Rue Condorcet (Paris 9e) – Une jeune masseuse passe le balai en nuisette pendant que la patronne gère les rendez-vous debout derrière son bureau. Il est midi chez Or Thaï Siam, un salon de massage « naturiste » de la rue Condorcet, à 500 mètres de la Gare du Nord. Ambiance salon d’opium à Bangkok, plein de babioles asiatiques s’empilent dans une minuscule entrée où résonne une playlist type Bouddha Bar. Sur un petit guéridon, un prospectus en forme de cœur présente la spécialité maison : un « massage et douche ensemble » à 150 euros.
Depuis mi-juin, d’étranges panneaux « No Massage » ont fleuri sur les devantures des autres commerçants pour râler contre Or Thaï Siam et ses 3 confrères installés entre le n°1 et n°30 de la rue. Mais la masseuse à l’anglais rudimentaire n’est pas du tout affolée :
« Ah ! Tu penses qu’ils ont un problème avec nous ? Je pense juste qu’ils collent des affiches pour expliquer aux clients qu’ils ne font pas de massage ! »
Rififi chez les bobos
Map – La rue Condorcet
C’est que le début de la rue Condorcet, entre la rue de Maubeuge et la rue Rochechouart, a les yeux tournés vers la deuxième partie de la voie, qui rejoint la rue des Martyrs. De ce côté-là, la marque über-branchée Kitsuné ou les appareils photos de luxe Leica, les cosmétiques hipsters Aesop et plusieurs friperies ont élu domicile. De l’autre côté de la rue Rochechouart, « très longtemps, ça n’a été que des boîtes d’intérim », raconte Julie, la quarantaine, qui a ouvert il y a 6 ans sa boutique en face d’Or Thaï Siam.
Dans sa petite boutique, Julie tient les comptes de la pétition anti salon de massages / Crédits : Tomas Statius
Les quelques boutiques de design et le barbier qui se sont installés en bas de la rue avaient vu avec ravissement les agences d’intérim fermer le rideau. Mais avec 2 salons thaï ouverts en mai, qui venaient s’ajouter aux 2 déjà installés – sans compter 2 baux à céder dans cette parcelle de la rue, les commerçants ont froncé les sourcils.
C’est Julie qui mène la fronde. Cette 2e semaine de juin, elle tient une mini AG anti salon thaï devant sa boutique. « On ne veut pas d’eux ici. On ne va pas se mentir, c’est de la prostitution », assène t-elle perchée sur des bottines imprimées léopard. A ses côtés, une daronne, la soixantaine, cheveux poivre et sel, met en avant l’ambiance familiale du quartier. Pour elle c’est évident : entre le boucher, le barbier et le bar au mobilier chiné, la présence des salons de massages fait tache.
La guerre des voisins
Julie et ses amis commerçants enchaînent depuis début juin les lettres à la mairie, les appels à Nathalie Kosziuzko-Morizet ou à Pierre Lellouche. Les commerçants font signer la pétition à leurs clients.
Raja, le serveur sexagénaire du resto indo-iranien est bien content de son panneau « No Massage ». Qui ne sert d’ailleurs pas qu’à demander à ce que les masseuses soient boutées hors de la rue :
« Des touristes complètement bourrés déboulent dans le resto pour demander des massages… On leur dit que c’est à côté »L’indien n’est pas fan de ses voisins thaïs. Il râle contre les jeunes femmes en petite tenue qui se promènent dehors et s’agace des bastons et des allers et venues des clients la nuit.
Les riverains n'aiment pas trop la devanture façon Quartier Rouge d'Or Thaï Siam / Crédits : Tomas Statius
Sur le trottoir d’en face, la petite boutique de rubans et de fils, tenue par un couple de vieux commerçants, est collée au bien nommé Rose Beauté, un autre salon de massage ouvert début juin. Madame craint d’être envahie :
« Les Chinois veulent occuper la place, se refiler le bail et ne jamais le rendre. En face, un salon de thé et en train de fermer. Les Chinoises, elles, font le pied de grue pour le récupérer »
Le pire pour cette respectable dame emmitouflée dans sa petite laine ? Le bruit de l’eau qui coule en permanence de l’autre côté du mur. Et les factures d’électricité qui vont avec :
« Les masseuses prennent des douches en permanence, à toute heure du jour et de la nuit. C’est nous, les copropriétaires, qui devons payer les factures. »
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€ 💪Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER