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    02/06/2016

    Des cités de Grigny aux bureaux d’Universal

    Oumar Samaké, chasseur de têtes du rap français

    Par Matthieu Bidan , Michela Cuccagna

    Il a signé Kaaris, managé Joke et accompagné Mac Tyer. Oumar Samaké déniche les stars du rap français pour Universal. Ce mec de quartier tranche aux soirées cocktails de la maison de disques. Rolex au poignet, il est là « pour tous les empailler ».

    Il y a quelques semaines, il s’est cassé la main. « Longue histoire », dit-il pour couper court. Oumar Samaké choisit les sujets dont il veut parler. Sa parole est verrouillée, ses bras croisés. Il reçoit sur une banquette dans l’entrée froide d’une salle de fitness de l’Ouest parisien. Il vient là 5 à 6 fois par semaine pour faire de la muscu et du cardio. « Je travaille sur mon impulsivité », éclaire-t-il. On le sent du genre guerrier, dur à manier. Sa casquette motif treillis complète ce tableau martial.

    Oumar, 34 ans, est directeur artistique pour Universal. Dans les bureaux cossus de la firme internationale, il vient tout juste de faire ses cartons : du rez-de-chaussée de Def Jam France, la succursale française du label américain, au quatrième étage de Capitol. Deux labels dans le giron de ce mastodonte qui concentre 45% du business de la musique en France. Dans cette grande maison, Oumar est là pour repérer les stars de demain. Quand un artiste pose sa griffe au bas d’un contrat, c’est lui qui tient le stylo. Comme avec Kaaris ou Joke.

    Clip Joke feat Dosseh – Miley

    Depuis 15 ans, il trimbale sa carrure imposante dans le petit milieu du rap français. Même s’il n’est pas sur le devant de la scène, « le grand public rap connaît Oumar », assure le journaliste spécialiste Mehdi Maizi. « Dans le foot, on parle du style de jeu à la Cruyff. Dans le rap, il y a un style Oumar », renchérit le rappeur Mac Tyer. Le grand bonhomme est surtout une exception dans l’univers des maisons de disques. « C’est le seul mec de cité à avoir ce rôle en major », ajoute Fif Tobossi, fondateur de Booska-P, site numéro un sur le rap.

    Studio, boulot, dodo

    Quand on le retrouve une deuxième fois, Oumar a déserté les tapis de course. Il nous invite là où il passe le plus clair de son temps : au studio. En ce début de soirée, il est en pleine séance de travail, à deux pas de l’Arc de Triomphe.

    « Les voix sont trop fortes. Il va falloir baisser d’un DB, voire 1 et demi. Il m’a eu Dosseh en me disant que sa voix était trop basse. »

    Avec Fred, un ingé son à la voix douce, ils bossent sur le prochain album de Dosseh, prévu pour la rentrée. Les imposantes enceintes noires commencent à trembler. Oumar vient de lancer le premier extrait de l’album, prévu pour le 13 juin. Effet de surprise oblige, il tient à ce que nous ne n’en disions pas plus. Indice : il s’agit d’un feat avec une tête d’affiche du rap US originaire d’Atlanta.

    « Pour l’avoir, ça nous a coûté une Rolex, c’est tout ce que je peux dire. Après, le prix dépend du métal … »

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    « Dans le foot, on parle du style de jeu à la Cruyff. Dans le rap, il y a un style Oumar » / Crédits : Michela Cuccagna

    Il se marre, content de son effet. Les baffles crachent un morceau trap. Oumar baisse la tête vers la console et dodeline en rythme. « Travailleur », « baisé de rap », « perfectionniste », tous ceux qui le connaissent décrivent un stakhanoviste du son. Le rappeur Joke résume son état d’esprit dans le morceau Pharaon :

    « Demande à Oumar, on vient pour tous les empailler. »

    « Entre nous, je l’appelle le nazi. C’est le mec de la douane relou », s’amuse le rappeur Dosseh. Chez Universal, on l’a recruté pour son flair. « Benjamin Chulvanij, le patron de Def Jam, avait besoin de lui pour continuer à être connecté au terrain », confirme Mehdi Maizi.

