La direction de la SNCF déteste ses propres agents. C’est une entreprise aujourd’hui qui précarise et qui discrimine. Elle a même déjà été condamnée plusieurs fois pour ça.
C’était le cas d’Édouard Postal, notre collègue, qui s’est jeté sous un train dans la nuit du 10 au 11 mars dernier à la gare Saint-Lazare. Les agents qui, comme lui, ont une santé fragile et sont reconnus travailleurs handicapés se retrouvent placardisés. Il n’avait pas de poste depuis quatre ans. Il était “en mission”, c’est-à-dire qu’il effectuait des petites tâches au bon vouloir des chefs, sans vision quant à son avenir professionnel.
Édouard est victime du management de la terreur
On connaissait bien Édouard, délégué du personnel et membre du CHSCT [Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail]. Il a subi près de 10 ans de harcèlement, contre lequel il s’est battu pendant de longues années. La SNCF a été condamnée aux Prud’hommes, pour discrimination. Le jugement a été confirmé en appel en 2015 : « Monsieur Édouard Postal a été victime de harcèlement moral ».
(img) Cliquez pour agrandir la conclusion de la Cour d’appel
Il pensait être tranquille, quand il reviendrait travailler. Il imaginait qu’il aurait moins de pression. Mais la direction a continué à s’acharner. Elle a déposé des plaintes abusives, classées sans suite. Elle l’a laissé sans poste, bloquant ainsi sa carrière, sans aucun respect des règles, ni humanité. Elle a poursuivi sa démarche jusqu’en Cour de cassation.
Non seulement la SNCF ne respecte pas la loi, mais elle entrave les instances représentatives du personnel. Elle discrimine les délégués syndicaux, mais aussi les agents lambda qui ne se réjouissent pas des réformes internes. Tous sont sanctionnés ou voient leur carrière bloquée.
Édouard, responsable opérationnel des services à la gare Saint-Lazare pendant 9 ans, était reconnu travailleur handicapé pour des raisons physiques (genoux, thyroïde). Il était en arrêt pour accident du travail depuis juillet 2016.
En 2012, les Prud’hommes condamnent sa direction pour « discrimination salariale et harcèlement ». La Cour d’appel a confirmé et alourdi ce jugement en mars 2015 avec discrimination, harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité. Il a obtenu 44.000 euros de dommages et intérêts.
Nouvelle étape en septembre 2016, quand la Cour de cassation annule l’arrêt de la Cour d’appel pour des motifs de forme et non de fond. La question du harcèlement est niée par l’entreprise.
« Ils sont responsables de la mort d’Édouard »
On ne va pas aller plus vite que la justice, mais le seul truc qui reste à discuter, c’est éventuellement le pourcentage de responsabilité de la direction dans cette histoire… Pour le reste on n’a aucun doute : ils sont responsables de sa mort.
Il y a un an, le chef d’établissement a fait intervenir « la direction de l’éthique et de la déontologie » – en clair, un cabinet noir de Pépy [PDG de la SNCF] pour « enquêter » sur Édouard et moi [Éric, l’un des deux auteurs de ce témoignage]. En fait, il s’agissait de monter un dossier à charge pour justifier des sanctions.
Dans le compte-rendu d’enquête interne, le directeur d’établissement, M. Teboul, polytechnicien et commandant de l’armée dans un service de renseignement, déclare qu’Édouard pouvait être un danger pour lui-même. Qu’a-t-il fait pendant un an ? Il l’a sanctionné et discriminé encore, sans lui donner de poste et malgré l’arrêt de la Cour d’appel.
Mercredi 29 mars, devant la gare Saint-Lazare à Paris, rassemblement de quelques centaines d'agents SNCF en hommage à Édouard et contre les méthodes de management de la direction. / Crédits : Sarah Lefèvre
Il devait être muté à Brétigny-sur-Orge, un mauvais souvenir pour tout agent SNCF [là où un train a déraillé, il y a quatre ans]. C’était une mutation disciplinaire.
Il était de plus en plus mal à l’approche de cette sanction. Il ne voulait pas quitter le secteur de Saint-Lazare. Il connaissait tout le monde ici. Il avait même des certificats médicaux qui préconisaient de le laisser dans son environnement. Tous ses amis ont remarqué sa montée de stress et d’anxiété.
Édouard avait refusé de baisser le regard
Ce qu’on lui reprochait ? Littéralement de ne pas avoir baissé le regard. Et ce rapport dans lequel le chef d’établissement déclare qu’Édouard est un potentiel danger pour lui-même, explique aussi qu’il mettait la direction en souffrance, parce qu’il ne baissait pas le regard et qu’il écrivait des courriers !
Il était délégué du personnel, il avait à cœur d’agir pour ses collègues et de faire respecter la sécurité au sein de l’entreprise. Or, quel est le rôle du représentant du personnel, si ce n’est que chacun rentre entier chez soi et que l’entreprise laisse ses salariés dans l’état où elle les a trouvés ?
« Il faut savoir que plus de 30 pourcents des travailleurs handicapés de l’établissement sont en mission, qu’ils n’ont pas de poste »
Éric Bezou, agent SNCF et délégué FO
C’était primordial pour lui. Il se battait contre les discriminations dont il avait été lui-même victime. Il faut savoir que plus de 30% des travailleurs handicapés de l’établissement sont en mission, qu’ils n’ont pas de poste. Nous avons un organisme en interne qui est un peu comme notre Pôle emploi à nous. Ces agents sont totalement débordés, tout simplement parce que les agents sans postes sont de plus en plus nombreux.
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