Squat l’Amour, Bagnolet (93) – « L’expulsion du lycée Jaurès a été un sacré coup dur », lance dépité Alexandre Gain, casquette kaki vissée sur le crâne. Avec ses potes du Collectif artistique associatif de l’Ourcq, il avait, le 21 avril dernier, ouvert aux réfugiés ce spot inoccupé de 7.000 mètres carrés. Une aventure de courte durée. Comme StreetPress vous le racontait, les 300 occupants étaient expulsés sans ménagement le 4 mai dernier. Alex en a gros sur la patate :
« D’habitude j’essaye de rester distancié. Mais là, quand tu vois les gamins et les femmes dans la rue, ça te pourrit le moral. »
Au calme / Crédits : Thomas Chatriot
Sa team
« On est des ouvreurs de squat professionnels », lance Alex, 24 ans, en plaisantant. Avec son collectif, ils débusquent les lieux, puis passent la main :
«Nous, on s’occupe juste de l’ouverture d’un lieu et après les assos gèrent le truc. Mais évidemment, quelque part on se sent un peu responsable. »
La petite bande a plusieurs ouvertures à son actif. Aujourd’hui, Alexandre, taillé comme un fil de fer, reçoit à l’Amour, un squat d’artistes ouvert à Bagnolet dans le 93.
Au fond de la pièce principale du rez-de-chaussée, les visiteurs peuvent entendre un débat Marine Le Pen / Nicolas Sarkozy et des cris de jouissance. C’est au son d’un orgasme synchronisé avec les paroles de la leader FN qu’a débuté la soirée « République et érotisme ». Aux murs décrépis, des portraits gribouillés de personnalités maquillées à la truelle côtoient les énormes poutres métalliques de cette ancienne forge abandonnée depuis plus de 30 ans. La soirée a commencé il y a quelques minutes par un film d’Yves-Marie Mahé, mêlant sonores pornos et images politiques.
Alex, de La Catho aux squats
Si a priori, Alexandre semble avoir une dent contre l’ordre établi, ça n’a pas toujours été le cas. Il vient même d’un milieu plutôt dans les clous.
Les visiteurs peuvent entendre un débat Marine Le Pen / Nicolas Sarkozy et des cris de jouissance. / Crédits : Thomas Chatriot
Né à l’Hôtel Dieu sur l’île de la Cité au sein d’une famille tradi, il est envoyé à 15 ans en internat à Notre Dame des Aydes, une boîte à bac privée de Blois dans le Loir-et-Cher. Un Bac ES en poche, il continue son cursus à la Catho d’Angers en communication évènementielle :
« A cette époque, c’était déjà mon truc de monter des free-party. On s’est dit que si on était doués pour organiser des soirées qui duraient un jour, pourquoi ne pas tenter de les faire durer un an ? »
Alex quitte alors ses études et retourne à Paris à la recherche du lieu idéal. En manque de tunes, il bosse comme cuistot chez KFC et complète avec des missions en agence de com.
Puis un jour avec un de ses potes, Jacques Auberger, un DJ à la coiffure de moine, ils tombent sur 300m2 laissés à l’abandon par le Réseau ferré de France (RFF). Après un raccordement à l’électricité par le biais d’un lampadaire pas loin, le Point G ouvre ses portes. Alex rembobine :
« On a organisé d’énormes teufs, des spectacles, des expos, un ciné-club tous les mercredis … On vivait à fond le truc, l’exclusion nous pendait au nez. La RFF nous avait collé un procès au cul dès le départ »
Serial Squatter
Au bout d’une dizaine de mois, l’exclusion est prononcée en octobre 2013. L’évacuation est… colorée :
« C’était mémorable. Il faut savoir que lorsque l’on est exclu, la loi autorise à partir avec nos biens. On a pris le truc au pied de la lettre. La veille, on avait acheté 5500 ballons de baudruche et on a rempli le squat. A la sortie, il y en avait plein la rue, même l’huissier se marrait »
Clip Isaac Hayes, Chocolate Chip
La vie en squat c’est un peu une vie en suspens et ça, Alexandre l’a très vite compris :
« Bien avant la fermeture du point G, on avait commencé à checker d’autres endroits. On était en contact avec Hervé Giaoui, le PDG d’Habitat. Il avait un projet de rachat d’une ancienne usine de piles aux puces de Saint-Ouen. On a réussi à choper une convention temporaire d’occupation et on a créé le Wonder juste après la fermeture du Point G. »
Mais ce squat n’en n’est plus vraiment un au sens où Alexandre l’entend. Le squat devient « officiel ». Au Wonder, tout est encadré administrativement par la fameuse convention. Ce sésame permet l’occupation temporaire du lieu contre un faible loyer. Seule ombre au tableau, l’interdiction d’organiser des évènements publics, le spot est seulement ouvert aux artistes résidents.
« J’ai horreur du vide. Un vide c’est fait pour être rempli et un squat pour accueillir tout le monde. Il faut qu’il y ait de la circulation. Il fallait que j’ouvre un autre endroit, plus dans ma vision des choses. »
La vie au squat
C’est pour toutes ces raisons que naît l’Amour dans lequel Alexandre vit aujourd’hui :
«Un vrai squat, mais avec des règles. On ouvre au public à 18h et on ferme à 22h en évitant de faire trop de bruit. C’est avant tout un lieu de rencontre autour de la culture. »
Soirée « République et érotisme » / Crédits : Thomas Chatriot
Pour l’instant, ils sont neuf à vivre dedans et tous ont un boulot. Alexandre est designer pour des plateaux shooting de mode. L’ambiance est à la débrouille :
« On essaye de vivre de récup’ et d’invendus pour la bouffe. Mais les travaux ne se font pas tout seuls et il faut bien trouver un moyen de les financer. Sinon, on chope l’électricité par un réseau. Pour les douches, c’est les amis, l’eau de pluie… »
Lui et ses potes ont établi leurs quartiers dans les étages. L’appart de fortune a des airs de cachette secrète : guirlandes lumineuses pour une ambiance tamisée, cadavres de binouzes, et vieilles affiches de concerts et de films placardées au mur… Une des fenêtres donne sur la soirée en contrebas qui bat son plein. Alexandre reste pensif :
« On ne sait jamais combien de temps ça va durer. »
D’autant que l’avenir de l’Amour est depuis peu sur le fil du rasoir. Le propriétaire des lieux, une holding hollandaise, est en train de monter un dossier sur Alexandre en vue déposer un recours en justice.
« On sait jamais combien de temps ça va durer. » / Crédits : Thomas Chatriot
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