Créteil, 13h. Éparpillées dans le hall design de la maison des arts de Créteil, une vingtaine de femmes patientent sagement, lorsqu’un petit bonhomme pressé en costard gris et chemise rose, valisette à la main, débarque. C’est Louis(e) de Ville ! Cette performeuse burlesque est connue de la scène parisienne tant pour ses spectacles burlesques que pour ses shows et ateliers de drag king. Comme celui de ce dimanche-là, à l’occasion du festival Films de femmes à Créteil. Au programme : trois heures pour apprendre à se travestir en homme, barbe et torse plat en prime.
On choisit son alter ego masculin
Louis(e) annonce d’emblée la couleur aux 23 participantes : « cet atelier est l’occasion de se moquer du machisme et de faire tomber le patriarcat de son piédestal ». Pour y arriver, rien de tel que de mimer certains types d’hommes… et notamment les plus virils. Sofia, jeune mexicano-américaine mariée à un Français confie vouloir se mettre dans la peau d’un « cholo » [ndlr : gang de Los Angeles latinos ] :
« J’ai grandi dans un quartier de Chicago, où il y avait plein de gangs de latinos. Je veux tenter de leur ressembler aujourd’hui. »
Dorothée, directrice d’un service juridique dans la fonction publique, assume, elle, d’une voix fluette, aimer « porter la barbe ». Et Louis(e), en chef d’orchestre, de résumer : « Le Drag King, c’est le jeu de la masculinité, on est là pour s’amuser. Vous êtes ici pour trouver l’homme qui est en vous ! ».
Une fois les seins disparus, les femmes enfilent leurs costumes. / Crédits : Livia Saaveda
Il est temps de se métamorphoser. Les femmes, déshabillées, s’entraident à aplatir leur poitrines grâce à des bandes achetées en pharmacie. Dans cette atmosphère intime, il n’y a ni jugement, ni malaise. Cette phase est essentielle et technique. Il faut bien tirer pour que les bandes entourent le torse et aplatissent les seins. Pour Maria, 39 ans, c’est lors du « binding » que la transformation s’opère. « Pour moi, c’est la principale étape. Le reste n’est que cosmétique ». Une fois les seins disparus, les femmes enfilent leurs costumes. Des habits d’hommes, parfois empruntés à des proches : chemises, cravates et bérets font l’affaire.
Le « service trois pièces »
L’opération se déroule dans une ambiance goguenarde. Il s’agit de se fabriquer « un service 3 pièces ». Munies d’un mi-bas et de coton, les femmes s’évertuent à former un pénis. Les blagues fusent : « ce n’est pas la taille qui compte ! » Une fois confectionné aux proportions idéales, encore faut-il savoir où le poser et s’y habituer. « Je n’arrête pas de me toucher, ça me gêne », rigole l’une des filles. Pas facile d’être un homme !
Autour de Louis(e) se forme un cercle solennel pour la session maquillage. Mascara, crayons et poils synthétiques sont les outils du futur mâle. Pour Lucie, étudiante et militante d’une association LGBT, la moustache est une évidence :
« Petite, je passais mon temps à me déguiser en chevalier ou en cowboy moustachu. »Les pots de crème hydratante et de colle pour la peau passent de mains en mains : il suffit de s’en appliquer un peu sur le menton pour que les poils adhèrent. Les barbes et boucs se taillent de visages en visages.
L’attitude et la voix
Après avoir rappelé à l’ordre les quelques rebelles tenant à perfectionner leur nouvelle apparence, Louis(e) entame une tirade sur le comportement à adopter pour « jouer l’homme » : s’asseoir les jambes écartées, s’étendre, lever la tête. « Vous devez apprendre à posséder l’espace comme un homme », assure-t-elle. Pendant ce temps là, Sofia, parfait son look de « cholo » en se dessinant une larme au coin de l’œil. A l’aide de bières, chacune mime des gestes dits masculins. Louis(e) invite ensuite ses apprenties à marcher dans l’espace. On se serre la main avec une poigne de fer. On se présente comme un homme. Ces messieurs jouent le jeu : mâchoires serrées, les sourires s’effacent. Les codes masculins proposés par Louis(e) sont peu à peu intégrés.
Les 23 hommes de l’après-midi paradent devant le public. / Crédits : Livia Saaveda
La fin de l’atelier approche. Sur la scène transformée en piste de danse, difficile de reconnaître les femmes sous leurs traits masculins. Désormais, se déhanchent sous les projecteurs : un sosie de Robert Redford, un cholo et un latin lover… Maria, le latin lover, assure : « C’est à la fois libérateur et déstructurant. Ça casse tous les repères… C’est un jeu mais c’est aussi sérieux. »
Se travestir, c’est mimer les codes masculins que les hommes ont appris toute leur vie, pour ensuite en jouer. C’est, d’ailleurs, la conviction de Louis(e) De Ville:
« Avec si peu de maquillage, on peut mimer ces codes de domination. Ça prouve que le patriarcat a quelque chose de fragile. C’est pour cela que le Drag King reste underground, et contrairement au Drag Queen qui fait rire, nous, on dérange. »
Le grand moment est enfin arrivé. Les 23 hommes de l’après-midi partent parader devant le public venu assister à la projection en première du documentaire Paroles de King. Ce film dont Louis(e) De Ville est une des protagonistes, nous entraîne dans l’univers du « king » du théâtre à la ville.
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