A chaque veille de mobilisation, c’est la même rengaine ! Des manifestants ont interdiction de se rendre dans les secteurs par lesquels passe le cortège. Avec ces mesures, la préfecture de Paris espère écarter des cortèges les manifestants les plus remuants. Lors de la dernière journée de mobilisation, plus de 130 personnes étaient concernées par ces arrêtés.
Se planquer, sortir sa plus belle cagoule et manifester en scred’ ou contester la décision devant le tribunal administratif… Des militants nous donnent leurs techniques. Maître Kempf, avocat inscrit au barreau de Paris, décrypte les méthodes les plus efficaces pour pouvoir manifester malgré tout.
1 Changer de ville
La story : Courant mai, la rumeur court. Plusieurs militants interdits de manifs en province seraient tentés de monter à la capitale. Tandis que les parisiens sous le coup d’une interdiction de séjour à Paris iraient en Province. Finalement la grande migration tombe à l’eau. « Les camarades interdits de manif dans le Nord ont décidé de rester chez eux », raconte un militant. Rendez-vous lors de la prochaine mobilisation nationale ?
L’avis de l’expert : « L’interdiction de manifester, cela n’existe pas en droit français » rappelle Maître Kempf :
« Ce que l’on voit en ce moment, ce sont des interdictions de séjour qui suivent le parcours de la manifestation. C’est une disposition prévue par la loi sur l’état d’urgence de 1955. D’ailleurs, selon moi, c’est une utilisation détournée de cette loi. »
Et le baveux de conclure :
« Une personne interdite de séjour peut aller manifester ailleurs. Mais bon c’est coûteux. »
Sus aux OuiGo.
2 Découcher
La story : La veille de la manif du 14 juin, il se dit que plusieurs centaines d’interdictions de manifester sont en train d’être distribuées dans toute l’Île-de-France. Sur Facebook, plusieurs habitués des cortèges parisiens conseillent à leur camarade de découcher pour éviter de se voir notifier la décision de la préf… et donc pouvoir manifester le lendemain.
Ferdinand, 25 ans, a esquivé sa première interdiction de manif sans même le savoir. Il y a un mois deux fonctionnaires passent chez ses parents pour lui notifier la décision de la préfecture. « Ils leur ont dit à que je devais me présenter au commissariat mais j’ai fait le mort. » Round 2, le 22 juin dernier : les policiers toquent à la porte de son appartement. Le jeune homme se fige et ne répond pas. Derrière son judas, il observe les fonctionnaires perdre rapidement patience avant de lever le camp :
« Quand ils ont vu que personne ne répondait, ils sont allés chez les voisins mais ils n’ont pas franchement insisté. »
(img) Ne pas oublier sa brosse à dents
Depuis, le jeune homme n’a pas de nouvelles des autorités et ça n’a pas l’air de l’inquiéter. Il continue d’aller en manif et arbore « casquette, lunette de soleil » pour éviter qu’on le reconnaisse.
L’avis de l’expert : « On ne peut reprocher à quelqu’un une décision administrative qui ne lui pas été notifié », explique Maître Kempf. Donc dormir ailleurs pour éviter l’arrêté préfectoral est plutôt une bonne tactique. Mais l’avocat d’ajouter : « dans la pratique, un placement en garde à vue est quand même possible. Et dans ce cas-là, c’est au manifestant de prouver que son interdiction de séjour n’a pas été notifiée. » Ce qui, concède l’avocat, peut être plutôt long et pénible.
3 Manifester de loin
La story : Hugo Melchior est un habitué des interdictions de manifs. Il a reçu sa première le 17 mai dernier : « l’arrêté préfectoral précisait que je ne pouvais pas me rendre dans le centre-ville de Rennes 24h/24 pendant 15 jours. Quasiment la moitié de ma ville m’était interdite. » Le jeune homme fait finalement suspendre la décision devant le Tribunal Administratif. Rebelote le jeudi suivant. Cette fois-ci, Hugo est pris de court. Il ne peut pas déposer un recours. La chance sourit finalement au trentenaire. La manif détournée passe à la lisière du périmètre où il est interdit de séjour :
« J’ai pu suivre la manif sur le trottoir d’en face »
L’avis de l’expert : Prudence, prudence pondère Maître Kempf quand on évoque l’exemple d’Hugo. Si le subterfuge marche à Rennes, rien n’est moins sûr à Paris où les interdictions de manifestations portent sur des périmètres plus larges. La situation la plus cocasse rencontrée par Maître Kempf :
« Un de mes clients habitait dans l’arrondissement où il était interdit de séjour. Il violait l’arrêté rien qu’en résidant chez lui. »
Pourquoi ne pas prendre la hauteur et suivre la manif depuis Montmartre à la longue vue ?
4 Aller devant la justice
La story : Samedi 14 mai, la police rend visite aux parents du photographe indépendant Nnoman Cadoret. « Ils me cherchaient. Ils sont venus expliquer à mes parents que j’étais interdit de manif’. » Le lendemain, le jeune homme se présente au commissariat d’Anthony où la maréchaussée détaille la décision de la préfecture de Paris de l’interdire de séjour tout le long du parcours de la manifestation du 17 mai :
« On m’a dit qu’on m’avait vu à plusieurs reprises dans les cortèges. »
Normal, puisqu’il est photographe : « J’ai appelé mon avocat. Je me suis mis à faire des captures d’écran de mes parutions et des interventions que j’ai faites dans le milieu scolaire. Puis on a déposé un recours. » La veille de la manifestation, Nnoman apprend par la télé qu’il est finalement autorisé à couvrir la manif’. Décision confirmée au tribunal le lendemain.
(img) “Je viens couvrir la manifestation!”
L’avis de l’expert : Pour Maître Kempf, avocat au barreau de Paris, déposer un recours au Tribunal Administratif reste la meilleure des solutions pour éviter une interdiction de manifester : « La procédure de référé liberté est la plus adapté. Pour celle-là, on a une réponse en 48h mais il faut avoir une copie de l’arrêté suffisamment en amont pour préparer sa défense. » Après l’interdiction, rien n’empêche d’attaquer la préfecture quand même, sur le fond. « La procédure est plus longue » concède l’avocat.
5 Manifester malgré l’interdiction de manifester
La story : Enfiler sa plus belle parka noire et des jolies lunettes de soleil pour braver l’interdiction de manifester, c’est possible… Mais gare à celui qui se fait pincer.
L’avis de l’expert : « On risque une peine de 6 mois d’emprisonnement ainsi que 7.500 euros d’amende », précise l’avocat. A moins d’avoir un bon passe-montagne, mieux vaut passer son tour.
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