Nantes, face au Monoprix du centre-ville – Planqué sous le porche d’un immeuble chic, Simba regarde la pluie tomber, penseur. « Parapluies ouverts, porte-monnaie fermés ! », plaisante-t-il. Un visage poupin, de grands yeux bleu égarés, une crinière rousse ramassée en dreadlocks… Simba a un air candide. Pourtant, à seulement vingt piges, le jeune garçon connait bien l’impitoyable loi de la rue. Déjà un an qu’il navigue de halls d’immeuble en squats, accompagné de Zion, son compagnon de voyage.
Zion est un berger malinois pure race de quelques mois. Des enfants s’arrêtent pour le caresser, sous l’œil réprobateur de leurs parents. Entre 2 gorgées de bière premier prix, Simba explique :
« Zion, c’est la Terre promise dans la culture rasta. Le Paradis. »
Direction Notre Dame des Landes
Chassé du domicile familial par sa mère, Simba a d’abord pensé voyager, à la manière d’un hobo, ces vagabonds rendus célèbres par le roman de Kerouac. Mais sa soif pour la lutte l’a rattrapé :
(img) Le baluchon du routard
« C’était la route ou la Zad (Zone à défendre, ndlr.). J’ai choisi de me battre pour mes idéaux. »
Simba quitte Valenciennes, où il a grandi, direction Nantes et ses militants en lutte contre le projet d’aéroport. Pour faire la route, il compte sur ses pieds, fait un peu de stop ou fraude le train. Simba assume sa singularité, autant que son style. Son visage d’adolescent tout juste sorti de l’enfance détonne avec sa dégaine punk : un sweatshirt floqué d’un « A » cerclé, symbole de l’anarchie, un treillis kaki couvert de taches sombres et des rangers imposantes, l’une lacée de rouge, l’autre de noir. La couleur des lacets est un vrai moyen de communication dans la rue :
« Noir et rouge, c’est pour les libertaires, vert pour les écolos, jaune pour les violents. Un rouge et un blanc, alors là, c’est les fachos. »
En rupture familiale
« Si tu veux le changement, il faut d’abord changer toi-même », lâche-t-il avec colère, écœuré par la société « matérialiste et sur-consommatrice ». Cadet d’une fratrie de six enfants, Simba n’a jamais réussi à « rentrer dans le moule ». En échec scolaire, sans emploi et gros fumeur de bédos, l’adolescent a vite perdu contact avec sa mère « trop conventionnelle ». Son père, il préfère ne pas en parler. Ses frères et soeurs sont le seul lien qu’il entretient avec son passé à Valenciennes.
Dans la rue, Simba s’est trouvé une nouvelle famille, quelque peu hétéroclite :
« Des zadistes, des punks, des féministes et surtout Patrick, un SDF belge. »
L’homme a la quarantaine, la peau abîmée, les dents noircies par le tabac et un humour décapant. Avec lui, il partage des bières, va à la ZAD, fait la manche. Son compagnon de galère porte le même prénom que son père absent :
« Patrick est un repère, il m’aide. »
Les violences de la rue
Dur de survivre seul dans la rue, surtout à 20 piges entre les bastons, les vols, les embrouilles de territoire ou de drogue. « Moi, je n’ai que mes poings pour me battre », lance Simba, le sourire aux lèvres. Patrick, lui, ne se sépare jamais de son poignard. Question d’habitude. Simba connait bien le commissariat de la Place Waldeck Rousseau et ses cafés froids.
Pour tenir le coup Simba enchaîne les spliffs. La drogue et l’alcool sont omniprésents dans la rue. La maladie aussi. Un gamin à peine plus âgé que Simba est mort du sida il y a quelques mois, après avoir partagé une seringue avec un séropositif. Depuis, le jeune garçon ne se pique plus.
Depuis le décès à cause du sida, d'un jeune, Simba ne se pique plus. / Crédits : Sophie Lamberts
Simba ne s’imagine pas ailleurs que dans la rue. Il compte rester ici jusqu’à la fin de la lutte contre l’aéroport Notre-Dames-des-Landes. La suite, il n’y pense pas trop :
« Je ne sais même pas ce que je vais faire dans deux heures ! Je vis minute après minute. »
Patrick lui propose une énième bière. Il est 4 heures de l’après-midi. Simba refuse poliment :
« Ma copine arrive aujourd’hui de Bretagne, cela fait trois mois que je ne l’ai pas vue. »
Il est impatient de lui faire découvrir Nantes qu’il connaît désormais comme sa poche.
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