    Oumar rêve d’une carrière à la P. Diddy, sans la partie chantée. Il cite sans problème toutes les têtes d’affiches du business rap aux Etats-Unis, les fameux A&R , ces dénicheurs de talents. Avant de rejoindre Universal, il avait fondé son propre label, Golden Eye, sur un modèle quasi inédit dans le rap français : un pool de beatmakers. « Il a une version cainri du business. Ce n’est pas facile à assumer en France », observe Mehdi Maizi, le journaliste du site référence l’Abcdr du son. Avec Blastar ou Spike Miller dans son équipe, deux producteurs à succès, il s’est forgé un solide réseau. « Il s’est retrouvé dans les studios de beaucoup de rappeurs », constate Mac Tyer, qui a lui-même rencontré Oumar en 2008 pour un morceau.

    Un homme de réseau

    La recette du succès de Samaké est simple : un mélange de rue et de connexions dans le monde de la musique. Le plus gros coup de sa carrière reste la signature de Kaaris. A l’époque, le rappeur de Sevran entre dans un clash avec Booba. « J’apprends cette histoire par la rue, pas par la musique, remet Oumar. Je ne savais pas que ça aurait des incidences sur ses choix de carrières. » Mais Kaaris est bien décidé à quitter le label AZ avec lequel Booba collabore aussi. Oumar se positionne. Le rappeur du 93 est déjà en discussion avec un autre label, Barclay. « Il avait des a priori sur Def Jam mais j’ai réussi à organiser une réunion avec Therapy, son producteur. » Oumar convainc Kaaris et arrache la signature. « Il est très dur en affaires », commente Dinos, managé depuis presque 3 ans par Oumar.

    Malgré ses qualités, il n’a pas connu que des réussites. Oumar a vu d’autres rappeurs lui filer entre les doigts. « Gradur, j’étais le premier dessus dans le business, c’est Kozi qui m’en a parlé. » Un coup d’épée dans l’eau. Pour Jul, le rappeur marseillais qui enregistre dans une cabane et enchaîne les disques de platine, c’est Mac Tyer qui a décroché son téléphone.

    « Pendant que je faisais le clip “Ça pue sa mère“ avec Niro, Jul était là. C’était en 2013. Il est venu au studio. J’ai écouté des morceaux. Il m’a choqué. J’ai appelé Oumar dans la foulée. Je lui ai dit : ‘il y a un jeune avec moi qui va péter’. »

    Mais le label n’est pas convaincu. En attendant de recevoir de nouveaux coups de fil, Oumar se concentre sur ses trois poulains : Joke, Dosseh et Dinos. Les trois rappeurs l’ont suivi aujourd’hui dans son transfert chez Capitol. « C’était impératif », commente Oumar. Ce mercato a ralenti la sortie des différents albums. De quoi donner du grain à moudre aux fans. Certains moquent un manque de productivité. Un Hashtag #FreeImany, du titre de l’album de Dinos, a même été lancé. Comme si le projet était derrière les barreaux et Oumar le geôlier. Lui rétorque en parlant du « rap fast food », celui qu’on goberait comme un burger avant de s’en enfiler un autre. Il finit par trancher : « Ce n’est pas au public de décider du rythme. » Oumar préfère les bons restos.

    De Grigny 2 à Universal

    Sur sa famille et son enfance, il reste évasif. On lui arrache ce rêve de football professionnel, ses années passées au club de Viry-Châtillon, l’un des meilleurs dans le 91. « Ma mère n’a pas voulu que je continue. Pour elle ce n’était pas un vrai métier. » Des parents autoritaires ?

    « On est des Africains frère, encore aujourd’hui je les écoute. »

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    Le match est atrocement serré. / Crédits : Michela Cuccagna

    Ses parents font des « boulots modestes, des boulots d’immigrés ». Ils ont débarqué en 1975 du Sénégal. Oumar a grandi square Surcouf, « le coin le plus chaud » de Grigny 2, la deuxième plus grande copropriété de France. « Je suis un Grignois pure souche », revendique-t-il. Ses parents suivent sa carrière de loin. « Mon père comprend parce qu’il aime la musique. Ma mère, c’est différent. Un manager, un DA, ça ne lui parle pas. Elle sait que je gagne ma vie, c’est l’essentiel. »

    Il préfère ne pas dévoiler ses revenus. « Ça exciterait les rageux. » Au poignet gauche, l’amateur de belle montre porte une Rolex. On lui demande ce que ça représente pour lui. Il répond du tac-au-tac.

