M, Pépy, les arguments avancés pour le démantèlement des trains de nuit sont toujours un peu les mêmes. Votre intervention sur France Inter est donc une merveilleuse occasion de revenir sur le sujet.
Laissez-nous donc reprendre point par point à votre argumentation.
Argument 1 : « Du temps ou les trains de nuit existaient, il n’y avait pas énormément de monde dedans, sauf les vendredis et dimanches »
Il arrive souvent que, même en semaine, tous les trains de nuit affichent « complet ». Ici le jeudi 27 octobre 2016, à la gare de Paris-Austerlitz. / Crédits : @bb_8620
D’après les rares chiffres disponibles, les taux d’occupation sont bons, surtout au vu du manque de promotion commerciale sur les trains de nuit. Par exemple, la ligne Paris-Irun, dans le pays basque, affiche fréquemment complet et enregistre des taux d’occupation de 80 % durant l’été.
Ce résultat est d’autant plus remarquable que la SNCF fait tout pour décourager les voyageurs. Par exemple, assez souvent, on ne peut, réserver sa place que 15 jours avant le départ du train, contre 2 ou 3 mois pour les autres trains. Pourtant les voyageurs de nuit sont ceux qui réservent leurs trajets le plus en amont.
Pour justifier le démantèlement des trains de nuit, l’État avance toujours le même argument :
« – La fréquentation est en baisse de 25% depuis 2011 ».
Or, depuis 2011, il y a justement moins de lignes, moins de jours de circulations, moins de wagons. Comment le nombre de voyageurs pourrait-il donc se maintenir ? C’est le serpent qui se mord la queue.
Argument 2 : « Ils font perdre 100 millions d’euros au contribuable chaque année »
Tous les moyens de transport ont un coût pour la collectivité. Tout dépend de la façon dont on présente ces dépenses. Les routes, par exemple, coûtent 16 milliards d’euros par an au contribuable. Les liaisons aériennes bénéficient chaque année de plus d’“un milliard d’euros d’exemptions fiscales et d’aides”:http://www.rac-f.org/IMG/pdf/CE_Delft_7C52_Indirect_subsidies_for_domestic_passenger_air_transport_in—-.pdf en France. La Ligne à Grande Vitesse (LGV) Tours-Bordeaux a coûté à elle seule près de 8 milliards d’euros, et risque de générer 180 millions par an, de déficit. Le tout pour « gagner » une heure sur un aller.
D’ailleurs M. Pépy, vous admettiez le même jour sur France Inter le coût important de la LGV Tours-Bordeaux :
« – Dans nos comptes cela va se traduire par une perte, […] ce sera déficitaire. L’important c’est ce que ça va apporter au pays et ce que ça va apporter aux clients. »
Dans ces conditions, pourquoi exiger aux Intercités de nuit de ne rien coûter au contribuable ? Rappelons qu’ils permettent de désenclaver de nombreuses villes moyennes, ainsi que des zones de montagnes.
Pour sa part, la Cour des Comptes rappelle que les Intercités sont beaucoup plus proches de l’autofinancement (75% d’autofinancement) que les TER (35%) et les Transiliens (38% d’autofinancement). Heureusement, il n’est question de supprimer ni les routes, ni les TER, ni les Transiliens.
Argument 3 : « Depuis qu’ils ont disparu, […] c’est dingue le nombre d’amateurs et de fans des trains de nuit »
Manif' des usagers du train de nuit à la gare de Lourdes, dans les Hautes-Pyrénées, le 17 mars 2017. / Crédits : ANV Hautes-Pyrénées
La mobilisation a du succès, merci de le reconnaître ! Nous sommes nombreux à vouloir relever le défi climatique et à vouloir voyager de façon responsable. Les transports sont désormais les premiers émetteurs de CO2 et le premier consommateur d’énergie (plus de 30% du total national). La multiplication des déplacements en aviation et la prédominance de l’automobile, particulièrement énergivores, représentent une menace pour le climat.
