Boulogne-Billancourt (92) – « J’ai voulu créer l’endroit qui me manquait » raconte Roxane, le sourire jusqu’aux oreilles. La jeune femme de 27 ans vient de poser la touche finale à son projet de librairie afro, Lis Thé Ratures, dans une galerie commerciale au bout de la ligne 9.
Les étagères ne sont pas encore tout à fait remplies et ça sent encore le neuf, mais le lancement a déjà fait des heureux au sein de la communauté afro de la capitale et des environs. Attablée dans la salle qui fait office de salon de thé, Roxane s’enthousiasme :
« Ça fonctionne beaucoup au bouche-à-oreille. L’évènement pour l’inauguration a tourné sur Facebook et dans les réseaux militants, du coup, pas mal de monde a répondu présent. Beaucoup sont revenus après. »
Welcome ! /
Monter sa propre librairie
Romancière et libraire, Roxane bosse depuis ses 19 ans pour de grandes enseignes culturelles :
« Il y a clairement un manque, même une absence de la littérature afro dans ce genre d’espaces. A l’inverse, on a des rayons immenses de livres américains, alors que la clientèle américaine en France est minime… »
A force de batailles avec ses supérieurs, elle parvient à faire installer une table de bouquins afro et fait venir des auteurs pour des conférences et des dédicaces. Mais l’initiative passe mal :
« Un jour, mon cher collègue du rayon BD est carrément venu me dire que je faisais du communautarisme. C’est fou ça, dès qu’on essaie de rééquilibrer la balance, on nous accuse de communautarisme. Personne ne dit ça pour les auteurs blancs… »
Et les choses ne vont pas en s’arrangeant. Le conflit s’envenime avec ses collègues :
« C’est clair que parler des questions de racisme, d’égalité, ça fout une mauvaise ambiance dans une équipe. Alors forcément, j’ai été marginalisée. »
Lassée des combats permanents, elle démissionne. Mais avec une idée derrière la tête : monter sa librairie à elle.
Avec l’aide du Groupement des jeunes créateurs parisiens, elle monte son business plan, fait son étude de marché :
« A Paris, deux-trois librairies font un bon boulot, comme Présence Africaine et l’Harmattan mais c’est à peu près tout. Et puis ailleurs que Paris, n’en parlons même pas. »
Boulogne est le compromis idéal, « à la fois dans et hors de Paris ». Surtout, la ville du 92 compte très peu de librairies par rapport à son nombre d’habitants.
P'tite déco. /
Changer les mentalités
Mais le cheval de bataille de Roxane, c’est l’évolution des mentalités :
« C’est con mais quand je lis un roman, j’imagine toujours des personnages blancs, il faut changer ça. »
Blogueuse référence du milieu afro, Mrs Roots, qui est passée plusieurs fois dans la boutique, partage le constat :
« Il faut clairement faire bouger les choses. Par exemple quand est-ce qu’on arrêtera de mettre Aimé Césaire dans la littérature étrangère ? »
Et tout ça commence par la jeunesse. Leur rayon consacré, avec des BD, des contes, marche du tonnerre : « J’ai plein de parents qui viennent avec leurs enfants ! Le fait d’organiser des lectures plait beaucoup aussi », sourit Roxane.
Problème, encore une fois, le manque de référence en France. La jeune femme est même obligée de se faire livrer certains bouquins depuis l’Afrique !
Mais la libraire estime qu’on est sur la bonne voie :
« Les outils éducatifs sont plus sains aujourd’hui que ceux que j’avais quand moi j’étais gamine. »
A terme, Roxane aimerait également ouvrir sa propre maison d’édition, histoire d’avoir un impact plus important dans le milieu de la littérature qu’elle considère encore « trop conservatrice et élitiste » :
« La demande est là. Il ne manque plus que l’offre. »
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