L’image est en noir et blanc. Sur la photo qu’il montre sur son portable, Omar Benlaala a la vingtaine, un turban sur la tête et une barbe de 30cm sous le menton. Dans les années 90, il est l’un des premiers barbus de la capitale, membre du mouvement islamique « tabligh », un courant piétiste et missionnaire né en Inde.
Impossible de le reconnaître aujourd’hui dans le café parisien où StreetPress le retrouve. L’air serein, le quadragenaire feuillette le Parisien devant un thé. Il arbore un look passe partout : T-Shirt noir col V, doudoune foncée et barbe de 3 jours bien moins touffue.
« Ma barbe a quelques trous maintenant. Comme je ne me rasais jamais à l’époque, ça laisse encore des traces. »
Des stigmates d’une vie qu’il raconte dans La Barbe, un petit livre vert publié dans la collection Raconter la vie des éditions du Seuil. Du jour au lendemain, il s’investit dans la religion et attire un tas de jeunes comme lui à l’intérieur de la mosquée Omar, rue Jean-Pierre Timbaud.
« A un moment, j’étais un peu comme un booker d’hôtel. Je leur disais que j’avais réussi à arrêter de fumer, que je me sentais mieux. En essayant de les convaincre, je me convainquais moi-même. Tu vois la scène du Livre de la jungle ? C’était un peu comme ça : ‘regarde-moi dans les yeuuuux ‘»
Barbu et écrivain
Le livre est sorti en librairie quelques jours après les attentats de janvier 2015. La promo a dû être réduite au minimum. Pourtant, depuis un an, il a eu la faveur de nombreux médias, du Grand Journal au Figaro. Le message est toujours le même, l’histoire d’un islamiste repenti. Le barbu s’est rasé.
« Il existe très peu de témoignages de ‘barbu’, j’imagine que c’est pour cela que l’on m’invite. Le problème, c’est que je ne suis jamais mis en avant comme un écrivain français. L’article du Figaro se terminait par ‘bienvenue en France’, comme si je n’étais pas français. »
L’histoire d’Omar est pourtant bien française. Il a grandi dans le quartier de Ménilmontant, au nord de Paris. Ses parents, kabyles, sont arrivés en France dans les années 60. Son père est maçon et sa mère s’occupe du foyer. De sa famille, il dit aujourd’hui qu’ils ne sont « pas de grands dévots ». Sa mère fait la prière, son père non. En fin de collège, Omar rêve de philo, mais on l’oriente vers un CAP secrétariat. Il le vit comme une « trahison » et décide d’arrêter les cours.
Les parents d’Omar sont analphabètes. Pour eux, la nouvelle est dure à encaisser.
« Mon père m’a avoué que ça a été le jour le plus sombre de sa vie. »
Prison, baston et 205
Déscolarisé, Omar traîne dans la rue, dans le quartier des Amandiers que tout le monde appelle la Banane. Son jeu préféré avec ses potes de l’époque : s’agglutiner dans un petit local où ils dealent, éteindre la lumière et se foutre sur la gueule dans le noir. Une vie de petit délinquant dans laquelle le quarantenaire assure ne pas être très bon.
« J’avais de quoi m’acheter un kebab et un polo. Mais pas plus. J’avais des copains qui avaient de grosses voitures. Moi je n’ai pas été plus loin que la 205. »
Difficile aujourd’hui d’imaginer le frêle Omar faire sa place dans la rue. Pourtant, à 18 ans, il se fait chopper et écope de 6 mois de prison dans le quartier des jeunes détenus de la prison de Fleury Mérogis. C’est un moment de bascule pour lui.
« Quand j’ai vu mes parents venir me rendre visite au parloir, je me suis dit que j’allais dans le mur. »
Satan Petit Coeur en qamis
Un an et demi plus tard, il foule pour la première fois la moquette de la mosquée Omar. Il le raconte dans son livre :
« J’ai simplement accepté l’invitation d’un ami : “il y a du thé et des cacahuètes” a fini de me convaincre d’enfiler un short, des claquettes, et ce tee-shirt, souvenir des coffee-shops d’Amsterdam, sur lequel un dogue de cartoon indiquait ma férocité latente et mon appartenance à la secte des haschischins. »
Le ton est volontairement ironique et détaché. Quand il en parle aujourd’hui, le discours est bien calibré, sans doute la petite mécanique des interviews qui s’installe chez Omar. Quand il se marre, ses yeux se plissent. Il se rappelle de son ignorance religieuse. A l’époque, il projette ses propres références sur les fidèles de la mosquée. Et pour le p’tit parigot, il est plus question de mangas que de sourates :
« Le premier musulman que je vois avec le turban, pour moi c’est Satan Petit Coeur. En plus j’avais les oreilles pointues comme lui alors je me projetais bien. »
La barbe pour dieu et contre l’acné
Omar décide de combler ses lacunes, en accéléré. Il assure que personne ne lui a demandé d’agir ainsi, préfère évoquer son propre « surinvestissement ». Et il n’est pas du genre blagueur. Il passe immédiatement 3 jours dans un foyer Sonacotra avec ses nouveaux « frères », enchaîne avec une marche en banlieue parisienne, puis une autre dans le nord de la France. Quelques mois plus tard, c’est la découverte des origines du mouvement tabligh : le Pakistan, l’Inde, le Bangladesh.
