Sa radio branchée sur de la musique classique qui invite au sommeil, le chauffeur de taxi démarre doucement la voiture :
« Où allez-vous Mademoiselle ? »
« Je vais au 53 rue Vivienne… Chez Carmen »
« Ahhhh Chez Carmen ! C’est une institution du monde de la nuit depuis 20 ans, c’est génial ! »
Selon lui, c’est un des derniers bastions de la nuit parisienne, souvenir d’un temps révolu où « tout était prétexte à faire la fête ».
Un bar d’after
Il est 3 heures du matin et le silence règne dans les rues de Paris quasi désertes. Dans la petite rue qui mène aux grands boulevards, les lettres bleues de « Chez Carmen » s’illuminent au-dessus de l’entrée. Il faut un peu se forcer pour y entrer : la porte fermée et l’écriteau « propriété privée » n’invitent pas à s’y aventurer.
A l’intérieur, la musique du jukebox et la boule à facette réchauffent l’atmosphère. Ici, la soirée ne fait que commencer. Carmen a ouvert à minuit, comme d’habitude, mais il faut attendre 2 heures du matin pour voir arriver les premiers clients. La fête bat son plein à partir de 4 heures quand les fêtards qui ne veulent pas retrouver leur lit se mettent en quête d’un dernier débit de boisson.
Les lettres bleues de « Chez Carmen », un phare dans la nuit parisienne / Crédits : Eva Tapiero
Une petite dame de 68 ans
A gauche du bar une petite affichette annonce « Laissez Carmen tranquille car elle est là pour servir et faire de la surveillance, merci ». La raison de cet avertissement est simple, Carmen est en quelque sorte « la maman » de tout le monde ici et elle surveille tout ce qui se passe. Calée derrière son bar qu’elle quitte rarement, Carmen n’arrête pas. Les cheveux courts, et habillée simplement en pantalon et veste polaire, elle fait dans le pratique. Elle a une règle simple :
« Tout le monde est bienvenu, sauf les voleurs, les dealers et les bagarreurs. »
A 68 ans, elle tient le bar de nuit depuis plus de 25 ans. Son aventure a commencé en 1982. Elle est alors serveuse lorsqu’elle parle de son projet d’ouvrir un petit resto. « Chez Carmen » voit le jour et fonctionne plusieurs années grâce à la clientèle des bureaux voisins. Mais à la fin des années 1980, « lorsque la Bourse est partie, je suis passée de 50 à 12 couverts par jour », raconte-t-elle. Il fallait trouver une solution et loin de se décourager, Carmen a reconverti le petit café en bar de la nuit.
Le secret de sa longévité ? Se tenir à carreau vis-à-vis des autorités, ce qui n’est pas fréquent dans le monde de la nuit. « Je suis les règles ! insiste-t-elle. Il y a une loi qui tombe, je l’applique tout de suite. » L’autre raison : elle ne boit pas une goutte d’alcool. Pour tenir toute la nuit Carmen carbure à l’eau chaude citronnée.
Carmen tient le bar depuis 1982 / Crédits : CC
Melting-potes
Eric, 34 ans, attaché de presse, est un fidèle du bar. Il y vient depuis 12 ans. Assis sur l’unique petit banc de l’établissement (en dehors du local pour les fumeurs) il raconte :
« Carmen ce n’est pas un endroit branché, mais tous les peoples y sont venus… Elle sait mélanger les gens : le clochard du quartier, la star, les gens branchés, les gays, les hétéros… Tout ça dans la tolérance et dans la bonne humeur, c’est ça qui est top ».
Mais si tout le monde est le bienvenu, l’endroit ne plaît pas forcément. Kevin, un informaticien qui vient pour le caractère « intemporel » du bar, a d’ailleurs une théorie sur ce lieu spécial :
« Soit on fait un rejet, soit on tombe amoureux sans comprendre pourquoi ».
La bistrotière, elle, est nostalgique de l’époque où les gens venaient des nombreuses boîtes alentours, aujourd’hui fermées. Au début des années 1990, le bar rayonnait sur le Paris des fêtards. Pour un temps, « Chez Carmen » est même devenu branché. Trop pour certains. Comme Eric, qui regrette que ce soudain engouement ait « cassé l’ambiance ».
« Il y avait eu trop d’articles dans la presse. »
Croque-Monsieur à toute heure
La clientèle a beaucoup changé. Aujourd’hui, Carmen fait sa recette en quelques heures seulement, de 4 à 8 heures du matin. « C’est beaucoup plus condensé qu’avant », précise-t-elle. Une chose est sure, elle sait comment s’y prendre avec les fêtards en fin de soirée. Une petite faim ? Pas de problème, ses fameux croque-monsieur vous attendent sur le bar. Vous avez trop bu ? Saber, le bras droit de Carmen, a une solution radicale.
« Ceux qui ont trop bu, on leur pique leurs clefs ».
Si elle prend un jour la décision de s’arrêter, cela signera sans doute la fin du petit commerce. Carmen confie qu’elle voudrait « profiter un peu de (s)a retraite » même si elle ajoute que son travail est une « drogue » et qu’elle n’arrive pas à s’arrêter.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER