Marine Tondelier: « A Hénin, le FN intimide en permanence les élus d’opposition »

Alors, c’est quoi la vie d’une élue d’opposition dans une mairie FN ?

On va dire que c’est un apprentissage de la vie politique en accéléré ! Il y a d’abord les insultes qui me visent moi, mais ça me glisse vraiment dessus. Surtout quand j’imagine le mec tout seul derrière son écran ça me fait bien marrer.

Briois [le maire FN d’Hénin-Beaumont] se sert de thèmes comme les Roms ou les migrants pour son fond de commerce électoral. Quand je suis allée à Grande-Synthe [où se trouve un camp qui abrite 1.200 migrants] pour donner de la nourriture aux réfugiés, le maire a partagé une photo de moi en disant « Regardez cette élue qui pratique la préférence étrangère systématique, c’est la honte de notre ville » Il y a plein de commentaires vraiment nauséabonds.

C’est pareil pour les autres élus d’opposition ?

Oui ils font pareils avec les employés municipaux, les journalistes, les élus… Le truc, c’est que si tu as décidé de pas baisser la tête, si tu franchis la ligne rouge qu’eux-mêmes ont tracée, là ils essayent de t’intimider et de t’isoler.

Ils ont aussi un site anonyme, « La Voie d’Hénin », charger de « ré-informer les habitants » ils balancent des fausses rumeurs sur mon compte. Ils se servent de ça pour te faire peur.

Comment ça se passe les conseils municipaux ?

Dès que j’ouvre la bouche en conseil municipal, ils font siffler les 200 personnes du public, qui sont à 95% pro-FN. Quand on a examiné la motion commune anti-migrants , j’ai clairement dit que j’y étais opposée car ça allait à l’encontre de nos valeurs. Et un mec du public a dit le plus calmement du monde qu’il fallait un couteau pour me faire taire. Absolument personne n’a réagi.

Sympa…

Oui Briois en conseil, c’est vraiment un chauffeur de salle. Parfois t’as vraiment l’impression d’être en meeting Front National payé aux frais du contribuable, donc t’entends leur truc habituel sur le grand remplacement, les migrants qui prennent le travail des Français…

Toi t’es au milieu de ça avec un peu l’impression de pas avoir été invitée à la bonne fête et quand tu essayes de répondre, parce que c’est quand même le but d’un conseil municipal, le public va te siffler, mais quand c’est Briois, ils applaudissent.

C’est complètement contraire au code général des collectivités territoriales qui précise que quand tu es dans le public, tu n’as pas le droit de montrer ton approbation ou ta désapprobation. Normalement c’est au maire de faire respecter ça, mais bien sûr il n’en fait rien.

Quelles sont ces idées que véhicule la mairie ?

Dans le Nord on a vraiment un FN qui ne dit pas son nom, contrairement à celui du Sud qui va faire campagne sur des trucs plus rances et racistes. Quand Steeve Briois fait campagne, il se présente comme le fils spirituel de Jean Jaurès. Il a même son buste dans son bureau ! Il s’adapte à l’environnement local. En même temps, il faut voir d’où on vient dans cette ville, après un maire corrompu comme Gérard Dalongeville, c’est facile pour Briois de se positionner comme le chevalier blanc.

Il refait les trottoirs, il s’occupe bien des finances, il organise beaucoup de fêtes populaires. Mais ça c’est le visage souriant du Front National.

En dessous du masque souriant, il y a le vrai FN. Récemment on a eu l’arrêté anti-mendicité qui a été invalidé en début de mandat, « la commune sans migrants » qui est un peu étonnant pour un héritier de Jaurès.

Surtout il y a une manière de traiter la presse, les associations qui ne rentrent pas dans le rang ou certains employés municipaux.

L’exemple des caméras de surveillance installées dans la mairie est symptomatique.) Quand ces caméras sont apparues dans le hall, sans que personne ne soit prévenu, les syndicats, surtout la CGT, sont montés au créneau et la mairie les a laissé parler à la presse, distribuer leurs tracts… Puis la mairie a expliqué que de toutes façons ces caméras n’étaient pas branchées. Sauf que personne ne le savait, du coup l’ambiance était très bizarre, tout le monde baissait les yeux. Le but c’est vraiment de faire peser une chape de plomb sur cette ville.

L’essentiel est qu’on pense qu’ils puissent le faire. C’est de la pression psychologique pure et simple.

Du coup, comment vous vous opposez à la politique du maire ?

Premièrement, on veut leur faire comprendre qu’on ne se laissera pas intimider et que le boulot qu’on fait, c’est normal.

Ensuite, quand une décision est préjudiciable à la ville, on attaque en justice. Je l’ai fait contre l’abattage d’arbres centenaires. Mon collègue communiste a porté plainte concernant la crèche de Noël dans la mairie. La Ligue des Droits de l’Homme, dont les locaux avaient été fermés au tout début du mandat, l’a fait sur l’arrêté anti-mendicité…

Et ça marche ?

Le problème c’est que même quand une décision de justice va dans notre sens, le maire va dénoncer une justice gauchiste. En fait, toute mauvaise nouvelle ils la transforment en force.

Comment ça se passe les relations avec les habitants ?

J’ai la chance d’être du cru comme on dit. Toute ma famille vient d’Hénin-Beaumont, on me connaît ! Alors même quand le FN essaye de me faire passer pour une bobo-parisienne-gauchiste, les gens ont bien compris que c’était une technique de manipulation.

Quelques fois on vient me faire des reproches imaginaires qu’ils ont entendus au FN, mais je sais rester calme et les envoyer bouler tranquillement.

Quelles sont les choses prévues dans les mois à venir ?

En mars je sors un livre justement sur la vie dans une commune FN. Il y a mon point de vue en tant qu’élue mais aussi celui de quelques habitants qui ont accepté de témoigner. Il y aura bien évidemment des choses organisées à la sortie de ce livre.

Surtout, la campagne pour les législatives va bientôt commencer. Je serais sûrement candidate, comme en 2012.