Hier matin [lundi 13 mars], deux policiers m’ont emmené du centre de rétention [du Mesnil-Amelot, attenant à Roissy Charles de Gaulle] jusqu’à un poste de police dans l’aéroport.
Lundi 13 mars, Farhad devait monter dans un avion direction la Norvège, pays par lequel il est entré en Europe et qui a refusé sa demande d’asile. Avec à la clé un renvoi en Afghanistan par les autorités norvégiennes.
Après l’expulsion avortée de Farhad, le jeune traducteur afghan a porté plainte auprès du procureur de la République de Meaux, mardi 14 mars, pour « violences volontaires de la part de personnes dépositaires de l’autorité publique ».
Streetvox a pu consulter sa plainte ainsi que le certificat médical, réalisé le 14 mars, par l’un des médecins du centre de rétention : « érosions cutanées » et « douleurs » au niveau des vertèbres cervicales, ainsi que des difficultés à mobiliser la partie supérieure de sa colonne vertébrale.
Les policiers ont commencé par m’attacher les mains avec des menottes et les chevilles avec des bandes adhésives. Ils m’ont ensuite scotché les poignets aux chevilles. J’étais complètement immobilisé. Je pouvais tout juste marcher.
« Les policiers ont commencé par m’attacher les mains avec des menottes et les chevilles avec des bandes adhésives. Ils m’ont ensuite scotché les poignets aux chevilles »
Farhad, réfugié afghan
Totalement ligotté, encadré par 4 policiers, dans un avion vide
Les agents de police m’ont ensuite conduit via un couloir VIP de l’aéroport jusqu’à l’avion encore vide. Deux autres policiers en civil nous ont rejoints. Ils étaient quatre policiers à m’encadrer.
Je disais aux policiers que je ne rentrerai pas en Afghanistan, que je n’irai pas en Norvège non plus. Ils me disaient :
« Be quiet, be quiet, don’t talk to the people »
Je leur répondais que c’était leur boulot, que je savais qu’ils n’avaient pas le choix et qu’ils devaient m’emmener dans cet avion. Mais je leur répétais que je ne partirai pas.
Alors ils m’ont menacé. Il m’ont dit que je devais rester très calme, que sinon ils allaient me frapper.
J’ai expliqué à l’équipage et aux passagers ce qui m’attendait
Dans l’avion, ils m’ont fait m’asseoir tout au fond. Deux flics se sont assis à côté de moi. L’un à ma gauche, l’autre à ma droite.
Je reste calme, je n’élève pas la voix, comme ils me l’ont demandé. Ils continuent à me dire que je n’ai pas intérêt. Je répète aux policiers que je ne partirai pas en Norvège. Je leur dis que ça n’arrivera pas. C’est dans ce pays que je suis arrivé en Europe. C’est là que l’on a relevé mes empreintes pour la première fois. C’est là aussi que l’on a refusé ma demande d’asile. Ils me renverront à Kaboul, une fois arrivé à Oslo. C’est déjà arrivé à d’autres réfugiés Afghans avant moi.
Si l’avion est vide, l’équipage est déjà là et je m’adresse en anglais au steward. Je lui explique la situation, lui dis qu’en Norvège, ils vont me renvoyer en Afghanistan, que c’est comme ça que ça se passe.
Le steward me répond qu’il comprend, mais qu’il ne peut rien faire.
Au moment où les passagers entrent dans l’avion, je commence à élever la voix, à leur expliquer :
« S’il vous plaît, dites quelque chose. Vous avez le droit de refuser que je décolle avec vous. Ils veulent me renvoyer en Norvège d’où je serai ensuite expulsé vers l’Afghanistan. Refusez que cet avion décolle, s’il vous plaît. »
Les gens s’assoient. Dans un premier temps, les passagers restent très calmes. Ils ne savaient sans doute pas quoi faire.
Les policiers m’ont étranglé, frappé à la tête, à la mâchoire, dans les côtes
Je continue :
« Please people, help me. Please, do something ! ».
Les policiers me couvrent la tête avec un casque. Ils me disent de me calmer et me frappent à la tête, à la mâchoire ; ils m’envoient des coups de coude et des coups de genou sur les côtes.
« Les policiers me couvrent la tête avec un casque. Ils me disent de me calmer et me frappent à la tête, à la mâchoire. »
Farhad, réfugié afghan
Puis un policier met son avant-bras sur ma gorge au niveau de la pomme d’Adam. Ils exercent une pression très forte qui m’empêche de parler, mais aussi de respirer. Il m’étouffe.
Les agents me répètent :
« Be quiet, be quiet. »
Une passagère s’est levée
Une femme s’est levée. Elle est venue voir les policiers, mais je ne la comprenais pas. Elle parlait français, et je comprends très mal. Je sais qu’elle était en colère et qu’ils se sont engueulés. Ils ont tous les deux haussé le ton.
Juste après, les policiers m’ont serré fort le cou. Je suffoquais. Je n’arrêtais pas de tousser. J’ai cru qu’ils allaient m’étouffer. Il me criaient dessus :
« Shut up, shut up. Don’t talk. »
Ils m’ont découvert la tête parce que je ne pouvais plus respirer. Ils continuaient à me frapper. J’ai demandé de l’eau. Je n’arrêtais pas de tousser. J’étais très mal à ce moment-là.
Le pilote a refusé de décoller
Avant de décoller, le pilote, alerté de la situation, est venu nous voir et a dit aux policiers qu’il refusait de décoller tant que je serai encore dans l’avion. Les policiers ont insisté, mais ils ont dû me faire descendre, juste avant le décollage.
Et on est retournés au poste de police, près de l’aéroport. Sur le chemin, ils n’ont pas arrêté de me dire que j’allais rentrer en Afghanistan, que je n’allais pas y échapper. Ils m’ont menacé. Ils ont vidé la bouteille d’eau que le steward m’avait donnée par la fenêtre. Ils m’ont dit que je ne méritais pas de boire.
« Je veux savoir si en France on a le droit de nous traiter comme ça ? »
Farhad, réfugié afghan
L’un des policiers appuyait fort sur mon épaule avec son coude. Je lui disais que ça faisait mal. Je leur demandais pourquoi ils faisaient ça. Qu’est-ce que je leur avais fait ? J’avais toujours mal au cou. Ils m’ont dit que je n’allais pas y échapper, que j’allais retourner en Afghanistan, que j’allais pleurer.
Ils étaient très violents. Je leur ai dit que j’allais porter plainte, que j’allais demander à un juge s’ils avaient le droit de me frapper comme ça. Je veux savoir si en France on a le droit de nous traiter comme ça ?
On est arrivés au poste de police, j’ai dû y rester 30 minutes en tout. Ils ont continué à me dire que j’allais rentrer en Afghanistan, que j’allais le regretter.
Ils ne m’ont pas laissé aller voir le médecin
Une fois de retour au centre de rétention, j’avais toujours mal à la gorge et à la nuque. Je voulais aller voir le médecin. Ils ont refusé que j’aille le voir, ils m’ont poussé dans le couloir. Je ne le méritais pas.
Les droits de l’homme n’existent pas en Europe, ce n’est pas vrai. Comment peut-on encore en parler, alors que l’on nous frappe comme des bêtes ? Je vais continuer à me battre. Je n’abandonnerai pas.
J’ai porté plainte pour « violences volontaires »
J’ai réussi à y aller aujourd’hui [mardi 14 mars]. Le médecin m’a examiné, mais qu’est-ce qu’il peut faire hormis me délivrer le certificat médical qu’il m’a délivré ? J’ai mal dormi cette nuit, tant je me sentais mal. Personne ne fait rien pour mon hépatite B et mes calculs rénaux. Cela fait des mois que je suis malade.
Même si je ne sais pas ce qui peut m’arriver aujourd’hui ou demain, je sais que je ne retournerai pas en Afghanistan. Plutôt mourir.
Ce mardi 14 mars, j’ai porté plainte auprès du procureur de la République de Meaux pour violences volontaires de la part de personnes dépositaires de l’autorité publique ».
Il faut dire aux Français qu’ils ont le droit de dire non, de réagir quand ils sont dans ces avions où l’on expulse des gens comme moi.
Vous avez le droit de refuser que l’avion décolle avec nous.
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Cela fera 30 jours samedi 18 mars que Farhad est enfermé dans un centre de rétention. Il devrait par conséquent repasser devant le juge, avec trois possibilités à la clé :
- La préfecture qui l’a arrêté pour la première fois dans le Pas-de-Calais ne demande aucune prolongation et il est libéré.
- Le juge décide lui-même de le libérer.
- Le juge prolonge son séjour au centre de rétention administrative (Cra) du Mesnil-Amelot de 15 jours. La durée maximale dans un Cra est de 45 jours.
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