Pour répondre à ce problème, l’État et la SNCF soutiennent principalement les LGV, des projets très onéreux et longs à mettre en place. Le train de nuit est au contraire plus rapide à installer et coûte beaucoup moins cher. Il peut desservir les villes moyennes, les territoires ruraux et assurer des liaisons transversales (qui ne passent pas par Paris) oubliées par la Grande Vitesse. Le train de nuit est aussi plus confortable que l’autobus. Il a donc une place à retrouver dans l’offre de transports.
Argument 4 : « Mais c’est un peu tard, il aurait fallu les utiliser avant »
Après la COP21, c’est précisément le bon moment. La transition écologique c’est maintenant !
Argument 5 : « Ils disparaissent […] dans toute l’Europe »
Certains pays, au contraire, font le choix de relancer le train de nuit. L’Autriche redéploie un réseau de nuit par l’intermédiaire de son entreprise publique ÖBB.
Itinéraires du train de nuit de la compagnie autrichienne du rail, ÖBB Nightjet /
Grâce à une communication mettant en avant leurs avantages environnementaux, ces lignes ont remporté un franc succès en seulement quelques mois. L’autofinancement serait atteint et ÖBB réfléchit à l’extension de son réseau vers la Hollande. La Suède et la Finlande ont également relancé leurs trains de nuit avec succès. Il suffit de le vouloir, non ?
Argument 6 : « Les hôtels pas chers ont remplacé les couchettes »
L’argument de l’hôtel reste un prétexte : la SNCF connaît les avantages des voyages de nuit. Elle fait rouler des bus de nuit dans toute la France. Et, comme elle manque d’Intercités de nuit, elle fait aussi rouler des TGV de nuit vers les Alpes, par exemple. En tout cas, l’hôtel + le TGV coûtent généralement plus cher que le seul train de nuit !
« Avec la suppression des trains de nuit, c’est toute une frange du pays qui se trouve exclue : Tarbes, Pau, Rodez, Foix, Carcassonne, Narbonne… et même Toulouse, Perpignan et Nice ! »
Collectif « Oui au train de nuit »
Argument 7 : « Avec l’arrivée du TGV, quand on vous dit : “il faut faire 9 heures pour faire Paris-Marseille”, il y a peut-être des gens qui se disent qu’il y a un TGV qui le fait en 3 heures »
L’offre de nuit n’est pas à opposer à celle de jour. Le train de nuit arrive tôt le matin à destination, ce que le TGV ne permet pas pour les distances supérieures à 750 km. De plus, de nombreuses villes moyennes du sud ne sont pas desservies par la Grande Vitesse. Avec la suppression des trains de nuit, c’est toute une frange du pays qui se trouve exclue : Tarbes, Pau, Rodez, Foix, Carcassonne, Narbonne… et même Toulouse, Perpignan et Nice« !
Pour toutes ces destinations, voyager pendant notre sommeil est donc un moyen d’optimiser le temps ! Profitons donc de l’occasion pour encourager la SNCF dans sa nouvelle priorité : remettre en état les lignes classiques afin que les Intercités puissent eux-aussi rouler plus vite ! Sur une voie modernisée, les futurs Intercités pourront rouler jusqu’à 200km/h, une vitesse très concurrentielle par rapport à la route !
Argument 8 : « Moi, j’ai la nostalgie des trains de nuit ; mais oui, maintenant on est dans un nouveau monde »
Il y a 50 ans, tout le monde pensait que le tramway et le vélo étaient dépassés. Or, ils sont de retour et remettre en route un train ou un tramway est compliqué et onéreux. Il y a donc urgence à ne pas se débarrasser des trains de nuit et à prendre conscience de tous leurs avantages.
La Région Occitanie l’a bien compris puisqu’elle a conclu un accord avec l’État pour faire circuler à nouveau le Paris-Perpignan-Port Bou, suspendu le 10 décembre 2016. Les négociations pour le maintien du Paris-Tarbes-Irun pourraient également aboutir. Saluons cet effort et poursuivons la mobilisation !
Pour retrouver l’enquête de « Oui au train de nuit » sur les dysfonctionnements et le potentiel des trains de nuit, cliquez ici.
Pour signer la pétition du collectif contre la disparition de ce moyen de transport, c’est ici.
A lire aussi : « Ode aux trains de nuit (qu’ils veulent supprimer) »
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