Lille, Quartier Vauban – « Je pense que cet endroit existe depuis toujours », s’exclame Guillaume, jeune homme charpenté et barbu, en passant une des haies qui permet de rejoindre le Jardin Vauban. Le parc, installé à deux pas du centre-ville, est réputé pour son lac, sa grotte et ses vastes pelouses. Le soir, il est aussi l’un des lieux de drague les plus fréquentés de la cité nordiste. « Le jardin ne correspond pas à cette image du lieu glauque qui peut marquer l’imaginaire collectif », interrompt Guillaume.
Habitués des lieux
Voilà une décennie que Guillaume est installé dans le Nord. Le trentenaire a entendu parlé de ce lieu par le biais des associations LGBT de la région. Après une enfance passée à la campagne, le jardin Vauban lui offre la possibilité de rencontrer d’autres gays et de poursuivre son cheminement pour assumer son homosexualité. « Cet endroit m’a fait beaucoup de bien », explique le professeur de droit de 33 ans. Aujourd’hui, il y retourne pour se déconnecter de la ville, sans intention de draguer :
« Il y a ici une ambiance très forte, très équilibrante. Tu peux rester invisible un bon moment, à la différence d’un bar où tout est très impliquant car tu dois adopter un rôle social bien défini. »
Simon, éducateur spécialisé installé dans le Nord depuis 6 ans, fréquente aussi régulièrement le lieu :
« Ce qui me plaît, c’est de savoir que c’est un lieu public que l’on s’approprie le temps d’une nuit pour nos pratiques. Et puis, on ne sait pas qui l’on va rencontrer, ni ce qui va arriver. C’est assez excitant. »
Une fois la nuit venue
La nuit tombe sur le parc. Le bruissement de feuilles contraste avec le ronronnement des moteurs. « Attention au ruisseau », fait remarquer Guillaume alors que l’on pénètre dans le Jardin Vauban. Il regarde à droite, puis à gauche. Le jeune mec reste discret afin de ne déranger personne. « Dans la grotte là, c’est un des lieux principaux pour les parties de groupe. » A l’intérieur, l’obscurité oblige à se déplacer en tâtonnant. C’est souvent entre 1h et 3h du matin que les usagers arrivent.
Au Jardin Vauban, comme ailleurs, des règles bien établies régissent les interactions. « Tu vois la grande maison là-bas ? Avant, c’était le seul endroit éclairé du parc. Ceux qui osaient se montrer attendaient toujours ici ». Pour la drague, le premier contact passe toujours par un regard, décrypte Guillaume :
« Si la personne te suit, te regarde, c’est qu’elle est intéressée. Il y a une véritable sensualité dans ce jeu d’approche et de séduction. »
Au fil des saisons, les comportements changent. « Plus il fait froid et plus la séduction est rapide » poursuit Guillaume, en souriant. Simon, lui, a rencontré plusieurs usagers avec qui il s’est très bien entendu. « Je me rappelle d’un mec que j’avais rencontré au Jardin. C’était l’été, il faisait très chaud », rembobine le jeune homme à la voix douce :
« On avait passé beaucoup de temps à discuter, puis on s’est revu le lendemain. J’ai rencontré ses amis par la suite. Finalement ça n’a pas marché, mais c’était une histoire sympa. »
La nuit, c'est noir / Crédits : Pierre Gautheron pour Hans Lucas
Des jeunes… et surtout des moins jeunes
Au Jardin Vauban, la moyenne d’âge des usagers tourne autour de 30 ans, selon les habitués. Même si certains sont bien plus jeunes ou bien plus âgés. Les premières fois, Simon était effrayé à l’idée de ne rencontrer uniquement que des personnes âgées. « Chez les homos, l’âgisme [discrimination envers les personnes âgés, ndlr] est très prégnant », explique Guillaume :
« L’obscurité leur permet de paraître plus jeune et de continuer à avoir une vie sexuelle »
Pourtant, « les raisons qui poussent les gens à venir ici sont nombreuses », poursuit le jeune homme :
« Certains mènent une vie hétéro et ne peuvent pas draguer ailleurs. Pour d’autres, c’est un moyen de se découvrir et d’assumer son homosexualité. Il y en a aussi qui viennent parce qu’ils ressentent un sentiment de solitude extrême. »
Plutôt tranquille
« Peu de personnes passent de nuit dans le parc. En général, on est plutôt tranquille », raconte Simon. Il assure que 30 à 40 personnes peuvent se rencontrer chaque nuit. En août dernier, les habitués du Jardin Vauban ont pourtant été dérangés par un nouveau type de promeneurs nocturnes… Les chasseurs de Pokémon :
« Partout, on voyait les petites lumières des écrans de téléphones. J’en rigole maintenant, mais sur le coup c’était très gênant ! »
Il arrive pourtant que les quiétudes du parc soient interrompues par des visiteurs moins bien intentionnés. Selon Guillaume, des « homophobes » débarquent parfois en groupe dans le parc pour faire les gros bras…. Mais aussi pour mater :
« Une fois, j’en ai vu un qui regardait partout, comme intrigué et curieux »
Quant à la police, elle ne lèverait pas le petit doigt. Les rondes nocturnes s’arrête à la lisière du jardin selon Guillaume.
Abandon des pouvoir publics
Si à Lille, tout le monde semble connaître l’existence de ce lieux de drague informel, Guillaume et les autres souffrent de l’abandon manifeste de la part des pouvoirs publics. Contrairement à d’autres pays de l’union européenne où le phénomène est bien plus encadré. « En Angleterre par exemple, les policiers patrouillent en gilet rose pour montrer qu’ils ne sont pas des ennemis », raconte Guillaume :
« Se battre pour que les lieux de drague soient reconnus socialement est l’un des moyens de lutter contre l’homophobie ».
Pour pallier ce manque, une poignée d’usagers se sont regroupés au sein du collectif « Les amis du Jardin », dont fait partie Guillaume. Chaque année, celui-ci organise des débats et des rencontres :
«Notre but, c’est d’avoir un contact direct avec les pouvoirs publics pour déconstruire les tabous autour de l’homosexualité et des lieux de dragues. Il faut expliquer que coucher avec un inconnu n’est pas un problème. »
Dur dur de faire entendre raison à la mairie quand on est un petit collectif. La dernière bisbille en date ? Un projet d’installation de barrières autour du jardin. « C’est le pire qui pourrait arriver aux usagers », détaille Guillaume. Car le jardin pourrait devenir un piège qui se refermait sur eux en cas de danger.
Les barrières dissuaderaient aussi d’autres promeneurs de venir. Car le jardin est aussi un endroit de balade nocturne. La légende voudrait qu’un vieil homme, bien connu des oiseaux de nuit, vienne marcher dans le jardin quand le soleil se couche :
« Il doit avoir 70 ans. C’est une figure du parc, rassurante pour les usagers. Je sais que certains vont lui parler et vident leur sac. »
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