    « Ça ne représente quelque chose que pour ceux qui n’en ont pas. »

    Et d’enchaîner :

    « Si tu es fan de montre et que tu as les moyens, tu ne vas pas acheter une Casio. »

    Il aime aussi les grosses voitures, même s’il roule en Smart. Moins galère pour se garer à Paris. A l’écouter, cette réussite ne plaît pas à tout le monde. « La police, ils ont la haine de nos gamos (voiture, ndlr.), de nos montres. On le vit tous les jours. Ils préfèrent nous voir en bas d’une tour à vendre du shit. » Là, il déroule l’actu comme autant d’exemples. « Gainsbourg, quand il brûle son billet, c’est rock’n’roll. Joey Starr, il met une giflette à un chroniqueur, ça fait un dal-scan ! » Il se met à parler en verlan comme l’accent disparu revient quand on s’énerve. « La France est un pays raciste. Ils s’adaptent juste parce qu’on fait de l’argent. »

    « Il faudrait plus de mecs de quartiers comme lui »

    Oumar voit son boulot comme un combat. « Tu ne vas pas y arriver en restant cool avec un joint et une bière dans la main. Ce n’est pas le monde des bisounours. » Dans l’univers des majors, il tranche avec le reste des directeurs artistiques. Il a appris sur le tas, pas dans une école dédiée. « Pour moi, être DA c’est de l’instinct. Avoir du relationnel et être sur le terrain, ça ne s’apprend pas. »

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    Grignywood / Crédits : Michela Cuccagna

    L’un de ses mentors, Stéphane Ndjigui, responsable artistique du pôle urbain pour le label Because, partage le même avis. « Un DA qui fait de la varièt’ et du rock, il va avoir du mal à matcher avec des rappeurs. Oumar, lui, n’a pas besoin d’apprendre la psychologie des mecs de quartiers. C’est un réflexe. » Stéphane Ndjigui, 40 ans, se considère comme un « ami et un grand frère ». Son parcours ressemble trait pour trait à celui d’Oumar : Garges-lès-Gonesse, l’indépendance puis le boulot en major. Il évoque les « préjugés » des maisons de disques envers les mecs de cités.

    « Quand j’étais en major, il fallait se fondre dans la masse. Mais quand tu as 25-26 ans, tu as encore la mentalité quartier. Tu n’as pas forcément envie de boire du vin blanc avec les commerciaux. »

    « Des mecs de quartiers comme Oumar, il devrait y en avoir plus », estime-t-il aujourd’hui. À côté d’Oumar sur la banquette bleue de la salle de sport, Djahel écoute en silence. Il a suivi Oumar de Golden Eye à Def Jam et bosse sur le marketing digital. Lui aussi voit le parcours de son ami et collègue comme un atout :

    « Dans le rap, l’humain est super important. On était une passerelle entre la banlieue et les majors. Un mec du 94 ne pense pas comme un mec du 91, tu ne peux pas le savoir comme ça. »

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    « Si tu es fan de montre et que tu as les moyens, tu ne vas pas acheter une Casio. » / Crédits : Michela Cuccagna

    « Oumar, c’est la street-zer »

    A 20 ans, Oumar quitte Grigny pour Colombes dans le 92. Un connaisseur du milieu rap résume en se marrant : « Oumar c’est la Street-zer. » L’intéressé évoque rapidement les bagarres Grigny-Evry-Corbeil, sans s’épancher. « On les a vécues, dit-il simplement, le regard droit du fond de ses yeux ronds. La rue, c’est se retrouver au mauvais moment à un endroit où tu ne dois pas être. Beaucoup de gens avec qui j’ai grandi sont décédés ou ont été emprisonnés. »

    Oumar est du genre « couilles sur la table ». Quand on lui parle, il esquive, pique, et s’emballe un peu parfois. « Fils de lâche », « sarrasin », il mitraille les noms d’oiseaux. « Il n’est pas du style à hésiter quand il parle de quelqu’un, confie Fred, l’ingé son. Si c’est un fils de pute, tu vas vite le savoir. » « Oumar est cru dans tout, ajoute Dinos. Il n’a pas le temps de niaiser. » Quitte à faire dans la provoc ? Le boss du site Booska-P, Fif Tobossi, se souvient d’une discussion avec Samaké.

