Paris 2e – Une danseuse, 26 ans, string dentelle noir et porte-jarretelles, entame un twerk à califourchon sur une chaise. La caméra est braquée sur sa paire de fesses. « Si avec ça les mecs kiffent pas… » chuchote Davidson, le manager de la MZ. Le groupe de rap parisien a la cote depuis la sortie du morceau Lune de Fiel et son refrain « fumer, tiser, baiser ». Un titre vu plus de 11 millions de fois sur YouTube. Dans l’appartement loué quelques heures plus tôt sur Airbnb, le trio tourne son prochain clip.
Nouvelle prise. Les baffles de l’ordinateur crachent un beat planant. Yoch, eye-liner tapageur et longues tresses jusqu’aux hanches, gagne calmement sa chaise. Puis elle prend une pose lascive, n’hésitant pas à jouer du regard avec l’objectif. Yoch est vixen, soit modèle de clip de rap. Son travail consiste à taper la pose, danser et faire la belle quand la caméra tourne. La femme-objet. Fantasmées par les fans de hip hop, raillées par certaines féministes, les vixens participent à une certaine imagerie du rap. Yoch résume :
« Notre job, c’est de vendre du rêve. »
De la chirurgie pour gonfler le postérieur
Importé directement des States, le terme « video vixen » se traduit « mégère de clip ». Pas de quoi vexer Yoch :
« Comme les liasses de billets, les voitures de luxe et les chaînes en or, on fait partie de l’univers un peu fantasmé du rap. »
Yoch n’a pas forcément le physique de l’emploi. Toute menue avec sa taille 36, elle détonne des modèles hip hop habituels. Pas de cuisses généreuses et de fesses bien en chair. « Je veux me refaire les cuisses ! Les nanas se plaignent de leur culotte de cheval, qu’elles me la filent, moi j’en veux une ! », rigole-t-elle en sortant de plateau.
Selon elle, la chirurgie esthétique est monnaie courante dans le milieu. Parmi les corps les plus convoités, il y a celui de Melissa Montana. La Nantaise aux fesses bombées est le fantasme d’un paquet de mecs. Au téléphone, elle livre tout naturellement le secret de ses courbes :
« Je me suis fait refaire les fesses et les seins. Et je passe 2 ou 3 heures par semaine à la salle de sport. »
Vixen pour 100 balles au black
Ses formes généreuses, Melissa Montana les a baladées sur le canapé de Kaaris dans Kalash , dans la teuf de Booba dans Abracadabra, ou autour de la Bentley de Niro dans On a passé l’âge. Elle s’est fait un petit nom dans le rap jeu et les propositions de clips, sont nombreuses. « Je ne tourne pas pour moins de 300 euros », prévient-elle.
Clip Booba – Abracadabra
Un montant modeste auquel ne peuvent prétendre qu’une dizaine de modèles vixen. Et même si les tarifs peuvent monter jusqu’à 600 euros par vidéo pour les filles les plus en vogue, aucune d’entre elles n’en vit. C’est pourtant une petite fortune pour Yoch et ses copines. Assises sur le lit de la chambre exiguë qui leur sert de loge, elles racontent chacune leurs expériences. « Je prends entre 100 et 200 euros en général, enfin quand c’est payé… », râle Yoch. Tiana hoche énergiquement la tête en signe d’approbation. Et l’apprentie vixen de 20 ans, d’embrayer :
« J’ai joué dans le clip de Kaaris et Dosseh. Je devais être payée 50 euros. Ce n’est déjà pas grand-chose ! Bah je ne les ai jamais eus. Et en plus, ils ont coupé ma tête au montage. On ne voit que le bas de mon corps. T’imagines ?! Un tournage pour rien en gros. »
Un après-midi de tournage pour zéro euro, c’est le plan d’aujourd’hui. Le manager de la MZ s’en vante même : « Je n’ai jamais payé une seule fille. On ne prend que des supportrices. » Comprendre des fans. Pour trouver ses modèles, Davidson se balade sur le Facebook du groupe et envoie des messages aux plus jolies filles. C’est ainsi que Tiana a atterri sur le tournage. Quant à Yoch, elle connaissait le réalisateur :
« Les contrats vont tomber après ça, c’est sûr. »
Parler de contrat est un grand mot. Les rémunérations, s’il y en a, se font la plupart du temps au black. Exit le statut d’intermittent du spectacle. Certaines tentent parfois de glisser un contrat de droit à l’image. Mais la chanson est toujours la même : seules les petites stars du milieu peuvent se permettre d’imposer leurs conditions.
