Je kiffe mon Merco noir avec ses jantes chromées. Je suis mon propre patron et je suis fier de ma réussite. Enfin presque réussite… Tout ce dont je vous parle c’est le côté visible de l’iceberg, mais en coulisses, je fais moins le malin. Surtout depuis qu’Uber a montré un visage moins cool qu’au départ. Malgré tout, mon investissement financier et le challenge que ça représente me poussent à aller au bout, avec ou sans Uber.
Mon histoire ressemble à celle de nombreux mecs de quartiers populaires. D’abord les études, pour avoir un diplôme et faire quelque chose de ma vie. En 2007, je me suis lancé dans une filière Science et Technologie de la Gestion (STG), parce ce que je me disais que c’était un secteur qui payait bien. L’argent j’y pensais grave, surtout parce qu’il manquait à la baraque. Du coup j’ai dû stopper les études en classe de 1e, pour en faire rentrer. Je me suis débrouillé comme je pouvais.
Uber c’était le feu, tu cartonnais
En 2012, j’étais préparateur de commandes. Je bossais dur. Au final le patron m’a sucré toutes les heures supplémentaires. « Travailler plus pour gagner plus ». La bonne blague. Alors j’ai décidé de devenir mon propre patron et j’ai monté une boîte de VTC. Il y a deux ans, Uber c’était le feu, tu cartonnais ! Lorsque j’ai sollicité mon banquier pour un prêt avec un bizness plan béton, il m’a clairement fait comprendre que ça n’allait pas être simple : « T’es le quatrième ce mois-ci qui vient me voir pour une boîte de VTC… » Mon dossier et ma tchatche ont fini par le convaincre. J’ai réussi après plusieurs mois de discussions à obtenir mon prêt.
Amine et son merco aux jantes chromées / Crédits : DR
J’étais fier en recevant le feu vert de la banque. Mais après un an d’activité j’ai commencé à déchanter. La tarification ne me permet pas d’être rentable. Je vais faire une course pour 5 euros, eux prennent leur commission de 25%. Il ne me reste presque rien ! Je dois aligner 12 ou 15 heures de travail pour dégager un petit bénéfice d’une centaine d’euros par jour. Un collègue, récemment, a fait un grave malaise à cause de ce surmenage. Cette tarification low-cost a aussi tiré la qualité du service vers le bas. Je vois des chauffeurs qui ne prennent même pas la peine de s’habiller correctement. Certains sont en survêtement. D’autres retirent les boissons et friandises de leur véhicule.
« Uber ne me permet pas d’être rentable, mais fermer ma boite me reviendrait aussi cher que l’ouverture »
Amine Kamli, chauffeur VTC MEA Prestige @streetvox
Alors pourquoi je continue ?
Alors pourquoi je continue vous allez me demander ? C’est un challenge personnel que je me suis fixé. Entreprendre, monter mon propre business et en vivre sans rien attendre des autres. Et puis il y a mes engagements financiers. Je me suis engagé dans cette voie avec toutes les charges financières que cela comprend. Monter mon entreprise m’a coûté de l’argent et la fermer me reviendrait 3 fois plus cher que sa création. Je suis pris en tenaille.
Il y a encore quelques mois l’ubérisation c’était : « c’est génial c’est un vecteur d’emplois pour la banlieue, blablabla… ». C’est faux ! Ca nous a juste rendus plus pauvres et plus dépendants. Beaucoup de gens méconnaissent l’envers du décor. En fait, ils pensent qu’on a la belle vie et que tout est rose.
Ils ne savent pas que le matin on se lève sans savoir combien d’heures on va rester dans nos voitures pour gagner notre vie. Ils ne savent pas que le matin quand on sort de chez nous, on est susceptibles d’avoir un problème avec un client et ainsi de se faire déconnecter sans raison de la plateforme. Aucune protection sociale, aucune retraite : on bosse sans filets !
« Les gens ne savent pas que le matin on se lève sans savoir combien d’heures on va rester dans nos voitures pour gagner notre vie. »
Amine Kamli, chauffer Uber @streetvox
Aujourd’hui, pour m’en sortir, je démarche des clients en dehors d’Uber. Je cherche des contrats avec des entreprises ou des hôtels. Depuis le 7 décembre en signe de protestation face à la hausse des commissions je n’ai pas bossé pour eux.
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