« Bah voilà. Vous y êtes. La fiesta finale. La grande délivrance. Boum, la mort de votre journal. Ça tombe bien, je suis là pour ça. »
C’est la Mort herself qui signe le dernier édito d’“Article 11”:http://www.article11.info/ et qui balance au passage une bien triste nouvelle : ce numéro 19 sera le dernier. 4 ans et quelques mois après sa première parution papier, le journal libertaire – qui avait d’abord démarré sous la forme d’un site web – a décidé d’en rester là. La raison : arrêter plutôt que de s’essouffler, explique Jean-Baptiste Bernard, l’un des deux fondateurs :
« On savait depuis le début que le journal papier ne serait pas éternel. On arrête avant de se lasser. »
Canard utopiste
(img) Les jolies couv’ d’Article 11 (crédits : atelier Formes Vives)
Dans la constellation de la presse alternative française, Article 11 se situait tout à gauche, du côté des utopistes. Un nom inspiré de l’article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen sur la liberté d’expression. Et un discours engagé, une écriture ciselée : un programme qui séduit rapidement un lectorat pas si confidentiel. Dès le 1er numéro, sorti des presses en octobre 2010, pas moins de 3.500 exemplaires sont écoulés en kiosques. Depuis, les ventes oscillaient entre 2.500 et 4.500 copies par numéro, en comptant les ventes kiosques et en librairies, le petit millier de fidèles abonnés et les occasionnelles ventes à la criée pendant les manifs.
Certains des papiers d’Article 11 feront date, comme l’enquête d’Olivier Cyran sur Daniel Mermet ou son coup de gueule sur Charlie Hebdo ; d’autres passés plus inaperçus n’en sont pas moins savoureux : Pierre Souchon qui évoque ses passages en HP, Joseph Ponthus qui chronique sa vie d’“éducateur de rue”:http://www.article11.info/?Nous-L-avant-propos… Sans parler des fameux « Entretiens avec la concurrence », sorte d’état des lieux de la presse underground hexagonale, où l’on croise entre autres CQFD, Le Tigre et la Revue Z.
L’histoire de 2 frangins
Article 11, c’est au départ l’histoire de deux frangins, Emilien et Jean-Baptiste Bernard, qui aimaient écrire et qui avaient des choses à dire. Un soir d’août 2008, ils lancent leur site internet et annoncent la couleur : une envie « d’écrits curieux, féroces, militants […] mais sans œillères, frontaux et exigeants. » A l’époque, ils n’ont pas la trentaine, tout juste 24 et 29 ans. S’ils aiment à répéter qu’ils n’ont pas de ligne éditoriale, c’est quand même un peu « bidon », rigole Jean-Baptiste :
« On a une ligne évidente, fondée sur des valeurs libertaires partagées. Mais elle est volontairement large, car on veut rester ouverts à tout. »
Rapidement, la sauce prend et une petite communauté se forme autour du site : « des gens qui se reconnaissaient dans notre propos et qui avaient tous un certain goût de la plume ». Joseph Ponthus, qui collaboré plusieurs années au journal, a découvert le site en 2009 et contacté les deux frères dans la foulée :
« On s’est donné rencard à une manif du 1er mai et on s’est pris une bonne cuite ! Pour mon premier papier, j’ai fait le compte-rendu de la manif. Et c’était parti. »
Du web au papier
De cette joyeuse équipe est rapidement née une idée : celle de lancer un journal papier pour prolonger le site web. Un projet collectif ambitieux, bien entendu bénévole, histoire de matérialiser ces chouettes rencontres dans un canard.
Les 2Be3, bande-son du dernier Article 11 / Crédits : atelier Formes Vives
Gauche libertaire oblige, Article 11 fonctionne au collectif. Une vingtaine de personnes gravitent autour du journal, dont 5 à 7 plus investies, qui forment le comité de rédaction. Mais pas de rédac’ chef ni de directeur de la publication : « quand on était en désaccord, c’était tranché à la majorité », explique Joseph.
D’ailleurs, comme le précise Jean-Baptiste, Article 11 fédère très peu de journalistes :
« A part mon frère qui fait des piges et des traductions, moi qui ai travaillé en PQR avant de devenir veilleur de nuit et Jean-Luc Porquet, aucun des contributeurs du noyau dur n’est journaliste. L’un est éducateur, un deuxième travailleur social dans un camp de manouche, une troisième travaille dans l’édition… »
Conférences de rédaction « bordéliques »
Chacun prend donc sur son temps libre. De l’aveu de Jean-Baptiste, les conférences de rédaction sont « bordéliques » et ressemblent à des soirées entre potes. L’équipe n’a jamais eu de local : ça se passe donc dans les apparts des uns et des autres, à Belleville, à Montreuil ou ces derniers temps, chez Jean-Baptiste à Saint-Denis. Pas mal d’alcool et les débats font rage : chez Article 11, on n’hésite pas à se « prendre la gueule » pour faire avancer le schmilblick. Il faut environ 1 mois et demi à la bande pour accoucher d’un nouveau numéro : chacun exprime ses envies, travaille de son côté, rend ses devoirs, puis finalise en réunion.
Une barque utopiste, fêtarde et foutraque, et donc pas toujours facile à mener, d’autant plus qu’un journal, ça prend quand même pas mal de temps à préparer, et que tous ne sont pas impliqués au même degré. Pour Joseph, un « décalage » a fini par s’installer entre « l’idéal antiautoritaire et autogestionnaire » et la pratique : de fait, les décisions n’étaient pas toujours collégiales. C’est ce qu’il l’a amené à quitter le navire, il y a un an et demi de cela. Ces difficultés, Jean-Baptiste les reconnaît : « comme pour tous les titres de la presse alternative », le projet Article 11 demande beaucoup d’investissement et peut parfois être lourd à porter.
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(img) Article 11, numéro de fin (crédits : atelier Formes Vives)
Contrairement au Tigre, qui a lui aussi a tiré sa révérence au début de l’année, les raisons de l’arrêt d’Article 11 ne sont pas financières – le journal a même réussi à mettre un peu d’argent de côté. Mais pour l’ensemble du collectif, l’heure était venue de tourner la page du papier, et ce n’est pas un drame.
Car Article 11 n’a pas encore poussé son dernier souffle : les deux fondateurs souhaitent à présent se concentrer sur le site Internet, qui continuera à vivre et à se développer. Un site qui, pour rendre hommage à son petit frère de papier, affiche en page d’accueil un « maxi best of » des éditos des 19 numéros. Dans les commentaires, de fidèles lecteurs se proposent déjà d’écrire le 20e… et de l’offrir aux frangins Bernard :
« On leur doit bien ça. »
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