En ce moment

    02/06/2016

    Yan Morvan raconte son premier reportage

    Photos : Les blousons noirs dans le Paris des 70’s

    Par Mathieu Molard

    Décembre 1976, deux bandes de Hells Angels se battent dans les rues de Paris. Bilan : un mort. Yan Morvan, 22 ans, assiste au pugilat pour son premier photo-reportage. Sur StreetPress, il sélectionne 10 photos sur le Paris des blousons noirs.

    Octobre 1974. La gendarmerie débarque chez le jeune Yan Morvan. Son pote « et complice » se fait cueillir. Il prendra 6 mois ferme pour vol et recel de chéquier. Yan passe entre les gouttes et renonce à faire carrière dans la petite délinquance. Il décide d’étudier le cinéma à la fac de Vincennes :

    « Mais la caméra est aux mains des mao prochinois. Et comme moi je suis crypto-situationniste, je n’ai pas le droit de la prendre. »

    Les guéguerres intestines de la gauche des années 1970 auront donc raison de sa carrière dans le septième art. A la place, ça sera la photo. Il commence par quelques clichés de manifs. Un an plus tard, place du Tertre à Montmartre, il tombe sur un jeune homme avec des badges à l’effigie des rockeurs Gene Vincent et Eddy Cochrane au revers de son cuir. Le type fait partie des blousons noirs :

    « Il refuse que je le prenne en photo, mais il me donne rendez-vous avec sa bande quelques jours plus tard. Pour la première photo, ils n’ont pas voulu qu’on voit leurs gueules. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo1_2.jpg

    "Pour la première photo, ils n’ont pas voulu qu’on voit leurs gueules" / Crédits : Yann Morvan

    Débute une plongée dans le monde des blousons noir. D’abord avec des fils de prolo. « C’était des enfants d’immigrés européens qui n’avaient pas fait d’études et faisaient des petits boulots. » Il y a leur « chef spirituel » : Johnny de Montreuil, un peu plus vieux que les autres. D’origine algérienne, il se revendique manouche :

    « Si tu lui disais qu’il était arabe, il te foutait son poing dans la gueule. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo2_0.jpg

    "Si tu lui disais qu’il était arabe, il te foutait son poing dans la gueule." / Crédits : Yann Morvan

    Les mecs sont des durs. Pour intégrer la bande, il faut dépouiller un « chevelus » de son cuir ou de ses santiags, armé d’une chaine à vélo, d’une serpette d’électricien ou parfois d’un cran d’arrêt. Le week-end, la bande va voir des petits concerts à la Villette :

    « Là, ils se défonçaient la gueule à la bière, ils écoutaient du rock et ils se battaient. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo3_0.jpg

    "Ils se défonçaient la gueule à la bière, ils écoutaient du rock et ils se battaient." / Crédits : Yann Morvan

    « Avec la chute de l’Empire français, c’est tout un modèle qui s’écroule. » Ces jeunes s’accrochent à une vision fantasmée de la culture américaine. Sur les blousons, des badges à la gloire de leurs idoles musicales, des insignes de motards et des croix gammées :

    « Pour eux, tout ce qui n’était pas Hells Angel, c’était de la merde. C’est les minorités qui prennent en premier, évidement les juifs. Ils étaient fascinés par le côté martial des nazis mais ne connaissaient rien à l’histoire. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo4_0.jpg

    "Ils étaient fascinés par le côté martial des nazis mais ne connaissaient rien à l’histoire" / Crédits : Yann Morvan

    Après quelques mois, Yan Morvan quitte cette bande pour rejoindre un groupe de Teddy Boys. « Eux, c’était des fils de bourgeois, ultra-violents. Ils se baladaient en caisse américaine et se tapaient des blondes décolorées. C’était en quelque sorte des blousons dorés. » Ils s’identifient à l’Amérique blanche, aisée et raciste.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo5_0.jpg

    Des Teddy Boys / Crédits : Yann Morvan

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo6_0.jpg

    "Eux c’était, des fils de bourgeois, ultra-violents." / Crédits : Yann Morvan

    Yan Morvan, qui a depuis signé en agence, se fait foutre à la porte. Ses photos ne se vendent pas. Entre-temps, il a troqué sa mobylette contre une Norton Commando 850. Grâce à elle, il peut rejoindre les Hells Angels de République.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo7_0.jpg

    Les Hells au coin du feu / Crédits : Yann Morvan

    Décembre 1976, trois Hells – des vrais cette fois – débarquent à gare du Nord des Etats-Unis. Ils sont venus en Europe pour décerner des franchises « officielles ». Manque de bol, c’est la bande de Crimée qui se verra décerner le titre. Quelques mois plus tard, un crew rival leur donne rendez-vous dans un troquet. Yan attend à l’écart :

    « Il y a eu deux coups de feu, des vitres qui volent en éclat, des types qui sortent du bar en courant par toutes les ouvertures. »

    La baston se poursuit sur le trottoir :

    « Les gars de Crimée sont venus équipés. J’en vois un qui m’a repéré. Il court vers moi avec un manche de pioche ! »

    Le photographe démarre sa bécane en quatrième vitesse et décolle au moment où le type lui touche le bras. Le mec s’écroule :

    « Je me retourne et je réalise que le mec ne se relève pas. »

    Le lendemain France Soir titre : « Bagarre entre bandes rivales à Paris, un mort. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo8_0.jpg

    Ils s’identifient à l’Amérique blanche, aisée et raciste / Crédits : Yann Morvan

    Octobre 1977, Yan Morvan publie le livre Le cuir et la baston.

    « Avec les blousons noirs à la fin ça s’est mal terminé. Ils voulaient qu’on raconte que c’était des gentils motards. Mais ils tuaient des gens, ce n’était pas vraiment des gentils motards. Ils n’étaient pas contents. J’avais déménagé, ils ont débarqué. Ça a dégénéré vers la fin… »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo9_0.jpg

    Où est Marlon Brando ? / Crédits : Yann Morvan

    De cette époque, il ne reste que peu de survivants. L’héroïne et le Sida ont fait des ravages. Blousons Noirs ( ed. La Manufacture des livres) publié à la rentrée prochaine retrace cette histoire. Pour financer ce projet (et pré-commander le livre), rendez-vous sur la plateforme de financement participatif KissKissBankBank . Les photos sont également exposées à la galerie Thierry Marlat (Paris 4e).

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER