« La cuisine est encore ouverte ? » s’inquiète le deuxième et dernier client de la soirée qui vient commander une pizza à emporter. Il est 22 heures et ce jeudi soir 2 clients ont poussé les portes du Casa Poblano, un resto du bas-Montreuil (93), ce quartier de la ville où les squats et friches ont laissé peu à peu la place aux immeubles résidentiels. Les lumières des salles du fond restent désespérément éteintes et le menu à base de pizzas, couscous ou pâtes carbo a du mal à attirer du monde.
Le resto s’apprête à fermer et Falko, la quarantaine, une casquette avec une étoile rouge sur la tête, nous confie, amer :
« Ça fait 10 ans que je me bats pour ce lieu, j’estime avoir fait largement ce que je pouvais pour aider le quartier, la société. J’ai perdu beaucoup de choses, mon argent, ma maison, une partie de ma vie là-dedans… Je voudrais passer la main. »
Ils rêvaient d’un lieu participatif et festif
Le Casa Poblano, au départ ça devait être LE lieu alternatif du bas-Montreuil :
« On voulait gérer un lieu participatif, lier le social et le vivant, proposer quelque chose de festif »
C’est en 2004 que Falko, musicos, lance son projet. Avec son collectif d’artistes montreuillois, il écume les festivals et organise « pratiquement tous les soirs » des concerts de soutien pour financer une partie des 300.000 euros nécessaires.
Leur objectif ? Ouvrir un bar resto qui générera suffisamment de revenus pour proposer aux artistes engagés et aux assos un endroit gratuit où se rassembler.
(img) Cuisine ouverte et tortillas
Falko et ses potes dénichent finalement un local à la hauteur de leurs ambitions. C’est grand, au pied d’un immeuble neuf. On peut y accueillir 300 personnes. En 2006, un bail commercial est signé, avec pas mal de boulot en perspective :
« L’immeuble était neuf et le rez-de-chaussée était brut à construire. Il a fallu faire les sols, le plafond, la façade de la vitrine, l’électricité… La moitié de nos 300.000 euros est partie dans les travaux. »
Des partenariats sont noués avec plusieurs associations et la bande à Falko table sur une ouverture… « dans les 6 mois ».
Procès et embrouilles avec les riverains
Sauf qu’il faudra 5 ans avant que le spot n’ouvre officiellement ses portes. Car les voisins de Falko sont au taquet. Les occupants de l’immeuble pointent d’abord un vice de conformité : le local à vélo du bâtiment n’a pas été construit, et il était prévu à l’emplacement de la sortie de secours du Casa. S’ensuivent des mois de procédures judiciaires pour savoir qui devra financer ces nouveaux gros œuvres et pas mal de concerts de soutien pour payer les frais d’avocats. C’est finalement le Casa Poblano qui prend en charge les travaux de mise en conformité.
Le Casa n’a pas encore ouvert dans sa configuration resto-bar et l’équipe organise de temps des soirées, histoire de pouvoir payer son loyer. Mais les riverains se plaignent du bruit : le local est mal insonorisé et pas conçu pour recevoir des groupes. Ça gronde chez les voisins de l’immeuble, et Falco organise de moins en moins de concerts :
« Au début, on essayait de faire des concerts mais c’était la guerre ! Assez souvent on nous envoyait la police alors qu’on était en règle. On aurait pu continuer à embêter les voisins mais bon c’était pas l’objectif non plus…»
Falko, le rideau du Casa Poblano déjà à moitié tiré / Crédits : Marieau Palacio
Finalement, le Casa Poblano ouvre avec son bar et son resto en… 2011. Les concerts se font rares et le quartier boude le lieu. Ça sent le plantage ! Falko décide alors rapidement de recentrer le projet sur la partie resto et multiplie les concessions sur le projet initial : il recrute des salariés, limite les évènements culturels et… de la viande s’incruste dans la première carte qui était au départ 100% végétarienne.
« Il nous traitait de bobos »
Finalement, fin 2014, Falko se retrouve seul et ruiné. Il a du vendre sa maison et n’a jamais pu récupérer son investissement de départ. A l’automne dernier, les dernières activités culturelles sont stoppées et Falko cherche désormais un repreneur pour le bail.
Qu’en pensent les riverains ? Le voisin du 1er étage, confie avoir été « en guerre depuis le début » avec Falco :
« Il nous traitait de bobos, simplement parce qu’on lui demandait de baisser la musique. »
Un autre voisin se frotte aussi les mains à l’idée que le Casa ferme définitivement le rideau :
« Il faisait un atelier claquettes ! Moi j’adore, mais je rentre à 20h et j’ai envie d’être tranquille… »
>> Lire aussi : “Assos de riverains : mais pourquoi sont-ils si méchants ?”:http://www.streetpress.com/sujet/75433-associations-de-riverains-mais-pourquoi-sont-ils-si-mechants
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