S’il fait tout ça, c’est que l’ado veut combler un vide :
« Quand on m’a parlé d’héritage, ça m’a touché. On m’a expliqué que je m’inscrivais dans une histoire. Avant ça, j’avais l’impression de ne servir à rien. Là, j’étais enfin utile à quelque chose. Le simple fait d’avoir les clés de la mosquée était incroyable. J’invitais les gens chez Dieu. »
Entre temps, il s’est lui aussi transformé en Satan Petit Coeur, un turban sur la tête et sa fameuse barbe sous le menton. Mais il suffit de la débroussailler un peu pour comprendre qu’elle n’était pas qu’une question de religion.
« En réalité, j’étais très complexé à l’époque par mon acné. Avec la barbe, j’avais enfin un moyen de cacher ça. »
Des prêches devant 2.000 personnes
Du haut de sa nouvelle stature dans le quartier, il commence à prendre le melon. Il lui arrive même d’intervenir lors des prêches du vendredi, devant 2.000 personnes. Avec ses parents, le dialogue devient de plus en plus compliqué. Il ne ramène pas une thune mais sa parade est toute trouvée :
« Je travaille pour Dieu, vous ne savez pas ce que c’est. »
Le parcours d’Omar rappelle étrangement ceux de certains terroristes français. Comme eux, il a un passé de petit délinquant. Comme eux, il est arrivé tard à la religion. Et comme eux, il s’y est investi à l’extrême. Mais la comparaison s’arrête là. Il a bien croisé quelques hommes « patibulaires » qui parlaient à demi-mot de lutte armée. Il ne les a jamais écoutés. Plus que l’histoire d’un repenti, Omar raconte la quête identitaire d’un ado.
S’il n’a pas cédé aux sirènes de ces hommes, c’est qu’il était toujours en prise directe avec ses modèles religieux :
« Aujourd’hui, les gamins s’intéressent à la religion sur Internet, il n’y a plus de rapport au réel. Quand j’écoutais un cheikh prêcher, j’étais très attentif. Puis, comme j’étais avec lui toute la journée, je le voyais s’allumer une clope de temps en temps. Et là, tu relativises le discours. »
Dans la mosquée Omar / Crédits : Robin d'Angelo
Very Bad Trip à la sauce muslim
Le déguisement d’homme pieux d’Omar s’envole dans la fumée d’un joint que lui propose l’un de ses potes. Il écrit :
« Le personnage anachronique que je me suis façonné (…) ne me convient plus. J’en ai assez de me planquer sous la tradition, comme d’autres derrière une bière, un écran. »
Comme il ne fait jamais les choses à moitié, c’est à Amsterdam qu’il allume ce pétard, non sans quelques réminiscences de la vie qu’il quitte à peine :
« Le premier joint qu’on a fumé, c’était une montée incroyable. On est rentré à l’hôtel immédiatement pour faire nos ablutions. »
Une sorte de Very Bad Trip à la sauce muslim. Cette virée à Amsterdam signe la fin de son histoire avec la mosquée de la rue Jean-Pierre Timbaud, mais pas la fin de sa barbe. Désormais, le barbu squatte les soirées underground sous ecsta.
« J’étais le barbu assis qui ne dansait pas. Les hipsters n’existaient pas à l’époque donc j’étais le centre d’attraction. Les gens me parlaient sans arrêt de religion alors que je voulais m’en éloigner. Je me disais ‘Dieu t’éprouve’. »
Car bizarrement, il ne s’est jamais senti aussi proche de Dieu que dans ses années à écumer les afters les yeux vitreux. Il le dit naturellement :
« J’ai parlé à Dieu défoncé. C’est la première fois que je lui parlais vraiment. »
Aujourd’hui, Omar ne fréquente plus les mosquées ni les soirées parisiennes. Il a vivoté de quelques petits boulots avant d’écrire la Barbe. En ce moment, il anime des ateliers de commentaires sportifs avec des collégiens. Il prépare aussi un livre sur la vie de ses parents. Toujours l’envie de connaître ses racines. Toujours de façon extrême ?
« J’écris 4 à 5h par jour en ce moment. Et il paraît que ça va en augmentant … »
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