Rue Jean-Pierre Timbaud – Paris 11e. « C’est la première fois de ma vie que j’entre dans une mosquée et en plus je me retrouve à prendre la parole ! », blague à la tribune Jean-Philippe, la quarantaine grisonnante et habitant du 11e arrondissement. Face à lui, une centaine de personnes sont assises en rang d’oignons, au milieu des tapisseries de la salle de prière. Dimanche 13 décembre, la mosquée Omar accueillait une rencontre avec les riverains autour du thème « Comment faire vivre la fraternité ? » Athées, juifs, musulmans, catholiques, protestants, et même des bouddhistes : L’estrade improvisée a des airs de délégation des Nations Unies.
Thérapie de groupe
« C’est une chance incroyable que nous avons là de pouvoir nous parler ! Jamais nous ne nous fréquentons. » Deux petites dames du quartier abordent Najat, une fidèle de la mosquée. Bracelet aux couleurs de la Palestine au poignet et vêtue d’un niqab, la jeune femme est une habituée du lieu de culte où elle suit des cours d’arabe. « Aller vers les autres, c’est très difficile pour nous. Moi je porte le voile, je voudrais aller vers les gens mais j’ai l’impression qu’ils se braquent », explique son amie Sonia, foulard marron à carreau sur la tête. François, un paroissien de l’église voisine Saint-Joseph des Nations, confie pénétrer pour la première fois de sa vie dans une mosquée en France. Lors d’une discussion en petit comité qui prend des airs de thérapie de groupe, le quadra aux yeux bleus délavés et aux bouclettes châtain clair fait part de ses préjugés à 3 femmes voilées :
« Moi quand je passe devant une mosquée, je trouve ça opaque et je trouve que ça fait peur. Cela aplanirait les choses si l’on multipliait les portes ouvertes. »
Quartier martyre
Située rue Jean-Pierre Timbaud, dans le 11e arrondissement, la mosquée Omar se sent particulièrement concernée par les attentats du 13 novembre. Elle se trouve à moins de 500 mètres du Bataclan, et à quelques encablures seulement des restaurants attaqués. Dans la rue Jean-Pierre Timbaud, bars pour trentenaires et librairies islamiques cohabitent sur le même bout de trottoir. « Les terroristes souhaitent mettre à mal le vivre-ensemble dans notre quartier, symbole de métissage », s’inquiète à la tribune Abdelkader Achour, l’imam de la mosquée. « Mais un tel acte ne fait que renforcer notre détermination. »
Organisée en réaction aux attentats par l’association interreligieuse la Fontaine aux Religions, cette conférence devait initialement se tenir à la mairie du 11e arrondissement. Mais les responsables de la mosquée ont insisté pour qu’elle ait lieu en son sein. Petite barbichette et visage émacié, Shakir officie épisodiquement comme muezzin lors de la prière du vendredi. Le trentenaire au regard franc insiste :
« C’est à nous, les musulmans, de répondre. Les gens posent des questions, on doit écouter leurs craintes et éclaircir notre message. »
Le cheikh Abdelkader Achour dans la salle de prière de la mosquée / Crédits : Robin d'Angelo
Du Tabligh à #NotInMyName
Sur la façade de la mosquée, une immense bâche noire a été déployée en hommage aux morts des attentats. Dessus, l’inscription « Pas en mon nom », imprimé en bleu-blanc-rouge. Dans la communauté musulmane, le slogan est sujet à controverse : certains estiment qu’ils n’ont pas à devoir se désolidariser de Daech. Mais pas ici, assure l’imam Abdelkader Achour :
« Ça n’a fait aucun débat. L’Islam était visé et il fallait que l’on dénonce ça. Beaucoup de voisins sont venus nous voir pour nous dire à quel point ils ont été touchés par cette banderole. C’était important. »
Le symbole est fort d’autant plus que la mosquée Omar a régulièrement été pointée du doigt, suspectée d’accointances islamistes. Crée par l’association Foi et Pratique, qui rachète en 1980 cette ancienne usine, le lieu de culte est le berceau du mouvement Tabligh en France, un courant rigoriste qui se distingue par son prosélytisme.
Surtout, la mosquée défraie la chronique quand elle se retrouve au cœur du procès d’une filière de djihadistes au début des années 2010 ou quand le groupuscule salafiste Forsane Alizza organise une conférence de presse devant le bâtiment en 2012. La même année, c’est le fondateur de Foi et Pratique, le charismatique imam Mohamed Hammami, qui est expulsé vers la Tunisie par arrêté ministériel, accusé de prêcher un djihad violent. (°)
Petit polo Lacoste et lunettes à grosse monture, Serge Benhaïm, venu à la conférence représenter les institutions juives, euphémise : « Cette période leur a donné une image négative. Ils ont compris qu’il fallait corriger l’orbite pour rester dans un axe citoyen. » « L’association s’est renouvelée avec plus de jeunes, qui ont fait l’école ici, qui n’ont pas les mêmes coutumes », fait valoir Hichem Bakri, en charge de interreligieux depuis 15 ans pour l’association et nommé nouveau secrétaire général. « On s’est mis à la page. »
Dans la mosquée Omar / Crédits : Robin d'Angelo
Des journalistes et des voisins mais peu de jeunes fidèles
Makrouds, dattes, verres de coca : ce soir à la mosquée, c’était journée portes ouvertes dans une ambiance de kermesse. Il y avait même les caméras de Canal+ et les micros de RFI. Et ces deux messieurs en costume qui distribuent leurs cartes de visites à tour de bras et qui se pressent pour pouvoir être sur la photo ? Des représentants de la Fédération pour la Paix Universelle, un mouvement affilié à la secte Moon. Mais sur la centaine de participants, ils n’étaient qu’une dizaine de fidèles de la salle de prière à avoir fait le déplacement. « Le problème, c’est qu’on regarde autour de nous, et que l’on ne voit pas beaucoup de jeunes de la mosquée », regrette une voisine. Ce n’est que partie remise, promet-on du côté des représentants communautaires.
(°) Édit du 16/12 à 18h40 : Suite à la publication de l’article, les représentants de la mosquée Omar tiennent à ajouter qu’ils n’ont pas laissé entrer les membres de Forsane Alizza à l’intérieur de leur mosquée lors de leur conférence de 2012, que l’imam Hammami a été relaxé en première instance mais qu’une procédure est toujours en cours et qu’ils ont toujours défendu des valeurs de vivre-ensemble.
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