Saint-Denis (93) – « Je suis peut-être votre futur député ! », se présente Juan Branco, sourire séducteur au coin des lèvres. « Avec votre costume, j’aurais dit un agent immobilier », rétorque sèchement un jeune professeur des écoles, assis sur le bord d’un trottoir du boulevard Chanzy à Livry Gargan.
Le candidat aux législatives ne se démonte pas. Pour convaincre l’abstentionniste d’aller voter pour lui les 11 et 18 juin prochains, il lui déballe ses faits d’armes :
« J’étais collaborateur lors du procès de Zyed et Bouna. Je suis l’avocat de Wikileaks. Et si je suis venu ici, c’est pour me battre ! »
Ici, c’est le bout du bout du 9-3. Les gigantesques tours HLM se mêlent aux pavillons, en étau entre Paris et l’aéroport de Roissy. Plus de 125.000 personnes peuplent les six communes de la 12e circo’ de la Seine-Saint-Denis, qui englobe Clichy-sous-Bois, Livry-Gargan, Montfermeil, Vaujours, Coubron ou Le Raincy.
Au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon y est arrivé en tête avec 24% des voix suivi de près par Emmanuel Macron (23%) et Marine Le Pen (19%). Rien n’est pour autant gagné pour le jeune Insoumis de 27 ans, puisque ce score est de 10 points inférieur à la moyenne du département (34%).
Une campagne de terrain
Clichy-sous-Bois. La matinée de Juan Branco est déjà bien remplie. Avec une petite armée de 50 personnes, il sillonne depuis un mois les rues de la circo’ dans une petite twingo blanche de location. Rencontre avec les représentants religieux, sortie de lycée, tractage, porte-à-porte, il les enchaîne. Le brun aux cheveux ébouriffés l’a bien compris : il doit mener une campagne de terrain s’il veut espérer se qualifier au second tour des législatives. Surtout que la ville a enregistré un taux record d’abstention au second tour de la présidentielle (42%).
Quand t'attend tes merguez. / Crédits : Asma Benazouz
Et il est bien entouré. Dans son équipe, il compte autant sur ses camarades de grandes écoles que sur les rencontres qu’il a fait sur le terrain. Tous ont entre 25 et 35 ans. Walid, étudiant en prépa à Henri IV, en fait partie : « On tombe vite amoureux de la personnalité de Juan. Il est fédérateur et a le sens de l’engagement », explique le jeune homme de 21 ans, T-shirt en wax sur les épaules. D’autres militants sont plus ancrés dans la circo’. Nawful Mohamed a découvert Juan à la télé et a cherché à le contacter. L’activiste de 27 ans s’est ensuite retrouvé à arpenter la cité du Bois-Du-Temple pour persuader sa « zone » de voter pour l’avocat de Wikileaks.
« Mon engagement a commencé le jour de la mort de Zyed et Bouna »
Ses adversaires, eux, ont une longueur d’avance. Ils ont grandi ou sont déjà des élus locaux. Lui, n’a jamais vécu dans le 93 et doit faire ses preuves. « J’ai grandi dans les ghettos riches entre le 5e et le 6e arrondissement de Paris. » Devant un kebab, dans un petit resto’ du centre commercial du Chêne-Pointu, il se raconte :
« Beaucoup de personnes considèrent que leur engagement politique a commencé le 21 avril 2002. Pour moi, c’était le 27 octobre 2005. J’avais 16 ans. »
Ce jour là, Zyed, 17 ans et Bouna Traoré, 15 ans ont été retrouvés morts sur le site EDF de Clichy-sous-Bois. Ils tentaient de fuir un contrôle de police, lorsque 10 000 volts leur ont traversé le corps. La colère gronde pendant trois longues semaines dans toutes les banlieues de France. Juan participe aux manifestations.
Dix ans plus tard, il assiste Jean-Pierre Mignard, avocat des familles des victimes, en charge de l’affaire. Assis sur un banc du tribunal de Rennes, il live-twitte le procès. Mis bout à bout, ses tweets serviront à la composition du scénario “#zyedetbouna, le procès 2.0”:http://abonnes.lesinrocks.com/2015/05/19/actualite/zyed-et-bouna-le-proces-adapte-en-film-11748798/, film réalisé par Sihame Assbague, Noëlle Cazenave et Elsa Gresh.
Cette circonscription, il ne l’a donc pas choisi au hasard. L’homme a refusé Bordeaux, Avignon ou encore Saint-Denis, au profit de ce morceau du 93. « Je connais les lieux. Je venais souvent animer des conférences avec SciencesPo ZEP. » Il ajoute :
« Je voulais aussi représenter les communes de Clichy-sous-Bois, Montfermeil qui comptent parmi les communes les plus pauvres de France. Une chose est sûre : si je vais à l’Assemblée, c’est pour foutre le bordel ! » tonne-t-il en étirant les trois élastiques qui serrent son poignet.
