On est unis pour le meilleur comme pour le pire »,confie-t-il la voix voilée.

    Hakim et Yassine connaissent le parcours de leur ami. Les deux jeunes de 27 ans, diplômés respectivement de sciences du langage et d’un master en commerce, viennent du même village en Kabylie. Quelques années après, les retrouvailles ont eu lieu à Attiéké, par hasard. « Ici, on partage tout. Les cigarettes, l’alcool, les galères », s’esclaffe Hakim dont le rêve est de devenir enseignant de littérature française.

    « Tout ça est fini. On est dégoûtés »

    Au deuxième étage, c’est l’heure de la rupture du jeûne. Au milieu du salon, un drapeau français est accroché au mur. Sur le canapé, Ivoiriens et Maliens partagent un café avant de passer au plat de résistance. Boyé, 33 ans, coiffeur à Saint-Denis, a le cœur serré. D’ici quelques jours, ce squat qu’il a lui-même fondé ne sera plus qu’un lointain souvenir :

    « Tout le monde rêve de vivre ailleurs, d’avoir plus de confort. Mais on était heureux ici. On organisait des dîners, on passait nos soirées à danser. »

    « Tout ça est fini. On est dégoûtés », poursuit-il en relevant une des tresses qui tombent sur son front.
    Lui a prévu l’expulsion. Depuis la décision de justice, il vit en collocation à quelques encablures du squat. Mais il tient à passer ces derniers moments avec ses acolytes.

    Les habitants sont amers

    La nuit tombée, l’atmosphère est pesante à l’Attiéké. Et la chaleur, étouffante, n’aide pas à apaiser les esprits. Si les habitants sont résignés (la décision de justice est irrévocable), l’annonce de l’expulsion laisse un goût amer. José, cap-verdien de 39 ans au corps athlétique, interrompt un long silence.

    « On fait comment Boyé, hein ?
    – On va vivre José. On va vivre! »

    Les habitants de l’Attiéké sont tout de même prêts pour un dernier baroud d’honneur. Après le verdict rendu par la Cour d’Appel de Saint-Denis, le vice-président de la Fédération française de triathlon a débarqué à l’Attiéké. Il a eu droit à un accueil glacial. « Il voulait visiter l’immeuble pour évaluer l’état des lieux après nous avoir annoncé qu’ils nous expulsait », raconte Hillal, 36 ans, joues creusées et lunettes de soleil couvrant ses yeux couleur amande :

    « Nous l’avons empêché de monter. Cela s’est mal passé, c’est le moins qu’on puisse dire. »

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