Les vixens sont habitués aux potes de rappeurs un peu lourds / Crédits : Michela Cuccagna
Tiana et Yoch acceptent les tournages non rémunérés quand il s’agit de clips pour des artistes connus : « pour ajouter une ligne sur le CV », explique Tiana. « C’est stratégique : gros artistes = grosse exposition. » Si l’étudiante « aime bien » les clips, elle ambitionne à terme de devenir mannequin et rêve de se faire remarquer par les marques de fringues. Alors tout est bon pour prendre un peu la lumière.
Rappeurs gentlemen et potes lourds
Le réalisateur toque à la porte de la chambre. Il est temps de retourner en plateau. « Fermez la fenêtre les gars, oh, elles vont attraper froid », intervient Davidson, gentleman, alors que les filles arrivent dans le salon à moitié nues. « Jamais eu de problème sur un tournage », assurent ces dernières en chœur. « Niro c’est un amour », se souvient l’une d’elles.
Très à l’aise, les modèles se placent autour des deux rappeurs. Jok’air, une des trois plumes de la MZ, et son acolyte Marlo sont avachis dans un canapé. « Ça tourne. » Une odeur de beuh a envahi la pièce transformée en aquarium. Tiana est assise sur le parquet entre les jambes de Jok’Air. Elle pose sa tête sur la cuisse du rappeur. Lui, peignoir et chaussettes remontées jusqu’au mollet, déclame son couplet face caméra. Il est aux anges :
« C’est terrible, c’est kiffant. Rien à voir avec les vents que je me prenais quand j’étais au collège. »
L’heure du quatre heures
Est-ce qu’il compte chopper un 06 ? « Non. On n’est pas là pour ça. » Jamais fait ? « Jamais ! » Si les rappeurs la jouent pro, des membres de l’entourage de certains autres rappeurs tentent parfois leur chance : « Il y a toujours quelqu’un pour essayer de chopper un numéro. Ça se tente, c’est normal. Mais c’est souvent les copains des rappeurs », expliquent les filles.
Assis dans un café du 20e arrondissement, David peste. « Bien sûr que les rappeurs s’en foutent. Ils viennent pour travailler, ils n’ont pas de temps à perdre. Par contre, leurs copains rêvent de finir avec les vixens. Parfois c’est des malades, ils ne font pas toujours la différence entre le clip fictif et la vraie vie. » Le photographe de 25 ans connaît bien le rap français. Il a tiré le portrait de la quasi-totalité des rappeurs hexagonaux, réalisé quelques pochettes d’album, et travaillé comme photographe de vixens au début des années 2010. « Celles qui t’expliquent qu’elles sont toujours respectées sur les tournages, c’est du vent. » Il parle d’éxperience :
« Sur un clip où j’étais, deux-trois meufs étaient sur un lit en train de twerker, pendant que des mecs de la prod leur balançaient des billets dessus. Imagine le truc : autour il y avait dix mecs, des potes du rappeur, en train de mater, la bouche grande ouverte. Les nanas étaient super gênées. Et quand elles pointaient le malaise, les mecs leur envoyaient des “bouge-toi salope”. »
Des agents véreux
Des filles en maillots de bain affichent leurs formes dans des clips de rap US. La France suit la tendance, des agences se créent début 2010. D’après David, rien de plus facile que d’appâter des filles dans ce milieu où tout paraît doré. Il décrit des filles charmées par le strass et les paillettes. « On les attirait comme on attire dans le porno. » Et certains commencent à flairer le bon filon :
« Dans la tête de ces mecs, il y avait des thunes à se faire et des coups à tirer. »
Sur le clip de la MZ / Crédits : Michela Cuccagna
Les loustiques s’improvisent alors booker et commencent à repérer des filles. De vrais rabatteurs. À chaque modèle présentée pour un clip, ils prennent une commission. Le tout au black. Devant les filles, ils se présentent comme des agences, même s’ils n’ont ni statut juridique ni contrat légal à proposer. Sans vergogne, ils promettent des tournages avec les plus grandes stars du rap et des shootings censés lancer les carrières des vixens. Ces bookers improvisés recrutent sur Internet ou dans les boîtes de nuit. Le mot d’ordre : prendre les plus jolies et les moins timides. Une fois les filles recrutées, ils prévoient des shootings et des clips sages, à peine aguicheurs. Mais cette étape ne dure pas :
« Après les clips, les mecs leur proposaient des shows en club, puis des strip-teases. Sans parler des relations glauques avec les types qui géraient ça. »
Le photographe se souvient de l’anniversaire d’un de ces rabatteurs qui se serait terminé en partouze dans la salle de bain d’un hôtel, pendant que d’autres profitaient d’un strip-tease dans la chambre. « Des mecs d’autres agences ont d’ailleurs été poursuivis pour viol. »