Passion Jean-Luc
18h. À quelques pas de là, dans le quartier du Bois du Temple, les habitants ne tardent pas à l’accoster. Les jambes croisées en tailleur, le menton niché entre ses long bras, il relève la tête. Son visage fatigué laisse transparaître la jeunesse de ses traits. « Juanito », « Juan Pablo », ou encore « Jean-Luc », les Clichois n’ont pas encore tout à fait imprimé le nom de Juan Branco. « L’essentiel c’est qu’ils me reconnaissent au moins », se rassure-t-il, les yeux rieurs. La lutte contre la gentrification à Clichy et à Montfermeil, le projet du Grand Paris Express, l’employabilité des jeunes, autant de sujets qu’il aborde avec les riverains.
En tailleur-costard. / Crédits : Asma Benazouz
La boulangère, convaincue, accroche l’affiche du candidat sur sa devanture :
« Ils sont tous passés ici. C’est la première fois que j’en accroche une sur ma vitrine. »
« Si la France Insoumise obtient la majorité à l’Assemblée nationale, Jean-Luc-Mélenchon pourrait devenir premier ministre. L’imaginez-vous? », martèle le candidat insoumis à qui veut l’entendre. C’est lui, Mélenchon, qui lui a donné envie de faire de la politique.
Mars 2016. Juan Branco est l’invité du Supplément. Jean-Luc Mélenchon est présent sur le même plateau. Ce dernier tombe sous le charme du parcours bien garni du représentant de Julian Assange en France.
Du haut de ses 27 ans, né à Malaga en Espagne, Juan Branco est diplômé d’une kyrielle d’universités : SciencesPo, la Sorbonne, l’Ecole Normale Supérieure. Il enseigne également à l’université de Yale, dans le Connecticut Son père, Paulo Branco, est un acteur et producteur portugais reconnu, sa mère une psychanalyste espagnole. Le garçon est naturalisé français en 2010 :
« Ce qui nous a rapproché avec Jean-Luc, c’est le rapport à la langue, à la culture, à l’histoire. Mes parents ont fui la dictature espagnole et portugaise. Son discours m’a beaucoup ému. »
Après des mois d’échanges, Juan finit par rejoindre la France Insoumise. C’est le discours du 9 avril dernier, à Marseille, qui finit de le convaincre. Il écrit à l’orateur sur Whatsapp :
« J’ai attendu vingt-sept ans de ma vie pour entendre un tel discours, voir ma mère et ma sœur aux larmes de se voir parlées, dites, emportées. De notre petit village de pêcheurs à Marseille, de cet Estepona qui tenait Tanger en vis-à-vis à Paris, enfin le lien qui manquait. Celui de la parole. Merci »
Un fin connaisseur de la vie politique
Juan ne cache pas sa méfiance à l’égard de la politique. Et pour cause, il l’a côtoyée de très près. Il en garde un souvenir amer. En 2011, le jeune activiste s’engage contre la loi Hadopi. Il travaille à la Quadrature du net et participe à désamorcer le premier vote de la loi. Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, le répère. Elle le charge de trouver une alternative à la protection des droits d’auteur. Mais le projet est avorté et Juan, renvoyé.
Qu’à cela ne tienne, il s’envole en Centrafrique. Il décide d’enquêter sur les intérêts d’Areva et du gouvernement Français d’y intervenir militairement. Manque de bol, les rédactions parisiennes lui claquent toutes la porte au nez. C’est le moment où il reçoit un coup de fil du Quai d’Orsay. On lui propose un poste de collaborateur extérieur. Il raconte le regard voilé :
« Je comptais les morts en Syrie et j’écrivais derrière les discours de Laurent Fabius. Je me suis vite senti inutile. »
Président ou rien
Le 13 janvier 2014, il rencontre pour la première fois Julian Assange à Londres. Le lanceur d’alerte est alors confiné dans une petite chambre de l’ambassade de l’Equateur sur place. Les deux hommes doivent discuter des suites judiciaires de Wikileaks. Et le courant passe bien :
« On s’est bourrés la gueule ensemble ce jour-là. Il m’a montré les dents, les cheveux que les gens lui avaient envoyés.»
Une campagne de terrain. / Crédits : Asma Benazouz
Il ajoute après un rire :
« C’était un honneur de représenter un homme qui a fait l’histoire et qui se retrouve reclus dans une petite chambre à Londres, dont il ne peut pas sortir. »
Juan remonte la pente, trouve finalement son engagement, jusqu’à arriver à cette candidature France Insoumise. Mais il l’assure, son étiquette ne lui fera pas perdre son esprit de frondeur. Il se targue devant son équipe d’avoir un peu plus tôt envoyé une vidéo de lui à Jean-Luc-Mélenchon avec un groupe de cinq filles. Téléphone à bout de bras, ils prient ensemble le leader de la France Insoumise de venir à Clichy.
« Il m’avait promis qu’il viendrait. Je continuerai à lui envoyer des vidéos jusqu’à ce qu’il le fasse. »
Maladroit et imprévisible, ambitieux et obstiné, Juan a du plomb dans la tête. Avec un esprit de combat :
« Soit, je suis élu député, puis je suis ministre et président. Soit c’est rien. »
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