Quand j’ai commencé ma carrière, j’étais enseignant dans ma Bretagne natale, dans un établissement « classique ». Sans vraiment savoir pourquoi, je me suis retrouvé à vouloir enseigner dans un établissement en « ZEP », en banlieue parisienne.
J’ai atterri à Goussainville, au lycée Romain Rolland. 17 ans plus tard, le lycée va sortir de ce dispositif et va perdre tout ce qui nous a permis de réussir. Cela ne doit pas arriver.
Avant c’était la galère
Lorsque je suis arrivé, c’était fréquent de voir des profs absents pendant des semaines, sans être remplacés. Je suis un des rares survivants de cette période noire. Aujourd’hui, c’est devenu très rare. Il y a une série de petits détails qui ont permis au lycée de devenir un symbole de réussite.
On dispose aussi d’heures supplémentaires pour les devoirs avec les élèves, ça me permet de bosser tranquillement avec eux, en effectifs réduits.
Avoir des conditions adéquates pour enseigner correctement, c’est primordial. Avoir 30 élèves par classe au lieu de 35, ça semble être une très légère différence, mais elle est importante pour la classe et pour les professeurs. Même au niveau des copies.
Grâce à ce dispositif, j’ai pu donner plus de devoirs à mes élèves, afin de les aider à progresser. Être professeur, ce n’est pas qu’un rôle dans l’établissement.
Notre lycée est parmi les 10 meilleurs du département
En tant qu’enseignant en ZEP, je touche aussi une prime qui varie entre 90 et 110 euros par mois. Ça me fait quand même 1000 euros en plus à la fin de l’année. Supprimer cette prime, ça m’embêterait, mais pas sur le plan économique.
C’est plutôt un symbole, une reconnaissance de mon travail. Les gens ne s’en rendent pas compte mais on dépense beaucoup d’énergie à travailler pour la réussite de ces élèves.
En 2004, on a commencé à ressentir les premiers effets positifs du programme : Dominique De Villepin a reçu 3 élèves du lycée, pour les féliciter de leurs notes au bac.
On a réussi à classer le lycée Romain Rolland parmi les 10 meilleurs du Val-d’Oise, et j’en suis fier. Pourtant j’ai toujours des élèves qui me disent :
« On est ici parce qu’on est des “cassos”, on est cons. »
Ils ne sont pas cons. Pour être objectif, oui, ils ont un niveau inférieur qu’ailleurs.
L’état veut nous sortir de ZEP
Ce lycée va sortir du dispositif ZEP et perdra ses avantages. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’État et l’Éducation Nationale considèrent qu’on n’a plus besoin de toutes ces aides financières et humaines, qu’elles devraient être accordées à d’autres écoles.
À Goussainville, le taux de réussite attendu au bac est de 81 % : ce chiffre est estimé en fonction des origines sociales des élèves notamment. Et pourtant, on obtient 92 % de réussite. C’est une grande réussite, mais impossible sans tout ce système.
Je veux faire réagir le plus possible : en Octobre, j’ai voulu organiser une réunion avec les parents d’élèves et les professeurs, on a distribué environ 5.000 tracts au marché, à la gare, au centre commercial pendant plus d’une semaine.
Lors de cette réunion, je me retrouve avec 50 personnes, dont 30 parents. C’est déjà énorme. C’est épuisant aussi. On a fait de nombreuses actions mais elles n’ont eu que peu d’écho, c’est dommage.
Valls et Vallaud Belkacem ont refusé de nous voir
Avec d’autres professeurs, je suis allé à un meeting de Manuel Valls pour tenter de l’interpeller sur notre situation, personne ne souhaitait nous recevoir. Les élus de la ville ont fait remonter nos plaintes au Ministère et notre député a même demandé audience à Najat Vallaud-Belkacem, sans suite.
On était attendus, il y avait un certain nombre de membres du service d’ordre du PS. Certains collègues se sont vu refuser l’accès. J’ai pu rentrer. J’ai du me taper les discours, puis après 10 minutes, un collègue a voulu intervenir. La sécurité est arrivée à ce moment-là, je n’ai pas tenté de protester physiquement, sinon ça aurait fini en bagarre.
J’ai aussi occupé le bahut avec certains collègues et des élèves de terminale. Un soir, je suis resté avec les volontaires et j’ai donné cours jusqu’à ce qu’on se fasse sortir du lycée par la direction, vers 21 heures. Ça a vraiment agacé mes supérieurs.
Par nature, l’administration va être du côté du Ministère de l’Éducation et pas du nôtre, pourtant l’ancien proviseur était avec nous. Mais tout a basculé avec le changement de proviseur. Je me suis senti isolé et un peu abandonné.
Je veux changer l’image de ce Lycée
Pour moi, ce ne sont pas les profs qui font un lycée, ce sont les élèves. Parfois, c’est dur de bosser mais je m’y suis habitué. J’ai tenu bon. Durant 17, j’ai donné le goût du travail à mes élèves. J’ai vu ce lycée évoluer grâce au dispositif.
Je veux que les gens oublient la vision qu’ils avaient de cet établissement, lorsqu’il était au plus bas, quand 1 élève sur 5 obtenait son bac. Je souhaite qu’ils voient ce que nous avons fait.
C’est une fierté pour moi d’avoir enseigné dans cet établissement, je suis toujours content de croiser d’anciens élèves qui me disent avoir été heureux de leur scolarité dans ce lycée et qui aujourd’hui réussissent leurs études supérieures.
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