Calais (62) – « Tu as entendu pour le démantèlement ? Il paraît que c’est pour lundi », interroge Adam, un jeune Soudanais rencontré sur une dune qui borde la rue principale de la jungle. On acquiesce, il poursuit :
« Ici, les gens vivent mal, c’est vrai. Mais ils l’acceptent parce qu’ils espèrent passer en Angleterre. »
10 mois que l’homme au sourire charmeur a posé ses valises dans le plus grand bidonville d’Europe. 10 mois qu’il essaie presque chaque soir de passer entre les mailles du filet tissé par la police française et les autorités britanniques.
Les cerfs-volants de Calais / Crédits : Pierre Gautheron
« Il va se passer quelque chose de mal »
Adam ne veut pas quitter la jungle. A la nuit tombée, il essaie de passer en Angleterre en embarquant dans un camion aux abords du port. La veille de notre rencontre, jeudi 13 octobre, les préparatifs de sa énième tentative ont été quelque peu bousculés. Sur les coups de minuit et demi, la police a fait irruption dans le bidonville. « Ils sont rentrés par la rue principale », explique-t-il en désignant l’artère. Emmitouflé dans son anorak alors que le vent souffle, il raconte les affrontements de la veille :
« Quand ils ont dépassé la grande tente blanche, où dorment des Soudanais, des gens ont commencé à leur lancer des pierres. »
Dans les allées de la jungle, il se murmure que ce sont des réfugiés afghans qui ont empêché la police de progresser dans les allées boueuses de la new jungle. La maréchaussée a répondu par des tirs de gaz lacrymogène, avant de battre en retraite. Adam craint que le jour du démantèlement, ça ne soit bien pire. Et que les réfugiés tentent de transformer le bidonville en camp retranché :
« Les gens ne veulent pas partir. Quand la police va arriver, il va se passer quelque chose de mal. »
Lors de l’évacuation de la zone sud en février dernier, des réfugiés avaient mis le feu à leur cabane en signe de protestation, mais aussi pour ralentir la progression des CRS.
Pourquoi ils ne veulent pas partir
A Calais, depuis plusieurs jours, l’évacuation de la jungle est sur toutes les lèvres. Pour une partie des réfugiés, la destruction de cette mini-ville est une catastrophe. « Si la jungle est détruite, je ne pourrais plus aller en Angleterre. Je devrais rester ici », s’inquiète Adam. Pour d’autres, comme Moussa, la jungle est avant tout un refuge pour les réfugiés paumés et sans ressources. L’homme a en partie fait son deuil de l’Angleterre mais il continue de vivre sur la lande :
« Cet endroit n’est pas bien pour vivre, c’est clair. En même temps, cela permet aux gens de ne pas être à la rue alors qu’ils attendent une place en hébergement. »
Moussa, à la table du petit déj' / Crédits : Pierre Gautheron
Installé à la table du petit déjeuner, le jeune mec au visage doux finit de siroter son café. Malgré l’ombre du démantèlement la vie continue. Cet après-midi, comme tous les jours, il organise un cour de français dans une petite salle de classe installée sur le pas de sa maison. Pour l’heure, direction le sud de la jungle pour une manifestation contre l’utilisation d’armes chimiques au Soudan. Une grosse centaine de réfugiés protestent dans le calme, bien encadrés par une dizaine d’organisateurs. Mégaphone au poing, un speaker scande :
« Stop using Chemical weapons in Soudan ! »
« Stop using Chemical weapons in Soudan ! » / Crédits : Pierre Gautheron
La jungle se vide
L’annonce du démantèlement a déjà fait son œuvre. De nombreux réfugiés ont déjà pliés bagages et les départs continuent chaque jour. Il y a les demandeurs d’asile qui partent en CAO (centre d’accueil et d’orientation) explique Adam :
« Je pense que dans la jungle, il y a au moins 50% des gens qui veulent rester en France. Rien qu’autour de ma tente, je connais 25 personnes qui veulent déposer l’asile. »
Pour d’autres, l’exil n’est que provisoire. « Pas mal de réfugiés partent dans de plus petits camps ou à Paris », explique la membre d’une asso’ de soutiens aux réfugiés. Dublinés, déboutés de l’asile, ils quittent Calais par peur de la police ou d’être renvoyés dans leur pays d’origine. Mais ce n’est pas toujours de gaîté de cœur, rebondit Valérie d’Utopia 56 :
« Beaucoup ont peur de ce qu’ils vont trouver. Rejoindre de petits camps dans la région, c’est risqué surtout à cause de la présence de l’extrême-droite »
A l'entrée de la jungle, la police veille au grain / Crédits : Pierre Gautheron
Dans le même temps, l’action de la police accélère l’exode. D’un côté l’Etat lâche du lest à la frontière et les passages en Angleterre s’accélèrent explique Christian Salomé, le président de l’Auberge des Migrants, à Mediapart. De l’autre, les placements en rétention se font de plus en plus nombreux. Selon plusieurs sources policières et associatives, des transferts de migrants sont prévus pour la fin de semaine vers plusieurs centres de rétention du sud de la France, dont Nîmes et Hendaye.
Comme si de rien n’était
Le crépuscule du bidonville approche. La jungle semble vivre ses dernières heures dans un mélange troublant d’insouciance et de fatalisme. « Les réfugiés sont inquiets bien-sûr », reconnaît Valérie de l’association Utopia 56 :
« Mais bon la vie continue. Il y a toujours des petits concerts. Nos équipes sont toujours présentes sur le terrain : on ne va pas arrêter de nourrir et d’aider les gens parce qu’ils vont être évacués. »
La plus haute tour de la jungle / Crédits : Pierre Gautheron
Face à Adam, une dizaine de bénévoles sont affairés à la construction d’une tour sur la plus grande dune de la jungle. A la manière d’une vigie, elle permettra d’observer la progression de la police dans les allées du camp le jour J. Pour l’heure, elle est le repère des musiciens et des photographes. « C’est bien, ça donne le sourire, il faut garder les gens occupés », remarque Adam sans jamais se départir de son flegme.
A une semaine du démantèlement, les coups de marteaux et de scie rythment toujours la vie du camp. Au pied de la tour d’Adam, deux réfugiés achèvent la construction de la troisième mosquée soudanaise de la jungle. Lors du démantèlement de la zone sud, plusieurs lieux de culte avaient été épargnés par les bulldozers. « Il y a aussi des gens qui réparent leur maison » remarque Enrika, une bénévole lituanienne de 23 ans :
« On a l’impression que beaucoup de réfugiés ne réalisent pas ce qu’il va se passer. »
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