Rue Gabriel Péri, Saint-Denis (93) – « Un film par une femme noire, consacré aux femmes noires, avec exclusivement des femmes noires, ça n’avait jamais été fait. » Amandine Gay savait dès la genèse de son documentaire, Ouvrir la voix, « qu’il y aurait une forme de retentissement ». L’objectif de la réalisatrice de 32 ans, rendre à ces femmes la parole, qu’elle leur estime confisquée :
« Il existe une forme de condescendance, comme si un expert est essentiel pour parler de nous. Mais nous sommes les expertes de notre vie. »
Capture du film Ouvrir la Voix. / Crédits : Ouvrir la voix
Connue pour être une voix forte de la cause afro fem’, elle a réuni près de 17.400 euros sur kickstarter, pour financer ce travail long de trois ans :
« Il y avait un besoin à représenter les Afro-descendantes noires dans toutes leur complexité et diversité. »
Dans son doc, vingt-quatre Françaises et Belges témoignent face caméra. L’ambiance est intimiste, le résultat brut et poignant.
« J’ai appris que j’étais noire en primaire »
Assise à l’une des tables en bois du Coop Pointcarré, un concept café de sa ville-QG de Saint-Denis, Amandine Gay se rappelle d’une jeune fille en classe de 3e venue la remercier durant les premières projections :
« Ca avait l’air d’être un soulagement pour elle de constater que son expérience était commune à plusieurs autres femmes. »
Elle espère d’ailleurs voir son film servir d’outil pédagogique dans les collèges et lycées.
Les chapitres du film sont calqués sur le parcours de la réalisatrice depuis le jour où elle découvre qu’elle est noire. « J’étais en primaire. » Amandine Gay a été adoptée. Sa mère est instit’ et syndiquée, son père cantonnier. Tous les deux blancs. Un jour, une de ses camarades de classe refuse de lui prendre la main à cause de sa couleur de peau :
« Là, j’ai eu deux infos : je suis noire et en plus c’est assez grave pour qu’on ne me prenne pas la main. »
Infantilisation et hypersuexalisation
Etre une femme noire, c’est souvent cumuler les discriminations. Même en 2017. Dans le film, elles parlent même d’infantilisation. Un exemple ? La fascination des gens pour les cheveux crépus… Une des participantes résume son expérience :
« Ca m’arrive régulièrement qu’on me touche les cheveux sans mon autorisation. Est-ce qu’on imaginerait toucher les cheveux d’une personne qu’on ne connaît pas ? C’est entrer dans l’intimité. »
Vient aussi, dès l’adolescence, l’hyper-sexualisation. Tigresse, panthère… Des qualificatifs animaliers récurrents liés aux clichés sur les femmes noires, selon Amandine Gay :
« Ca nous l’entendons à partir de 14 ans, quand nous ne sommes même pas en âge sexuel. C’est choquant pour une enfant ! Comme si une femme noire était obligatoirement une bête de sexe. Les “tu dois être une tigresse au lit”, nous sommes nombreuses à l’avoir entendu. »
« Je ne veux pas jouer des noires »
Le doc revient également assez longuement sur la place des femmes noires dans les métiers de l’art. Du vécu encore. Après un master en sociologie à Science po’ Lyon, elle rêve de brûler les planches et décide d’entrer au prestigieux conservatoire d’art dramatique du 16e. Elle est dans sa vingtaine et se rend vite compte qu’on ne lui propose que des rôles de femmes noires pauvres, prostituées ou avec un accent :
« Je ne veux pas jouer des noires, je veux juste jouer. Et je n’ai aucune envie de renforcer les stéréotypes en acceptant cette situation. »
Elle se lance alors dans la scénarisation de séries et de film. Manque de bol, elle y rencontre les mêmes problèmes et stéréotypes qu’au théâtre.
Osez l’afro-féminisme
En parallèle, la jeune femme se lance dans l’activisme. Le féminisme, d’abord. Pendant un an et demi, elle milite à Oser le féminisme. « Ma plus grande erreur qui fait rire tout le monde », débriefe-t-elle aujourd’hui en rigolant. Sur les combats LGBT notamment, elle ne se retrouve pas dans la ligne de l’asso. « Encore une fois, on n’écoutait pas les concernées. » Déçue, elle claque la porte et décide d’avancer en franc-tireuse :
« J’ai une pensée en mouvement. Être dans un parti oblige à garder la position du groupe. Ca ne me correspond pas. »
Depuis, elle se retrouve davantage dans l’afro-féminisme. Sur son blog, badassafrofem, elle se définit comme « afro-descendante, noire, née sous X, cis, afroféministe, pansexuelle, anticapitaliste, antiraciste, anti-hétéronormativité, agnostique, afropunk, pro-choix (avortement, voile, travail du sexe), body-positive ».
From Canada with love
Les vingt-quatre femmes qui ont adhéré au projet racontent leur expérience de vie, plus ou moins proche de celle d’Amandine Gay. Les vécus s’entrecoupent sans toujours se ressembler. Reste cette question, à la fin du film : rester et braver la discrimination, ou partir ? La réalisatrice à fait son choix. Il y a quelques mois, elle a décidé de migrer au Canada, où elle peut étudier les genres et races – catégorie sociologique non reconnue en France. Fatiguée, elle a finalement mis de côté le militantisme :
« Il y a un temps pour tout dans la vie. Il y a quelques années, j’étais super fière de descendre en pleine nuit avec mes pochoirs. Maintenant je trouve qu’en pleine nuit il fait froid et que je suis bien chez moi. »
Elle a décidé d’agir autrement. Aujourd’hui elle veut poursuivre ses recherches et documenter les luttes. Ouvrir la voix n’est finalement qu’une première production. Elle voudrait maintenant parler pêle-mêle de l’adoption, des lesbiennes noires, des maladies mentales mal acceptées dans la communauté noire francophone, prouver le manque de diversité dans les choix scénaristiques du CNC aussi. En somme, le combat continue.
Après plusieurs projections en France, Suisse et Belgique, elle espère pouvoir assurer une sortie nationale à l’automne prochain.
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