Depuis, ces faux agents auraient mis la clef sous la porte, victime de leur réputation douteuse. Aujourd’hui, ce business pourrait repartir. Yoch, la vixen sur le clip de la MZ, compte arrêter les tournages pour se consacrer à plein temps à l’agence qu’elle vient de lancer : Bad Bitches Gang. Aux filles qu’elle recrute, elle propose tournages, photo-shoots en tout genre et plans gogo-danseuse. Lorsqu’elle parle de son affaire, elle se découvre une âme de syndicaliste :
« Trop de nanas se font arnaquer dans le milieu. Je vais les voir et je leur dis : ma fille, c’est terminé ! »
Le business des gogos vues dans des clips
Ce soir, c’est Jess qui profite du « plan gogo » de Yoch. Un show de trois fois 10 minutes au Village Russe, une boîte de nuit parisienne située en face de la Cité de la mode et du design dans le 13e arrondissement. Pour donner un petit côté bling-bling supplémentaire à leurs événements, les gérants de boîtes hip-hop engagent ces gogos « vues dans des clips ». Des organisateurs de soirées ont même été plus loin : ils ont lancé des événements basés exclusivement sur la présence de vixens au début de l’été. Baptisés Asstronaute, ils sont tenues par le rappeur Monseigneur Mike. Un clip de rap en vrai.
Le site Asstronaute / Crédits : Asstronaute.fr
Une longue file de fêtards se presse devant le Village Russe ce samedi soir. Baskets-jupe pour les filles, t-shirt large pour les garçons. « Il y a du monde ce soir », constate Jess, un brin stressé. La danseuse de 20 ans a rejoint l’équipe de Yoch il y a quelques mois, sans pour autant quitter son job de serveuse. Pour elle, travailler avec cette « agence » a ses avantages : « C’est plus simple, elle vérifie pour moi si les projets sont sérieux. J’ai vécu trop d’histoires étranges », raconte-t-elle en enfilant ses bas résille jaunes fluo.
Pour la soirée, Jess empoche une centaine d’euros. Un tarif qu’elle estime honnête à condition de ne pas s’attarder trop sur place : deux heures suffisent parfois. Ce soir, les choses traînent et elle commence à s’impatienter. Elle devait passer vers 1h30, il est déjà presque 3h. « En général, les gogos passent en début de soirée, après les gens sont trop bourrés, c’est plus tenable. » Quelqu’un finit par venir la chercher. Passage dans 15 minutes. Pour patienter, elle se sert un verre de coca et s’installe dans le gros canapé brun vieilli.
La mauvaise réputation
Quand elle a commencé, il y a deux ans, à sa majorité, ses copines cancanent et les embrouilles avec son copain sont perpétuelles. « Les mots “tapin”, “prostituée” ou “catin”, je les ai tous entendus… » Elle a fini par quitter son mec. Ses parents ne voient pas non plus cette activité d’un très bon œil. « Mais ma mère a fini par comprendre. Elle était gogo aussi. » Si sa mère le faisait par nécessité, Jess dit, elle, le faire par passion.
« J’aime danser, être sur scène. Ça me fait plaisir de le faire. »
En coulisses
La jeune femme a déjà tourné avec une dizaine de rappeurs plutôt confidentiels à l’exception peut-être du Sheguey Squad, le crew de Gradur. Les clubs, c’est ce qui lui rapporte le plus. Le bon plan ? « Les tables, annonce t-elle. C’est un show de gogo quasi privé. Il y a moyen de se faire 500 euros par soir. »
À quelques minutes de son passage, elle se met une dernière couche de rouge à lèvres, et s’étale sur les cuisses et les bras une eau de Cologne pailletée, senteur coco. Elle poursuit : « Tant que ça reste de la danse, je suis partante. » Jess n’a jamais fait ni strip-tease ni escorting. On lui a déjà proposé :
« C’est de la folie, ça peut rapporter plus de 1000 euros la soirée d’après une copine qui est escort. Mais mieux vaut ne pas commencer. C’est la descente aux enfers après. L’argent est trop facile et tu te mets à faire n’importe quoi. »
3h du mat’. Comme prévu, les clients sont déchaînés. Entre temps, Jess a enfilé un maillot de bain aux couleurs du drapeau américain. Elle traverse la salle escortée par l’un des vigiles du club. Les hommes se tordent le cou pour la suivre du regard. Quand elle arrive sur la barre de pole dance, le DJ lance un titre de Travis Scott. Rien ne sépare Jess de son public, objectifs de téléphones braqués sur elle. Disciplinés, les garçons qui entourent la danseuse se reculent d’un mètre. La vixen tourne autour de la barre en donnant des coups de fesses à droite, puis à gauche.
