Rue de la Charbonnière, 18e – Valérie enduit, puis masse une par une les phalanges de sa cliente :
« On n’est pas vraiment dans un salon normal. Ici, c’est une bulle. »
Joséphine pour la beauté des femmes est un cocon fait de bric et de broc. Mais la gérante a soigné la décoration, on en oublierait le jaune des néons et les murs en contreplaqué. Les mains d’Hayet, venue profiter des soins, traduisent une légère tension. C’est qu’elle n’a pas vraiment l’habitude des salons de beauté :
« C’est mon assistante sociale qui m’a parlé de Joséphine. Avec les autres femmes du centre, on nous y va tous les trois mois. On nous traite comme des princesses ici ! »
Enceinte de huit mois, Hayet vit dans un Centre de réinsertion sociale (CHRS) du 17e arrondissement. Avant la manucure, Hayet a fait rafraîchir son carré plongeant parsemé de mèches grises. La jeune femme partage ses secrets de beauté avec Valérie. Au centre de la conversation, l’huile de serpent :
« Ca fait pousser les cheveux plus vite et c’est rouge. »
Valérie rétorque au second degré :
« Rouge ! Mais, y’a du paprika dedans ? »
La coupe la moins chère de Paris / Crédits : Paloma Soria
Des bénévoles motivés
La trentaine, Valérie a découvert le salon grâce à un quotidien gratuit. Elle y offre ses compétences depuis six semaines. Jadwiga, en revanche, travaille au salon depuis ses débuts en 2006. Elle est aujourd’hui gérante du lieu. La sexagénaire d’origine polonaise vit en France depuis 40 ans.
Les deux femmes partagent deux points communs : une période de chômage et le besoin de donner aux autres. Travailler au salon permet à Valérie de « garder la technique en attendant de trouver un emploi rémunéré ».
Selon les jours entre cinq et six bénévoles s’activent. Nicolas, masseur freelance, et Anne, la psychologue, viennent pour « donner un sens » à leur profession. Le salon peut aussi compter sur une DRH, qui passe refaire les C.V. pendant ses pauses-déjeuner. L’activité demande de la rigueur :
« Les femmes qui viennent sont fragiles. Si un bénévole annule à la dernière minute, elles peuvent croire que c’est de leur faute et se démoraliser. »
S’attacher à la vie
Sisa, 30 ans, la peau mate, s’est fait couper les cheveux au-dessus des épaules. La jeune femme à la silhouette élancée est prise entre une procédure de divorce et des envois de lettres de motivation pour les métiers de la petite enfance. Sa fragilité, mais aussi sa candeur, sont palpables :
« Divorcer, on en a l’idée. Mais, quand on s’y met, ça donne l’impression d’être morte. Ici, on retrouve une raison de s’attacher à la vie. »
Avant de s’en aller, elle passe remercier Jadwiga dans son bureau étroit : « le massage du crâne, le toucher… c’est magique ». Derrière la porte entrouverte, les deux femmes parlent à voix basse. Entre deux aurevoirs, feignant la curiosité, Sisa prend note des consultations psychologiques gratuites.
Certaines femmes sont plus difficiles à prendre en charge, explique Catherine, une des deux coiffeuses, lancée dans une énumération des mauvaises conduites. Et de citer en exemple une femme venue ivre :
« Elle nous insultait. Ensuite, elle s’est endormie sur le canapé et quand elle s’est réveillée on l’a coiffée. En partant, elle nous a dit “Je vous aime”. »
Jadwiga embraye sur une autre histoire. Quand il a fallu deux heures pour démêler les boucles d’une femme SDF :
« Quand elle est repartie, elle était heureuse. Elle s’est dit qu’elle était comme les autres. »
Le cœur des femmes / Crédits : DR
Affronter la précarité
« La précarité touche plus de femmes qu’il y a cinq ans et dans tous les milieux », s’attriste Jadwiga. Progressivement, Joséphine pour la beauté des femmes s’est mis à accueillir aussi bien des prostituées, des femmes en réinsertion que des ingénieures du son, des journalistes ou des actrices :
« La perte du travail arrive lentement. Mais la descente est vraiment terrible ».
Aujourd’hui, le planning est complet deux mois à l’avance. Les ressources sont limitées. Faute de subventions, le second salon ouvert à Tours a dû fermer ses portes l’année dernière. Pour faire des économies, ce sont les bénévoles qui s’occupent du ménage et le nombre de coupes de cheveux par cliente a été limité à cinq. Ainsi Maria, 40 ans, vient de dépasser son quota. Jadwiga s’est tout de même arrangée pour qu’elle puisse se faire couper les pointes. En revanche, pour couvrir ses cheveux blancs, elle sera obligée d’aller dans un salon de coiffure qui facture aux prix du marché. Pourtant, son seul revenu provient du RSA.
Et demain ? La gérante semble inquiète, mais il n’est pas question d’arrêter pour autant :
« Je refuserai que l’association disparaisse, qu’on abandonne ces femmes. Je veux qu’elles se disent qu’elles aussi ont droit à quelque chose de beau. »
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