L’ancien sans-pap a pris sa carte au FN… et dans 9 autres partis

« Quand mon livre est sorti, ma mère se méfiait. On a vécu sous la dictature de Ben Ali en Tunisie, j’ai un cousin éloigné qui a été emprisonné ! »

(img) Collector, sa carte du FN

Achraf Ben Brahim, 22 ans, est posé à la terrasse d’un café, sapé d’un pull rayé et d’un jean sans pli. Ce jour-là, il a zappé son fameux jogging, celui dont il parle dans le bouquin et qu’il mettait pour aller aux réunions politiques des 10 partis politiques qu’il a « testés » pendant un an. Sur la table, il déballe ses trésors… PS, FN, NPA, UMP, Solidarité et Progrès, LO, EELV, Front de gauche, Modem et Debout la République, toutes ses cartes de membre sont là.

Explication :

« Je me suis vraiment intéressé à la politique qu’à 18 ans. Avant je m’en foutais. Mon premier acte, plus ou moins politique, ça devait être quand je suis allé réclamer le départ de Ben Ali devant l’ambassade tunisienne. »

« Sans papiers, je devais raser les murs »

Achraf naît à Djerba. A 8 ans, il rejoint la France où son père, ouvrier, habite depuis quelques années :

« Mon père est parti avant nous en se cachant dans le coffre d’une voiture. Pour le rejoindre, on a prétexté rendre visite à une tante avec un visa touristique. Quand je suis arrivé en France, je savais dire deux choses : “Bonjour” et “non je ne mange pas de porc”. »

Puis son visa touristique expire. Le voilà sans-papiers :

« Je m’en rendais pas compte, j’étais jeune. Mais je savais qu’il fallait que je rase les murs. Quand on sortait, c’était avec tout le monde. Les keufs ne contrôlent pas les familles. J’ai obtenu une carte circulaire à mes 13 ans, puis une carte de séjour. »

La famille nombreuse dégote d’abord une chambre de bonne dans le 17e. Puis s’installe en 2004 dans une cité à Sevran. « Je n’ai jamais manqué de rien », lâche Achraf. A la maison, le petit Achraf ne regarde pas la télé mais avale les BD, puis les bouquins :

« J’ai lu les mémoires de Charles de Gaulle. J’ai toujours admiré la manière dont il s’est battu pour que la France ne soit pas sous tutelle étrangère. Il s’en est bien sorti. »

De bonnes notes à l’école, mais pas mal d’avertissements de conduite, Achraf passe un bac L:

« Le jour de la remise des diplômes du bac, j’avais pas de passeport, juste une carte de séjour bien rouge avec un taureau dessus. Quand je l’ai présentée à la surveillante, elle a été choquée que je sois en L sans être français ! »

Petits boulots

En parallèle de ses études de droit et de sciences po, Achraf bosse à droite à gauche. Sur le tas il devient métallier-serrurier : « un boulot physique et minutieux ». Sur les chantiers, il apprend aussi les rudiments du lingala. Et en bon jeune précaire, il a aussi « fait plongeur dans une maison de retraite, colleur d’affiches, vendeur sur les marchés, boulanger, animateur en centre de loisirs… »

Son dernier job en date ? Pion en ZEP, pendant l’écriture de son bouquin. Tristan, son collègue se souvient :

« C’est quelqu’un de sympathique et discret, assez drôle. L’une des rares personnes avec qui on parle politique. Quand il rédigeait son livre, il bossait 24h sur 24, dès qu’il avait une pause, il sortait son PC et écrivait. »

«J’ai rien compris à ce que t’as dit, mais t’as bien parlé»

(img) Le livre d’Achraf

Tiré à 1000 exemplaires, dans « Encarté » Achraf voulait « montrer que tout le monde doit s’intéresser à la politique. Quelque soit le degré d’instruction et le milieu social ». Si Achraf pense faire de la politique, ce sera « en dehors des partis ». Aucun ne l’a convaincu. `

Pour l’instant, c’est l’heure des passages à la télé : « Un mec de la cité m’a vu et m’a dit “J’ai rien compris à ce que t’as dit, mais t’as bien parlé”», s’amuse t-il. Une petite notoriété à laquelle son pote Tristan a assisté :

« Juste après son passage au Grand Journal, une nana l’a arrêté dans la rue et lui a demandé de faire un selfie avec lui. Il était surpris et a refusé de faire la photo en disant qu’il n’avait rien fait… C’est quelqu’un de modeste. »

Malgré tout, Achraf reste lucide :

« Le buzz médiatique c’est bientôt fini. Je suis satisfait d’avoir pu véhiculer un peu mon message. Pour quelqu’un qui sort de nulle part, c’est déjà bien. »