Cheveux longs coiffés en queue de cheval, clope roulée au bec, Corentin Charbonnier, 32 piges, est titulaire depuis deux mois d’un doctorat en sociologie à l’université de Tours. Le sujet de sa thèse : « La communauté métal : le Hellfest comme lieu de pèlerinage ». Le jour de sa soutenance, le Hellfest balance l’info sur Facebook. 140 personnes se pressent dans la salle :
« Le jury n’avait jamais vu ça ! »
Il prépare désormais l’adaptation en bouquin. Plusieurs maisons d’édition seraient sur les rangs :
« Ma seule condition c’est qu’il soit à moins de 20 euros. La communauté du métal dépense déjà énormément de thunes tous les ans dans les festivals, les produits dérivés. J’ai pas envie de les plomber. »
Corentin Charbonnier /
En attendant la sortie du bouquin, il revient sur son enquête pour StreetPress :
D’où est parti le projet ?
En fac de socio, j’étais arrivé au constat qu’il y avait déjà beaucoup de choses sur la musique métal en-soi faites par des sociologues, mais absolument rien sur les festivals.
De mon côté je suis un gros fan de métal depuis que je suis gamin. Ça fait une quinzaine d’années que, en parallèle de mon boulot, je bosse dans le milieu : je manage des groupes, je suis photographe de concerts, j’anime une émission de radio entièrement consacrée à cette musique, j’écris pour des webzines… Enfin bref, je baigne là-dedans.
Pourquoi le Hellfest en particulier ?
Le Hellfest est le plus gros festival de métal en France et il doit facilement s’inscrire dans le top 5 européen. Il occupe une place très particulière après à peine 10 ans d’existence. 150.000 personnes de 70 nationalités différentes qui se réunissent tous les ans au même endroit, autour d’une même passion, c’est dingue. Le festivalier métalleux est différent des autres. Quelqu’un qui va aux Vieilles Charrues, il vient pour une affiche. Au Hellfest, tu viens pour une ambiance.
Aucun autre festival en France n’a un tel côté « repère » pour la communauté. Ce qui m’intéressait dans ce travail c’est de voir l’envers du décor du festival : tout le côté communautaire créé par les organisateurs, la gestion des fonds, l’iconographie, la négo avec les groupes. Derrière, c’est une grosse machine. C’est sûrement un des seuls festivals de France avec 13 employés à plein temps.
Hellfest / Crédits : Jérôme S Flickr
Pourquoi le comparer à un pèlerinage religieux ?
Dans le métal, il y plein de sous-catégories avec tout un tas de fans qui ne se rencontrent pas habituellement dans les concerts. Le Hellfest permet de rassembler tout le monde et de renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté. Pendant 3 jours, des gens de milieux différents sont réunis dans un laps de temps en rupture avec la vie quotidienne. C’est la définition exacte que donne le sociologue Laurent Amiotte-Suchet au pèlerinage de Lourdes : « Un moment d’exception dans l’existence ordinaire, le pèlerinage est conçu comme un espace-temps parallèle qui marque une rupture forte avec le quotidien paroissial »
C’est un moment de réaffirmation de l’identité des métalleux, de dévotion envers les artistes. C’est clairement un rite de passage pour tout métalleux qui se respecte : Il y a ceux qui ont fait le festival et ceux qui ne l’ont pas fait. L’achat de souvenirs qui peuvent s’apparenter à des reliques aussi. Par exemple ramener un gobelet du Hellfest, ça ne vaut rien, mais symboliquement c’est fort.
Je trouve ça génial parce qu’on gueule sur la religion mais on est au final super proche. Quand tu vois comment tu prépares en amont un festival : avec qui tu pars, où et comment tu t’installes, ce que tu ramènes à boire (hyper important !), le budget pour tes objets collectors… Quelqu’un qui revient du Hellfest a le même contrecoup que quelqu’un qui a vécu une expérience mystique.
Qui se rend au Hellfest ?
D’abord c’est un public qui est très intégré dans la société, c’est des mecs comme tout le monde, qui vont voter, qui travaillent, qui ont des gosses. Surtout, il y a très peu de chômeurs chez les métalleux. Malgré les idées reçues, ce ne sont pas du tout des marginaux. Là-bas, t’as de tout, c’est à l’image de la société. Je me rappelle d’éditions où des PDG d’entreprise et des étudiants picolaient ensemble.
Dans ce festival, tous les gens qui sont autour de toi sont liés par la même passion. Tu vas boire la même bière, tu vas danser pareil. C’est marrant comment ce festival, par rapport à d’autre, a réussi à gommer toutes inégalités.
Comment s’est découpée l’enquête dans le temps ?
Au final, le temps d’étude sur place était super court, étant donné que le festival ne dure que quatre jours. Le reste de l’année je rencontrais des groupes, des festivaliers, des bénévoles, les organisateurs, pour comprendre la place que prenait le Hellfest dans leur vie.
La bande / Crédits : Stéfan Flickr
T’as eu des retours depuis ?
Lors de ma soutenance, le Hellfest a balancé l’info sur Facebook. C’est une super reconnaissance. Après avoir bossé sept ans sur un sujet, c’est toujours gratifiant d’avoir un retour positif dessus. Il y avait 140 personnes dans la salle, le jury n’avait jamais vu ça !
A qui s’adresse ta thèse ? Aux métalleux ou à tout le monde ?
Au départ, c’est un travail d’universitaire classique, mais il fallait qu’elle puisse être lue par n’importe qui. En général, les thèses en sociologie tombent rapidement dans l’oubli. De ce côté, j’ai beaucoup de chance parce que le milieu métal est extrêmement demandeur. L’éditer c’est la rendre accessible à un plus grand nombre de personnes. Pour le type qui fait le Hellfest tous les ans ou pour celui qui ne l’a jamais vécu, qu’il comprenne à quoi ça ressemble.
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