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    10/04/2017

    Je me souviens de ma première nuit à la rue, j’avais 17 ans

    Par Mathias , Cynthia Dos Santos

    Après une violente dispute avec son père, Mathias se retrouve à la rue. Il découvre le froid, le bruit et la débrouille. Pendant 8 ans, il alterne les nuits dehors et celles au chaud chez un ami, une conquête ou une personne solidaire.

    Je me souviens de ma première nuit dehors comme si c’était hier. J’ai essayé de rentrer dans des immeubles en vain. Je suis allé sous un pont. J’ai mis ma capuche et je me suis allongé contre la terre. Il caillait. Je n’ai pas réussi à dormir. Je n’arrêtais pas de réfléchir, je m’énervais tout seul. Ça me gavait ce froid. Le matin, le bruit des voitures me prenait la tête.

    Comment j’en suis arrivé là

    Je me suis retrouvé dans cette merde quand ma mère est décédée d’une maladie et que mon père a trouvé une nouvelle femme. Elle a deux filles, dont une qui vit avec nous. On a commencé à se fréquenter elle et moi. Pendant un an, on a couché ensemble. Elle n’avait que 12 ans et moi 17. J’y reviendrai plus tard.

    Le truc, c’est qu’un matin, mon père est revenu chercher quelque chose à la maison et il nous a surpris. Il m’a frappé. Quand ma belle-mère est rentrée, elle nous a engueulés à son tour. Ils m’ont mis à la porte le soir même. Sans affaires, rien. J’ai dû me démerder pour trouver un toit dans le 94, à 22 heures.

    C’est dingue ce que les gens sont prêts à faire pour vous aider

    Parfois, je trouvais un logement chez un pote et je vivais comme tout le monde. Je pouvais me laver et j’empruntais des vêtements. J’ai eu beaucoup de chance. J’ai souvent été accueilli, j’arrivais à vivoter en passant de maison en maison.

    Quand tu n’es pas trop moche et jeune, les filles n’ont pas peur de toi. Tu en séduis une dans un bar et hop, l’affaire est réglée. Tu arrives à vivre chez elle quelques mois.


    « Sur le moment, je savais que je profitais de sa bonne foi et j’admets que maintenant je regrette.»

    Mathias, ex SDF

    C’est dingue ce que les gens sont prêts à faire pour vous aider.

    Il y a aussi eu les nuits dans les halls ou les cages d’escaliers

    Mais quand tu n’en trouves pas, c’est sous les ponts, dans les cages d’escaliers ou dans les halls d’immeubles que tu passes tes nuits. Quand je dors dehors je pue, je suis sale. Mais je ne suis pas alcoolique, je n’aime pas l’alcool. En revanche, je suis devenu dépendant aux drogues douces. Pour me payer la drogue, je fais la manche. Je gratte un peu de fric et quelques clopes.

    Aujourd’hui, j’ouvre volontiers ma porte aux personnes qui en ont besoin. Bizarrement, j’ai du mal à comprendre comment j’ai pu tenir huit ans comme ça.

    Cambrioler, voler, dealer

    Pour survivre j’ai du dealer, cambrioler et voler. Et les heures de garde à vue s’enchaînaient, mais avec un seul but : ne jamais finir en prison.

    C’était souvent le même rituel, le soir. Avec d’autres camarades, on passait devant une maison : je sonnais, personne ; une deuxième fois, toujours personne. Alors on passait à l’attaque à trois ou quatre, on entrait et on volait tout ce qui avait de la valeur. On n’avait pas peur de faire les objets imposants, comme des télés. On balançait des ordinateurs Mac par-dessus le portail, on sortait, on les cachait dans des buissons et on revenait avec des valises.

    On était grillés de loin avec ça, quatre gamins avec des grosses valises en pleine nuit… les passants se doutaient de ce qu’on faisait. Des fois on se faisait choper. Au début, tu flippes un peu puis après, tu sais comment ça marche. Soit t’avoues parce que de toute façon ton délit n’est pas assez important pour que tu risques quelque chose, soit tu nies en bloc parce qu’ils n’ont pas assez de preuves. Les flics, ils savent que t’es coupable, mais ils peuvent rien faire.

    J’ai décidé que c’était fini pour moi

    Mais un jour, je me suis dis que tout ça, c’était terminé. Je vieillissais et c’était hors de question d’avoir cette vie pourrie. J’ai commencé à chercher du travail. Boulanger, plombier, je me démerdais. Pas besoin de CV, j’y allais totalement au culot. Mais avec une situation aussi irrégulière que la mienne, les patrons ont dû mal à vous laisser votre chance. Je ne restais jamais plus d’une année au même endroit.

    Puis mon père est revenu vers moi. En voyant que je voulais m’en sortir, il m’a proposé de travailler avec lui. J’ai accepté. Financièrement, c’est mon père qui m’a sorti de la rue. Mais je lui en veux toujours. Je suis son fils et il m’a complètement laissé tomber pour sa nouvelle meuf.

    Quant à ma belle-mère, je comprends qu’elle ait voulu protéger sa fille. Maintenant on se reparle. On fait comme si de rien n’était. Je ne sais pas trop quoi penser de ce que j’ai fait avec sa fille… Comme sa fille était consentante, je sais que je n’ai rien fait de mal. Mais quand je raconte l’histoire, les gens me disent que c’est quasiment de la pédophilie. C’est vrai qu’elle était plus jeune, mais on s’entendait très bien. En fait, on est sortis ensemble pendant un an et on l’a caché à nos parents. On m’a dit que j’aurais pu être condamné.

    Je regrette totalement ce que j’ai fait

    Je regrette ce qu’il s’est passé. Si c’était à refaire, pour rien au monde, je ne revivrais toutes ses galères pour une petite amourette d’ado. Et je n’accepterais pas que mon fils fasse ce que j’ai fait. Pourtant, jamais je ne le jetterais à la rue pendant 8 ans.


    « J’avais envie de fonder une famille, ça m’a remis dans le droit chemin. »

    Mathias, ex SDF

    Quand j’ai rencontré la mère de mon premier enfant, ma vie a vraiment changé. J’avais envie de fonder une famille, ça m’a remis dans le droit chemin. Je ne veux plus être ce gars qui vit comme un SDF. Avec son salaire et le mien, on pouvait enfin louer un appart.

    Étrangement on s’ennuie vite dans cette vie où tout va bien, mais le passé reste derrière moi. Aujourd’hui j’ai deux enfants, un appart et je peux partir en vacances. Je suis fier de mon parcours.

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