Paris, rue de Bagnolet – Derrière de larges comptoirs, à l’entrée du Mama Shelter, un hôtel restaurant designé par Philippe Starck, 3 hôtesses accueillent les clients. OhPlai, jean troué, veste en cuir et fine sacoche, regarde à droite, puis à gauche, un peu paumé. Ce type de lieu branché, c’est tout nouveau pour lui.
Ce grand blagueur tout fin est un snappeur. Il raconte ses journées dans sa story, une succession de vidéos de 10 secondes filmées en selfie sur l’appli Snapchat. Sur le réseau social, il se met en scène et enchaine les vannes, mais il refuse de donner son vrai nom à StreetPress :
« Ma vie, c’est un film, mais je dois garder des choses secrètes. »
S’il fait tant de mystères aujourd’hui, c’est parce qu’il est en deal avec une chaîne de télé pour « un futur projet ». On n’en saura pas plus : il a déjà signé une clause de confidentialité. Son ascension est éclair. Il y a un mois, personne ne connaissait OhPlai en dehors de sa cité de Grigny. Aujourd’hui, plus de 100.000 personnes suivent chaque jour sa story. Et les demandes de collaboration tombent tous les jours.
L'homme au peigne. / Crédits : Matthieu Bidan
Garde à vue
A peine installé au fond d’un canap’, OhPlai dégaine son portable pour snapper. Cette fois, c’est une chaise Lidl au beau milieu de ce concentré de hype qui le fait marrer. Son « beauf » est juste à côté, avec ses deux fils. OhPlai n’a pas le permis alors le beau-frère sert de chauffeur et de manager. Il fait aussi logisticien à l’occasion. Pour compléter la petite équipe autour de la star, son agent Junior est là. C’est ce dernier qui a tenu à prendre rendez-vous ici et pas dans le 9-1. Comme un grand frère, il explique :
« En l’amenant ici, je le fais s’émanciper. C’est une façon pour lui de voir autre chose, de lui donner de l’inspiration. »
En face, de plus en plus calé au fond de la banquette, OhPlai abonde :
« Moi je suis tout le temps dans la rue à Grigny, là ça me change. Mon quotidien n’est plus le même. J’ai même acheté un agenda ! Ceux qui me connaissent vont bien rigoler. »
La machine s’est emballée il y a un mois. OhPlai est au volant d’une voiture quand il voit débouler derrière lui une camionnette de police. Au feu, il quitte en vitesse le volant et se faufile sur la place passager. Il commence à faire semblant de dormir. Le gars de Grigny est un récidiviste de la conduite sans permis. Les keufs arrivent à sa hauteur, le stress monte. La blague d’OhPlai fait marrer les agents mais pas au point de laisser couler. Le bonhomme termine au dépôt d’Evry :
« Pour passer le temps en cellule, je commençais à me raconter l’histoire tout seul. Je me suis dit qu’il fallait que je la snappe en sortant.»
Remise des lacets, attente de la voiture du « beauf » et récit final allongé dans un lit, il feuilletonne son histoire dans sa story Snapchat. Aujourd’hui, la vidéo republiée sur Facebook culmine à plus d’un million de vues, sans compter l’audience sur YouTube et Instagram.
Le Mr. Bean de la banlieue sud
Depuis cette vidéo, OhPlai filme son quotidien :
« Je snappe ma vie, je ne suis pas un comédien. Je rigole tout le temps, c’est ma personnalité. »
Une sorte de Mr. Bean de la banlieue sud. Son agent préfère dire « stand up viral ». En un mois, on l’a vu courir sur l’autoroute, faire du tuk-tuk avec un Roumain ou grimper tout en haut de la Tour Eiffel. Il y a aussi ses fameux gimmicks : toutes ses storys commencent avec la punchline « quel baye vous ». OhPlai utilise un tas d’expressions et de mimiques reprises pas ses fans. Lui, comme un rappeur, parle de sa OhPlai Family.
« ‘Baye’, c’est un mot qui vient de chez nous à Grigny. Tout ce que je dis, c’est les expressions qu’on utilise avec mes potes. Maintenant, je vois des gens dans toute la France qui m’imite. Ça fait bizarre. »
Pendant l’interview, un gars qui passait par là le salue justement avec un « quel baye vous » et une poignée de main. « Ça arrive tout le temps », assure la petite équipe en chœur. Il y a quelques jours, ils étaient au Vélodrome pour OM-PSG. A la sortie du stade, OhPlai enchaîne les selfies pendant près de 45 minutes. En prison, le bonhomme est même devenu l’équivalent de Plus belle la vie :
« Ils ont rien à faire, c’est devenu une série pour eux. Quand je ne snappe pas, il y a des gars qui appellent mon frère : “Il devient quoi OhPlai, il nous a rejoint ou quoi ?” »
Son humour souvent bon enfant séduit aussi les plus jeunes :
« Une fois, une petite fille s’est mise à pleurer quand elle m’a vu. Le truc est bizarre, ça m’a touché. »
Le snappeur qui ne voulait pas snapper
Malgré cette reconnaissance inattendue, OhPlai assure qu’il n’a pas le melon. « Je ne suis pas une star, je ne suis pas de ce monde-là. » Son univers, c’est la Grande Borne : « la cité la plus dangereuse de la planète », dit-il, rigolant à moitié. On l’imagine plus jeune, en fond de classe, distiller les punchlines. Tout faux. « J’étais réservé, pas du tout comme aujourd’hui », jure-t-il. On n’en saura pas plus sur les raisons de son changement. Contrat oblige. Il raconte quand même sa famille, ses parents divorcés qui ont aussi la vanne facile, ses 5 frères et sœurs.
« Je snape ma vie, je ne suis pas un comédien. » / Crédits : Matthieu Bidan
Ce sont ses petits frères qui l’ont poussé à se lancer sur Snapchat. Car au départ, OhPlai n’avait pas flashé sur l’appli. C’est même tout l’inverse :
« Mes petits frères, ils avaient tous Snap mais moi je ne voulais pas. Je leur disais : “C’est bête, si vous allez aux toilettes, vous allez snapper aussi ?” »
L’été dernier, il finit par se laisser tenter. Son premier snap ? Il toque à la porte de son voisin avant de détaler. C’est devenu l’un de ses classiques.
Des petits cachets et des rappeurs
A la grande table du Mama Shelter, la serveuse apporte des pizzas. Junior, l’agent d’OhPlai, balance :
« Vous pouvez les mettre au milieu ? Nous c’est FN madame … Famille nombreuse ! »
Tout le monde se marre. Avec sa répartie, l’agent d’OhPlai se fait même parfois auteur et file quelques vannes au snappeur. En attendant, cet ancien du quartier fait surtout jouer son réseau. En un mois, OhPlai est monté sur scène avec Mokobé et Mac Tyer. Il a aussi fait son selfie avec Booba, checké Dawala, le boss du Wati-B, ou les humoristes Ahmed Sylla et Issa Doumbia. Son agent résume :
« Le but maintenant, c’est de monétiser tout ça sans faire n’importe quoi. On reçoit des petits cachets mais quand OhPlai rencontre Booba, il n’y a rien, c’est OhPlai qui est gagnant, pas Booba. »
La thune vient d’ailleurs, du placement de produits par exemple. OhPlai évoque des « bonus ». Il ne vit pas encore de Snapchat. De quoi alors ? « Je me débrouille, je suis un homme », glisse-t-il évasif.
Les policiers font aussi partie de la OhPlay Family
Une bonne partie de ses histoires se passent dans son quartier. La peur des chiens – jouée ou pas – de ses voisines quinqua, la galère des places de parking, les pigeons en bas de son immeuble, il rigole et fait rire de tout. Mais ce qui marche le mieux, c’est encore le cocktail police / garde à vue. OhPlai rembobine :
« Il y avait la police dans mon hall, devant la porte d’un voisin. Je les ai snappés et en même temps je les vannais. Je disais : “Je vais te goumer, vas-y kill !”. Ça veut dire va-t’en mais ils ont pris peur. Entre temps, ils ont trouvé la vidéo sur internet. Donc le lendemain ils sont venus me chercher. J’ai fini en garde à vue, ils ont marqué “menace de mort”.»
Tout ça, il l’a raconté sur Snapchat évidemment. Il a même filmé l’arrivée de la police devant sa porte. Mais le snappeur n’est pas rancunier. Et il a aussi des fans dans les commissariats :
« J’ai déjà reçu des snaps de policiers. Ils faisaient “lélélou” en uniforme. C’est la OhPlay Family ! »
Vidéo – Une journée dans la vie d’Ohplai
Le grignois termine son jus de pomme. « Lélélou », c’est l’une de ses autres marques de fabrique, un petit air qu’il cale dans ses vidéos. Pour lui, tout va très vite : la blague va devenir un vrai morceau, déjà en cours d’enregistrement :
« Quand ça va sortir, ça va péter. Numéro 1 sur Itunes, vous allez voir ! »
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