    « Je faisais une interview de Joke, Oumar était là. A la fin, il me dit “Tu sais Fif, j’ai plus d’ennemis que toi”. Il le disait comme si c’était une bonne chose. Je lui ai répondu ”je t’en donne si tu veux”. »

    Pas étonnant avec ce caractère que le Grignois ne fasse pas l’unanimité. Il a encore une phrase en tête que lui a lâchée Benjamin Chulvanij au moment de l’embaucher chez Def Jam. « Il m’a dit : ”Hier tu étais l’ami de tout le monde, à partir d’aujourd’hui, tu vas être l’ennemi”. » « Def Jam, ça a fait de lui l’homme à abattre », abonde Mehdi Maizi. « Ils ont l’impression que j’ai pris leur place, confirme Oumar. Au lieu de se réjouir, ils se demandent : “pourquoi lui et pas moi ?“ » Il a même renoncé aux réseaux sociaux pour pister des rappeurs inconnus. « Trop de trous du cul de 15 ans qui m’insultaient. Il y a beaucoup de haineux sur Internet. Je les baise et les rebaise 500 fois derrière. »

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    Oumar & friends / Crédits : Instagram

    Il dit « enculé » comme il dit « frère ». Quand il parle de Salif, il joint ses mains pour insister sur leur amitié. Mac Tyer, lui, parle d’Oumar comme de sa « famille ». Dosseh précise que dans l’intimité, le DA est un « grand con ». « On rigole, on se vanne. » Pour Djahel aussi, le collègue, il faut pousser plus loin que la carapace. « Pour la première tournée de Joke, c’est lui qui conduisait. Il venait même nous chercher. Et dans le travail, il implique tout le monde, du stagiaire au mec qui est là depuis 10 ans. Tu peux l’appeler à 4h du mat’, il va répondre. »

    Oumar VS. Mathias Cardet

    Avec cette notoriété, il est devenu une cible. Oumar s’est notamment clashé avec Mathias Cardet, l’auteur du livre tendance conspi L’effroyable imposture du rap. Un bouquin publié chez Kontre Kulture, la maison d’édition d’Alain Soral. Le pamphlétaire sous pseudo accusait Oumar de mettre en avant la « sheytannerie et la crapulerie ». Le DA avait répondu sur les réseaux sociaux, l’associant au nègre de maison dans Django Unchained.

    « Pour moi, il fait comme le FN. Il prend un peu de vérité et ment sur tout le reste. Il a dit qu’on écartait les gens de l’Islam, que Def Jam était le label de l’Enfer, que le rap était tenu par des Illuminatis. J’ai reçu des menaces mais jamais rien de concret. S’il avait été plus loin, j’avais une équipe prête. »

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    La dite réponse au clash de Mathias Cardet. / Crédits : Instagram

    Objectif disque d’or ?

    A cause de ce caractère tranché, Oumar a raté quelques opportunités. Stéphane Ndjigui lui dit parfois, il devrait se calmer. « Connaissant sa philosophie, il peut mettre 3 ans à obtenir des choses qu’il aurait eu en 6 mois. » Exemple :

    « On devait signer un beatmaker important, un mec qui a du buzz. C’est Oumar qui me le ramène. On fait un premier rendez-vous. Le mec me recontacte plus tard et me dit qu’il ne veut pas passer par Oumar. »

    Un affront. Stéphane rejoue le dialogue qui suit :

    « – Oumar, on essaie d’arranger les choses pour faire le deal.

    – Je ne veux plus jamais travailler avec lui. Même s’il fait des morceaux pour Rihanna ou Jay-Z, rien à foutre.

    – C’est du business, te prends pas la tête avec lui.

    – Non, c’est mort, c’est un enculé. »

    Langage cru, direct. Il reste dans la posture du « seul contre tous ». « J’ai l’impression qu’il n’est pas tranquille, lâche Mehdi Maizi. Il y a toujours un truc qui a l’air de l’énerver. » Dans le petit studio sans fenêtres, un disque d’or de Lacrim est posé au sol comme un vulgaire tableau chiné. Devant la porte, dans un coin sombre, deux autres galettes dorées : Kery James et Diam’s. Oumar, lui, n’a jamais reçu cette récompense. C’est peut-être cette absence de disque d’or qui pèse, comme un entraîneur sans trophées. « C’est frustrant, ça peut rendre parano », lâche Stéphane Ndjigui. Jusqu’à présent, Oumar a réussi à cueillir des jeunes pousses, à les faire connaître, mais la récolte tarde. « La question pour lui maintenant, c’est comment faire de son artiste une star », interroge Mehdi Maizi. Pour Oumar, c’est le travail qui paie. Qu’importe quand.

    « Je n’ai rien à montrer, les chiffres c’est de l’ego. Si ça ne pète pas aujourd’hui, ça pétera demain. »

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