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    02/05/2017

    Radicalisation : et si fermer des mosquées était juste inutile ?

    Par Samir Amghar , Aladine Zaïane

    Alors que Marine Le Pen annonce qu’elle va fermer « les mosquées extrémistes » si elle arrive au pouvoir, le sociologue Samir Amghar explique pourquoi cela n’empêcherait en rien le phénomène de radicalisation, voire l’encouragerait.

    L’idée de fermer les mosquées part du postulat que certaines sont des lieux de la radicalisation. Des lieux où les individus décident de basculer dans la violence. Or les enquêtes de sociologues comme Sami Zegnani ou Omero Marongiu, démontrent que ce n’est plus le cas

    Les mosquées ne sont plus les lieux de la radicalisation…

    Les mosquées ne sont plus les canaux de transmission de la violence politique au nom de l’Islam. On n’y appelle plus au djihad. Ceci est un élément factuel très important qu’il faut garder à l’esprit.

    Dans les années 90-2000, certaines mosquées appelaient explicitement à la violence de façon très claire, mais depuis le 11 septembre 2001, les pouvoirs publics se sont rendus compte que ces lieux de cultes pouvaient représenter un risque et ont commencé à expulser les responsables de mosquées appelant à la violence.

    Du coup, même si on peut trouver des imams qui pensent que le djihad en Syrie est valable, on constate aujourd’hui un phénomène d’auto-censure. Dans ces lieux de culte, les responsables font pression sur les imams pour qu’ils adoptent un discours conforme aux attentes des fidèles et aux enjeux sociétaux actuels.

    Il est inconcevable que ces responsables n’aient pas briefé l’imam en lui disant qu’il y a une limite à ne pas dépasser.

    … pourtant on continue à penser que c’est le cas

    Les fermetures sont des décisions préventives. Il y a l’idée selon laquelle des individus se reconnaissent entre eux, se regroupent, discutent et évoluent ensemble vers la radicalisation dans les mosquées.

    La radicalisation est ici comprise comme un phénomène qui évolue par palier. Alors pour éviter à l’individu d’arriver à l’étape ultime, celle du passage à l’acte violent, on l’empêche de connaître la première ou seconde étape de ce cycle.

    On présuppose des individus qu’ils peuvent, dans ce lieu, se radicaliser. On est là dans un scénario à la Minority Report [dans ce film d’anticipation, le ministère de la justice américain, doté d’une section. «précrime», est capable de prévoir les meurtres]. On essaie d’anticiper les possibles passages à la violence.

    Une désincarnation de la radicalisation

    Je ne suis pas d’accord avec cette approche, car, premièrement, on tape à côté. Comme je l’ai dit précédemment, ce n’est plus dans les mosquées que l’on se radicalise. En 2017, nous sommes dans une sorte de désincarnation de la radicalisation.
    Aujourd’hui, c’est devenu virtuel, ce sont des rencontres entre individus par interfaces interposées qui déclenchent tout.


    « Ce n’est plus dans les mosquées que l’on se radicalise. Aujourd’hui, c’est devenu virtuel, ce sont des rencontres entre individus par interfaces interposées qui déclenchent tout »

    Samir Amghar, sociologue

    Les leaders charismatiques poussent au repli et à la radicalisation, dans des appartements, dans des conférences plutôt que des lieux de culte. Alors forcément, on comprend qu’il est beaucoup plus difficile d’identifier et de démanteler ces réseaux “interpersonnels” que ceux qui naissaient dans des mosquées.

    Pour expliquer cet entêtement à vouloir fermer des mosquées, il y a le contexte pré-éléctoral. Pour les responsables politiques français, il s’agit de montrer que l’on prend à bras le corps toute la question de la radicalisation.

    C’est devenu l’une des préoccupations majeure au lendemain de l’attentat du Bataclan : Il faut rassurer les Français. Les autorités ont décidé de réagir vite, au détriment de l’efficacité.

    Une rupture avec la communauté musulmane

    Il y aura des effets contre-productifs importants suite à la fermeture de ces mosquées qui peuvent être vécues comme une forme de discrimination pour certains membres de la communauté musulmane. Certains ont le sentiment qu’ils sont moins dérangés pour des raisons de terrorisme que pour leur identité islamique. Ce phénomène nourrit le sentiment de victimisation.

    Finalement, ces musulmans sont confortés dans l’idée qu’ils n’ont pas leur place dans cette société. Et pourquoi ? Parce qu’ils ont une pratique religieuse identifiée. Ces citoyens sont confortés dans l’idée que leur pratique pose problème.

    Cela crée un divorce entre les responsables politiques et une partie de la communauté musulmane. Ce sentiment peut aussi provoquer un basculement vers la radicalisation.

    Ils prennent conscience que c’est la religion et la pratique ostentatoire qui est problématique. On assiste alors à des stratégies d’adaptation dont le but est de rendre moins visible sa pratique religieuse : on évite de porter une longue barbe, une tenue traditionnelle musulmane en portant un pantalon.

    Comme le port de certains voiles est mal vu (jilbeb, burqa…), on porte un simple voile. On invisibilise sa pratique religieuse pour obéir à la norme dictée par les pouvoirs publics.

    Ces citoyens sont contraints de vivre comme des schizophrènes et, en même temps, ce comportement nourrit le fantasme chez les pouvoirs publics que, s’ils tentent de dissimuler leurs pratiques, c’est pour ne pas être identifiés comme dangereux.


    « Il y aura des effets contre-productifs importants suite à la fermeture de ces mosquées […] Ces citoyens sont contraints de vivre comme des schizophrènes »

    Samir Amghar, sociologue

    Cela à travers un concept qui a été développé par les chercheurs et repris par les autorités, celui de “takiya” : la “dissimulation”. Finalement les autorités se disent que ces musulmans peuvent être djihadistes aussi, car ils le cachent.

    Le salafisme, terreau du passage à l’acte djihadiste ?

    Gilles Kepel (Directeur de la chaire Moyen-Orient-Méditérranée à l’Ecole Normale Supérieure) présente le lien entre salafisme et djihadisme de la manière suivante : si on est salafiste, on est potentiellement amené à devenir djihadiste et à tomber dans la violence.

    Il établit un continuum entre pratique orthodoxe et ultra-orthodoxe de l’islam (comme le salafisme) puis radicalisation. Il est persuadé que la seule manière de lutter contre le djihadisme est de lutter contre les matrices idéologiques qui mènent à la violence. Donc, selon lui, il faut interdire le salafisme ou remettre en cause la présence sur notre territoire de cette idéologie.

    Mais, cette analyse qui peut être intéressante ne subit pas l’épreuve de la réalité. La forme la plus répandue du salafisme condamne de façon très claire la violence des djihadistes qu’il nomme «les chiens de l’Enfer». Ce salafisme ne prône pas la violence mais peut par son discours remettre en cause le vivre ensemble en refusant de reconnaître les valeurs dominantes de la société.

    Ce sont des communautés qui vivent en parallèle à l’ensemble de la société. Le djihadisme lui, est complètement différent, car il remet en cause ostensiblement la sécurité et l’ordre public.

    Le djihadisme est un problème politique mais on s’entête dans une approche psychologique

    Dans les années 70, l’Europe est confrontée à la violence des groupuscules d’extrême gauche qui ont fait 400 morts en 10 ans en Italie. On a considéré ce problème comme étant d’ordre politique et on y a répondu politiquement. On se disait que la seule façon était de passer par les syndicats et le parti communiste.

    En assurant une fonction tribunicienne et en portant les doléances de la classe ouvrière, ces structures ont empêché des individus d’être potentiellement séduit par le discours de l’extrême-gauche. Dans le monde arabe, les pouvoirs politiques se sont servis des partis islamistes légalistes pour faire barrage au djihadisme.

    S’agissant de la radicalisation islamique, on sous-estime la part politique au profit d’une approche psychologique. On se dit que ces individus ont opté pour la violence, parce qu’ils ne sont pas bien dans leur peau. Ces facteurs psychologiques jouent peut-être, mais pas uniquement.


    « S’agissant de la radicalisation islamique, on sous-estime la part politique au profit d’une approche psychologique. On se dit que ces individus ont opté pour la violence, parce qu’ils ne sont pas bien dans leur peau. »

    Samir Amghar, sociologue

    Une radicalisation réfléchie

    Lorsque l’on parle de radication, on a uniquement l’impression d’avoir affaire à des fous. D’où l’expression «les fous d’Allah». On refuse qu’ils aient pu choisir la violence de façon rationnelle. Or, si vous discutez avec ces individus qui décident de poser des bombes ou de partir en Syrie, ils développent tout un argumentaire qui justifie leur passage à l’acte. Voyez les revendications vidéos après les attentats de Coulibaly et des frères Kouachi.

    On a affaire à des personnes convaincues qui pensent que la violence est la seule issue possible. Ce sont des homo islamicus qui font un arbitrage entre le coût que cette action peut représenter pour eux et l’avantage qu’ils vont en tirer. Ce coût, c’est la mort. Et cela ne les dérange pas.

    Tous les mouvements révolutionnaires revendiquent cette notion de sacrifice suprême. Rien de nouveau, sauf qu’ici, l’avantage c’est le paradis. Donc finalement le calcul coût-bénéfice est rapidement fait pour eux.

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