Un mec n'en a rien à foutre / Crédits : Michela Cuccagna
« Vas-y bouge ton cul salope ! » , lancent quatre clientes bien éméchées, qui se sont approchées de la petite scène ronde. L’une tire la ficelle du haut de maillot de bain de Jess. Début d’embrouille. L’agent de sécurité, nez sur son portable, ne semble pas disposé à intervenir. Jess décide d’interrompre son show et descend de scène. « Elles sont folles ces nanas ! »
Blogueuse mode, le saint graal des vixens
La vixen est toujours en colère quand elle arrive dans la loge. Mais surprise, dans le vieux fauteuil, Maître Gims sirote tranquillement son jus d’orange, lunettes de soleil sur le nez et casquette sur le crâne. Dans quelques minutes, il doit faire une apparition surprise dans le carré VIP et poser deux morceaux. Jess, jusque-là sûre d’elle, ose à peine demander une photo. Elle enfile rapidement un t-shirt et va s’asseoir avec le membre du Wati B. Si elle joue les timides, elle n’oublie pas de taper la pose. Le cliché va atterrir directement sur son Facebook.
Jess feat. Maître Gims
Instagram, Snapchat, page fan Facebook, tout est bon pour se mettre en scène. Les réseaux sociaux sont l’unique moyen de communication des vixens. Sur la toile, Lois Shine est une star. Sur Instagram, plus de 45.000 personnes suivent l’actu de la vixen. D’après David, le photographe, elle est « la seule qui ait vraiment réussi dans le milieu ». Elle bosse régulièrement avec les deux grands réalisateurs de clips, Chris Macari et Nicolas Noel. On la retrouve dans les vidéos de tous les rappeurs du moment : Gradur, Kaaris, et trois fois dans ceux de Booba. « Après le clip RTC , les gens me reconnaissaient dans la rue », assure la jeune fille. Pour David, apparaître dans autant de clips relève de l’exploit :
« Normalement les rappeurs ne veulent pas la même fille que leur voisin dans leur clip. Si Rohff a mis une fille dans son clip, Booba ne voudra pas la même. Ça fait récup’. »
Loic Shine est la star des vixens française / Crédits : Instagram
Sur le net, elle se met en scène et multiplie les selfies. Une com’ bien rodée :
« Pour le troisième clip avec Booba, j’ai hésité. J’ai demandé aux internautes s’ils voulaient me voir encore une fois avec B2O. Ils avaient tous l’air pour. Du coup, je suis dans le clip de LVMH . »
Aujourd’hui, Lois a le même statut qu’une blogueuse. Elle se fait rémunérer par des marques de vêtements ou de cosmétiques, pour porter leurs produits et s’afficher avec sur les réseaux sociaux. Elle est aussi gogo dans des clubs de meilleur standing. Elle est surtout mieux payée que ses consœurs. Mieux, les boîtes l’invitent parfois pour une simple apparition… habillée. Rémunérée 200 euros pour squatter une table 2 heures avec ses copines.
À 26 ans, la Caennaise d’origine profite de son statut de mini it-girl du web. « C’est un peu comme être une star de télé-réalité. » Elle voyage pour des clips et des soirées. Mais Lois le sait, l’aventure pourrait ne pas durer :
« Je vois ça comme une parenthèse, il n’y a pas d’avenir là-dedans. Les gens pensent qu’ils peuvent se créer un biz dans ce milieu. Ils sont mal barrés. C’est juste une façon de gagner des thunes facilement et de t’amuser un peu. »
Sur Instagram, plus de 45.000 personnes suivent l’actu de Lois Shine. / Crédits : Michela Cuccagna
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER