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    05/01/2017

    Il y a 12 ans, il était condamné à tort. Aujourd’hui il rêve de brûler les planches.

    Prison, ministère de l’écologie et théâtre : les trois vies de Youssef Zouini

    Par Edouard Richard

    Entre ses 19 et 24 ans, Youssef est passé par la cavale, la prison, le cabinet du ministère de l’Écologie et le cours Florent. Pour StreetPress, il revient sur son passage en prison et sa difficile réhabilitation.

    Le rendez-vous est pris devant un café de Beaubourg, Youssef est en avance. À la terrasse du bistro, sous les lampes chauffantes qui tournent à plein régime, il déballe son histoire. Le jeune homme a le phrasé d’un avocat. Il parle avec ses mains, pointe du doigt, tape du poing. Il est habité par ce qu’il lui est arrivé. Il se souvient de tout : les noms, les fonctions, les dates, les lieux.

    Youssef a 19 ans quand il est condamné à 10 ans de prison pour un braquage qu’il n’a pas commis. Le jeune mec passe 4 ans en préventive avant d’être acquitté. Le mitard, le désespoir et les codétenus chelous… il a tout vécu à l’ombre. Une fois dehors, son histoire émeut Jean-Louis Borloo qui lui propose un job au Ministère de l’Ecologie. Mais Youssef a d’autres plans pour la suite :

    « Quand je sors de prison, je prends le premier train pour aller passer le concours à Florent… »

    Comment se passe ton premier jour en prison ?

    Le premier soir à l’isolement, je n’ai pas réussi à fermer l’œil. Je me suis dit que j’avais perdu la première mi-temps mais que j’allais gagner le match. De toute façon, la preuve de mon innocence est dans le dossier.

    Assez rapidement, je me mets à écrire des lettres pour clamer mon innocence. J’écris au procureur, à Rachida Dati, Nicolas Sarkozy, Jean-Marc Ayrault [à l’époque maire de Nantes, ndlr]. En tout, 475 courriers ! Le vaguemestre [responsable du service postal de la prison, ndlr] vient me voir et me dit : «Youssef tu me fais chier avec tes lettres ». Il n’en pouvait plus de descendre à l’isolement me faire signer et de devoir les envoyer. Mais c’est tout ce qui me restait pour m’exprimer.

    Comment tu te retrouves à l’isolement ?

    Après le premier procès, j’ai fait appel. J’étais à la maison d’arrêt de Nantes comme les trois autres personnes jugées dans la même affaire que moi. Pour éviter tout contact avec eux, j’ai été placé à l’isolement.

    Par la fenêtre, je parlais avec mes voisins de cellule. À ma droite, c’était un policier qui a tué son collègue au cours d’une partie de roulette russe. À ma gauche, un ancien avocat. Petit à petit, on fait connaissance. Tous les deux me donnent des conseils pour la rédaction de mes courriers, surtout sur le vocabulaire juridique. L’un d’eux me conseille l’avocat qui l’a envoyé au trou. Il me dit : « Même si j’ai les boules, je le respecte. Il fait super bien son boulot, tu devrais l’appeler ». Cet avocat a repris mon dossier et il a bataillé pour me faire sortir de prison. C’est aussi le premier à m’avoir parlé des cours Florent.

    Après 4 ans, tu finis par sortir de prison. Quel est la première chose que tu fais ?

    Je prends le premier train pour Paris pour passer le concours d’entrée du cours Florent. C’était étrange de me retrouver dans une classe encadrée par un professeur. Je passe des codétenus, braqueurs, dealers, tueurs, à des petits camarades bobos parisiens. Je ne me sens tout de suite plus à ma place.

    En prison, les détenus ne comprenaient pas ma passion. Je me rappelle d’un mec qui est venu me voir dans les douches. Quand je lui ai que je voulais faire le cours Florent, il m’a répondu : « pourquoi tu parles de ça !? Va faire le djihad en Irak, va aider nos frères en Palestine. Si j’étais à ta place, je sors, je la brûle la France ».

    Pourtant, tu te fais arrêter quelques mois plus tard…

    Un soir en sortant de Florent, je me fais contrôler à Châtelet. Je présente ma pièce d’identité, les policiers me disent qu’il y a un mandat d’arrêt à mon nom. Je suis embarqué au commissariat de la gare du Nord. Menotté à un banc toute la nuit parce qu’il n’y plus de place en cellule. Après trois jours au dépôt, je suis extrait et emmené à Nantes, 380 km les mains menottées dans le dos. Une fois dans le bureau du juge, il me dit : « Désolé, nous n’avons pas remis le fichier des personnes recherchées à jour ». Après ça, je pars me reposer au Maroc.

    Comment tu te retrouves à bosser pour Jean-Louis Borloo ?

    Après plusieurs années de liberté, mon histoire commence à être médiatisée. Je passe sur France 2 avec Béatrice Schonberg. Très touchée par mon histoire, elle m’a tendu la main et présenté son mari. Jean-Louis Borloo m’embauche comme huissier dans son cabinet du ministère de l’Écologie. Je fais la répartition des documents administratifs. Je navigue entre le cabinet du ministre, Chantal Jouanno, Benoit Apparu…

    Je suis passé de la prison à déjeuner au restaurant des forces armées !

    Tu vas finir les cours Florent cette année. C’est quoi la suite pour toi ? Tu vas faire quoi de ton histoire ?

    Actuellement, j’écris mon histoire avec Ouadih Dada, présentateur du JT au Maroc. C’est une vraie thérapie. Ça m’a permis de crever l’abcès. J’aimerai adapter ce livre au cinéma. Je veux faire exploser la rage que j’ai devant une caméra.

    J’aimerais aussi aller rencontrer des jeunes dans les collèges et les lycées. Ce que j’ai vécu doit servir. Si ça peut en réveiller quelques uns, ce serait super. Que des mecs en prison lisent mon livre, qu’ils se rendent compte que même s’ils sont au pied du mur, c’est encore possible.

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