Avenue des Champs-Elysées, 8e arrondissement – Devant les vitrines tape-à-l’œil de Louis Vuitton, un groupe de touristes japonais se retourne, stupéfait. Est-ce Nicolas Sarkozy qu’ils viennent de croiser, blouson sur le dos et barbe de trois jours ? L’ancien leader de la droite décomplexée aurait-il lâché le bling bling depuis qu’il a été mis sur la touche ? Eh non ! C’est juste Mohamed Otmane qui se balade peinard sur la prestigieuse avenue.
L’ex-commercial en lessive de 58 ans a l’habitude de semer le trouble sur son passage. Depuis 2010, il est devenu sosie de Sarko. Une profession nouvelle et pleine de débouchés : animation d’anniversaire chez les Dassault, bromance avec Nicolas Bedos et cinéma.
Star à domicile
Avril 2015, aux Champs-Elysées toujours, Mohamed arrive en taxi à une surprise party cossue. Il est payé pour rencontrer Serge Dassault qui fête ses 90 printemps :
« Ça l’a fait beaucoup rire. Et les invités aussi d’ailleurs. Bon après, je me suis un peu retrouvé tout seul. Mais bon, les petits fours étaient supers. »
Running gag, il avait déjà été embauché pour mettre l’ambiance aux 60 ans de Laurent Dassault.
(img) Mohamed et …
Pour un après-midi, son tarif moyen est de 150 euros. Pas de quoi quitter son taf. Souvent, on ne lui demande que quelques mots. Ce qui compte, c’est le look :
« Pour un événement à Cannes, on m’a demandé d’être en Ray Ban, short et t-shirt NYPD. Je courais avec deux gardes du corps. »
Et la Rolex alors ? « J’en ai une fausse, de loin ça passe. On se ressemble mais on n’a pas le même budget », blague le sosie. Il fait des prestations auprès de particuliers, amusés à l’idée de pouvoir recevoir l’ex président de la République à domicile. Certains sont même carrément fans. Comme cette grand-mère dont il garde encore un souvenir ému :
« Quand j’ai débarqué dans l’Ehpad [un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ndlr], en costume, et qu’elle m’a vu… Qu’est-ce qu’elle était heureuse ! Elle en a pleuré. On a bu le champagne ensemble. Même si elle n’était pas dupe, au final, ça lui a fait quelque chose. »
Quoi, ma gueule ?
Mohamed a vite eu son petit succès. Quand il a décidé de se faire un book et de s’inscrire dans une agence de sosies, les demandes ont afflué d’un seul coup.
« Ma chance, c’est que les sosies politiques sont rares dans l’hexagone, contrairement aux USA. »
Pourtant, rien ne prédestinait le vendeur de liquide vaisselle et de lessive dans la grande distribution à une vie de sosie politique. C’est son voisinage qui lui fait prendre conscience de son potentiel. Dans les rues du Raincy (93), on l’arrête à plusieurs reprises. La stupéfiante similitude des traits du père de famille avec celles du tout nouveau ministre de l’intérieur intrigue.
(img) BG
A l’époque, Mohamed ne s’intéresse pas à la politique : « Je me demandais qui était ce Sarkozy dont tout le monde me parlait. ». A partir de 2005, le phénomène s’amplifie:
« Après les émeutes et l’épisode des racailles au kärcher à Argenteuil, ça a pris une autre dimension. »
En 2007, Sarko est élu président. « C’est carrément devenu intenable », se rappelle Mohamed. Il ne peut plus faire un pas sans se faire alpaguer et s’habitue à entendre des « Casse toi pov’ con ! » sur son passage. Un « sarko-bashing » loin de l’effrayer. Au contraire, il décide d’incarner le rôle. Devant le miroir de sa salle de bain, il s’entraîne à reproduire les mimiques du président. A force, il maîtrise le fameux « jeté d’épaule » et le bonjour tout en chuintement, si caractéristique. Il se plonge dans la vie privée de Sarkozy :
« Je suivais ses aventures… Il fallait que je connaisse le nom de son bébé avec Carla, Giulia, pour pouvoir répondre du tac au tac aux gens qui me demandaient des nouvelles. Alors je feuilletais les magazines people dans les kiosques. »
Ces moments fugaces où il est pris pour l’homme le plus puissant de France sont des rushs d’adrénaline. Mohamed joue, sans chercher la ressemblance. Quand il a besoin de répit, il laisse pousser ses cheveux ou sa barbe. Par contre, en se glissant dans la peau de l’homme, il adhère aux idées du politique :
« Je me suis rendu compte de sa stature, son charisme servait des valeurs comme la nation et la famille, ça m’a plu. »
Podium
« Pendant les concours, les sosies de Johnny et de Cloclo étaient en larmes quand ils perdaient. Ils jouaient leur vie », raconte Mohamed, encore sous le choc. En 2010, il participe malgré les réticences de sa femme à Qui sera le meilleur sosie ? sur TF1. Il est un peu paumé entre les rockeurs de pacotilles et les moumoutes blondes. Sous le regard de millions de téléspectateurs, il se retrouve embarqué dans un duo très spécial :
« Je sortais d’une pseudo voiture présidentielle avec le sosie d’Angela Merkel et on saluait le public. »
Il se retrouve à donner un prix aux Molières 2015 avec Emmanuelle Devos. / Crédits : starway-agency
Malgré sa défaite – c’est finalement Joseph, le Kad Merad des Bouches-du-Rhône, qui a remporté la victoire -, Mohamed a gagné son quart d’heure warholien. Ces prime times sont un tremplin vers le show-business. Il se retrouve à donner un prix aux Molières 2015 avec Emmanuelle Devos. Il enchaîne avec une apparition dans la série Fais pas ci, fais pas ça. Et, surtout, il est repéré par Nicolas Bedos qui s’entiche de lui et l’invite pour plusieurs sketches sur On est pas couché. Les deux hommes deviennent potes :
« C’est simple, c’est le seul ami que je me suis fait dans le star system. Il sait qu’il peut m’appeler quand il veut. ».
La fin du rêve ?
L’ombre au tableau : la défaite de Sarko aux primaires. Une catastrophe pour Mohamed :
« C’est dommage mais c’était prévisible. Depuis, c’est sûr, j’ai de moins en moins de propositions… »
Sur le plateau d'ONPC ! / Crédits : starway-agency
Condamné à renoncer aux feux de la rampe, Mohamed ? Pas sûr… Même si Nicolas Sarkozy a quitté la scène politique, se recyclant comme administrateur d’Accor, le bilan de son quinquennat est encore à faire. Fin 2016, France 2 a besoin d’une reconstitution de la rencontre entre Sarko et Poutine pour le documentaire Le mystère Poutine. Dans le salon d’un luxueux hôtel parisien, il fait face au sosie français du président russe. Leurs silhouettes serviront d’illustration à l’humiliation du chef de l’état Français par son homologue du Kremlin :
« C’était plutôt drôle, surtout que le sosie de Poutine est adorable. »
Son espoir pour l’avenir : « Un biopic, ce serait ma chance ! ». En attendant, il savoure son premier (tout) petit rôle sur grand écran dans le M. et Mme Adelman de Nicolas Bedos. Car la comédie, M. Otmane en rêve sans oser y croire. « Mais comédien, politique ou commercial, c’est le même métier au final.» Philosophe, le retour à l’anonymat ne l’angoisse pas. Son seul regret, ne pas s’être fait offrir un déj’ au Fouquet’s :
« J’aurais dû en profiter ! ».
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