« Le foyer était comme une petite ville. Là-bas, c’était l’Afrique », sourit Mehdi avec une pointe de nostalgie. A Paris, les foyers de travailleurs migrants (FTM), c’était le spot parfait pour aller fumer son joint tranquille. Cigarettes, canettes, cartes téléphoniques pour des pays lointains… on y trouvait tout et n’importe quoi à des prix imbattables sur de petites toiles étendues à même le sol. Mais avec la campagne de rénovation des foyers lancée en 2010, toute cette petite vie tombe peu à peu dans l’oubli.
Joint au bec, Mohamed squatte en bas d’un immeuble de la rue du Retrait, dans le 20e, avec quatre potes. L’ambulancier de 26 ans replonge volontiers dans ses souvenirs du foyer d’en face :
« On y avait nos loisirs, un bar. On pouvait manger des plâtrées de mafé ou thieb (plats traditionnels) pour 2 euros. Y’avait même des coiffeurs, des tailleurs et un bijoutiers. »
Le bâtiment a été fermé pour être transformé en « résidence sociale », immeuble de petits studios individuels. Les derniers résidents ont été expulsés en février. Aux yeux des jeunes, rien ne remplace le « Yef’ ». « Tout le quartier venait là. Les pauvres pouvaient y manger pour pas cher », se souvient Mehdi, debout à côté de Mohamed.« La fermeture du foyer a laissé un grand vide », regrettent-ils.
A Riquet, dans le 19e arrondissement, il ne reste plus qu’une poignée d’irréductibles vendeurs de maïs, dans le hall / Crédits : Alban Elkaim
Programme de rénovation
Mais l’état de nombreux foyers était devenu préoccupant : murs délabrés, carcasses de voitures éparpillées dans la cour de l’un, blocs sanitaires hors d’usage et malodorants quasiment partout, conditions d’hygiène déplorables… la liste des désagréments était longue. Depuis 2010 le problème a été pris à bras le corps et les foyers de la capitale font peau neuve à un rythme effréné. Si ces réhabilitations s’avèrent souvent nécessaires, elles changent profondément l’ambiance des lieux.
« On ne se voit plus », soupire Sow, locataire du foyer de la Commanderie, dans le 19e. Le foyer a été transformé en résidence sociale en 2010. Sa chambre est neuve. Il a une kitchenette et sa propre salle de bain. « Dans notre culture, nous nous réunissons beaucoup, reprend cet ouvrier d’origine mauritanienne. » A l’origine il y avait au moins cinq « salles de réunion », où les habitants se retrouvaient. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’une pour une résidence de 400 chambres. « Avant, le foyer, c’était la solidarité, on allait les uns chez les autres, on échangeait des choses. Ces changements ont détruit le lien social », résume le quinquagénaire.
« Notre cahier des charges a changé », reconnaît-on à l’Adoma, filiale de la Caisse des dépôt et principal acteur de la gestion des foyers de travailleurs migrants. Le programme de réhabilitation affiche deux objectifs majeurs. D’abord, « optimiser le nombre de chambres », c’est à dire construire plus de logements dans le même espace. Ensuite, et surtout, venir à bout des activités informelles. « Avant, elles étaient tolérées. Maintenant, notre but est d’y mettre fin, explique la société d’économie mixte. Cela attire des personnes de l’extérieur et entraîne de l’insécurité. Il y a du squat, des trafics de drogue, et même de la prostitution sur certains sites. » L’ordonnance est sévère : éviter les halls trop grands, retirer les prises électriques des parties communes, réduire le nombre de « salles des réunions », pas de couloirs trop spacieux, fermer les cantines informelles…
La police fait le ménage
Autre changement : les gérants des sites Adoma n’hésitent plus à faire appel aux forces de l’ordre. La police vient poursuivre les petits commerçants et autre coiffeurs improvisés jusqu’au fond des couloirs du foyer. A Riquet, dans le 19e arrondissement, il ne reste plus qu’une poignée d’irréductibles vendeurs de maïs, dans le hall. « C’est vrai que les jeunes viennent moins maintenant », reconnaît Ibrahim, la petite trentaine. Il fait mousser un thé à la menthe après un bon repas dans une cantine improvisée, au 11e étage de l’immense foyer de Riquet. Assis à sa gauche, Adama fume une cigarette à la fenêtre. Les deux gaillards viennent du 12e et d’Aubervilliers.
« Avant, il y avait plus de choses. C’est clair que moi, ça m’arrangeait. Mais ce n’était peut-être pas le cas pour les résidents. »
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