Villeneuve-le-Roi (94) — Emmanuel Maizeret, aka Daddy Reggae, reçoit dans son entrepôt de déménageur à Villeneuve-le-Roi, en banlieue sud-est de Paris. Il habite un appart’ juste au-dessus. Béret vissé sur la tête, il a le smile :
« J’aime bien faire des interviews, ça me change ! »
Reggae passion
Dans le hangar trône le camion jaune floqué « Daddy Reggae » qu’il balade un peu partout depuis maintenant deux ans. A l’arrière, il a installé un sound system qui diffuse du reggae à plein volume. A 48 piges, il est passionné par cette musique depuis gamin. Il a grandi dans le 91, à Draveil, cité dortoir où vivent de nombreux Antillais, salariés dans les hôpitaux à proximité.
Dans les années 70-80, les chaines stéréos se démocratisent et partager sa musique devient plus facile :
« Dans mon quartier, il y avait de la musique partout. Les gens avaient ramené leur culture de là-bas : ils vivaient les fenêtres ouvertes, du coup ça crachait du reggae à n’importe quelle heure. Tout le monde écoutait ça à l’époque. Ça a commencé avec Bob Marley bien-sûr, puis Gainsbourg, Alpha Blondy. Y’avait même des tubes qui passaient sur des radios comme Europe 1 ou RMC. »
« Les gens vivaient les fenêtres ouvertes, du coup ça crachait du reggae à n’importe quelle heure. » /
A l’adolescence, comme de nombreux fans de musique, il monte un groupe avec ses potes :
« Ça ne tenait pas la route. On était des gamins de 16-18 ans, on a enchaîné quelques concerts à la con mais ça s’est rapidement cassé la gueule. »
A 22-23 ans, il créé son premier sound system qu’il balade dans les soirées en banlieue parisienne et en Bretagne. Comme en 97, où avec quelques potes, ils partent pour une tournée de deux semaines dans l’ouest :
« On a dû faire 12 dates en deux semaines. Mais ça nous a vite saoulé : les retours n’étaient pas très bons, on ramenait quelques dizaines de personnes par évènements, pas assez de résultats par rapport aux efforts qu’on fournissait. »
Vacances à Kingston
En parallèle de sa passion pour le reggae, Emmanuel bosse à l’aéroport d’Orly, à deux pas de chez lui, dans le fret d’Air France. Un taf au sol qui lui permet cependant de bénéficier des mêmes avantages que le personnel naviguant :
« Les billets d’avion coûtaient que dalle. Du coup dès que j’ai eu l’occas’ de partir, je me suis envolé pour Kingston, un rêve de gamin ! C’était la première fois que je voyageais ! »
Manu a toujours eu les yeux tournés vers cette petite île des Caraïbes, berceau de la culture rasta. Il est comme un dingue là-bas. Tous les ans, il fait l’aller-retour, reste à peine une semaine sur place, traîne ses guêtres dans tous les magasins de vinyles, les bals et les sound systems :
« J’étais le seul blanc à trainer dans les trucs comme ça. Quand je débarquais quelque part, les gars me regardaient comme si j’étais un extraterrestre. »
Le dépaysement est au rendez-vous : « Là-bas du lundi au dimanche c’est la fête, il y a une vraie culture de la danse. » Il assiste à pas mal de bagarres, des types qui tirent en l’air pendant une session sound system, des keufs qui défouraillent. Il traine même un temps avec un mafieux du coin.
En parcourant les pages de ses albums photos, les souvenirs remontent. /
En parcourant les pages de ses albums photos, les souvenirs remontent au fur et à mesure :
« Ah, là on était dans une soirée à deux pas d’une prison. De temps en temps les gars prenaient le micro pour faire une dédicace à leurs potes en taule. »
Ça va faire plus de dix piges que Manu n’est pas retourné là bas. Il a peur d’être déçu : « Tout a changé depuis les années 90. De toute manière je ne connais presque plus personne là bas. »
Il sort le camtar
Un jour, Manu en a ras-le-bol. Ras-le-bol de se faire chier à organiser des soirées où personne ne vient. Il plaque son taf chez Air France, monte sa boite de déménagement à Villeneuve-le-Roi et s’éloigne du milieu. Aujourd’hui il en rigole :
« J’ai un trou de dix ans dans mon CV ! Et puis vers 2010 ça m’a manqué, j’avais envie de remettre le couvert. »
Il achète une sono à un anglais et repart sur les routes, dans les tournées et les festivals. Il traine ses enceintes sur une remorque derrière son camion. « C’était les prémisses de Daddy Reggae ! »
Daddy Reggae et son camion DIY. /
2014, il choppe un camion d’occas’, le découpe en deux pour mettre le groupe électrogène et les amplis à l’abri. A l’arrière, il place les enceintes sur un plateau. Et greffe une régie et une platine sur le siège passager. Il commence à tourner dans les rues de Paname :
« Les retours sont excellents ! Si tu voyais le nombre de sourires, de bisous, de likes, que je reçois quand je passe. Entre l’effet de surprise, l’effet visuel et l’effet sonore, si tu tombes au bon moment, le week-end surtout, ça fonctionne tout de suite. »
Tout le monde kiff Daddy Reggae
Il se sent libre Manu. Sans producteur, sans personne à qui rendre des comptes. Même les flics le laissent tranquille : « t’imagines pas le nombre de selfies que j’ai fait avec eux ! » Il se souvient surtout de l’après 13 novembre. Quand il est reparti tourner avec son gros camion jaune dans des rues parisiennes vides où l’ambiance était plombée :
« Les flics me tutoyaient d’office. Il me demandait de mettre le son plus fort ! Quand tu viens d’un milieu sound system où tu te faisais engueuler de tous les côtés par eux, ça surprend. Là je me suis dit que les choses avaient changé. »
(img) Daddy Logo
Grâce à Facebook, Manu s’est fait un petit nom dans le milieu. Des fois, il se transforme en ambianceur de fêtes d’anniversaires à la demande. D’autres, c’est Trax Magazine ou des festoches qui lui passent commande pour des évènements ou des conférences.
S’il n’a pas tourné depuis presque un mois à cause de la météo capricieuse, il prépare un gros événement dès que le temps sera clément :
« Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, mais ça va être énorme ! »
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