Paris, 11e arrondissement – Le soir de Chelsea-PSG :
« Ensemble nous sommes invincibles, unis par la même passion. De notre PMU terrible, résonnent encore nos chansons ! »
Ici, c’est « chez Kiki », un bar-PMU à deux pas de Bastille. Et les soirs de match, c’est toujours bondé. Dès 20h30, la foule déborde jusque sur le trottoir. Kiki, le patron, repère les habitués de loin, les bières passent de mains en mains, et il faut jouer des coudes pour se trouver une place. A une heure du coup d’envoi de ce 8ème de final retour de la Ligue des Champions, les chants de supporters retentissent déjà :
« Boire des rebiés, fumer des tarpés, chanter pour Paris, oh oui c’est ça la vie ! »
/ Crédits : Ici, c’est « chez Kiki » / Crédits : Camille Diao
Hot spot
Juché sur la pointe des pieds, un blondinet en maillot brandit un grand drapeau aux couleurs de son club, cachant la vue à tous ceux qui derrière lui n’ont pas la chance de mesurer 1m90. « Ne pas voir grand-chose, ça fait partie du folklore » nous rassure Julien, 25 ans. Lui vient régulièrement depuis bientôt 4 ans. Et pourtant, aux yeux des habitués, il reste un petit nouveau. Car cela fait 25 ans que ce PMU est un fief du PSG, nous explique Kiki. Un quart de siècle après avoir ouvert son bar, il a tissé des relations particulières avec certains des habitués :
« Tu vois ce maillot dédicacé par tous les joueurs ? C’est un client qui me l’a offert. Il a gagné une rencontre avec les joueurs grâce à un concours RMC, et il a préféré mettre le maillot ici plutôt que de le garder chez lui. »
Si les relations sont amicales, le patron sait tout de même tenir ses clients. Quand à la 31e, Zlatan récolte un carton rouge et que les esprits s’échauffent, Kiki monte sur le bar :
« Toi là-bas, tu te calmes tout de suite ou tu sors ! »
On sait qui est le boss.
Les anciens du Parc
A la mi-temps, alors que la marée humaine se rue dehors pour allumer une clope, on entame la discussion avec Fanny, la cinquantaine, qui aide Kiki les soirs de match et fréquente le bar depuis déjà 15 ans. Fanny, qui ne va jamais au stade, se souvient de l’arrivée des premiers anciens du Parc :
« Il y a quelques années, à l’arrivée du Qatar, un groupe de mecs virés du stade est venu demander à Kiki s’ils pouvaient faire de son bar leur nouveau QG. Il a accepté, à condition qu’il n’y ait pas de problèmes. Ils se sont donc installés, ont importé leurs chants, les ont adaptés au PMU, et ça a attiré de plus en plus de monde. Des problèmes, il n’y en a jamais eu. »
S’ils ne vont plus au Parc, la plupart des anciens continuent à faire les déplacements : ce soir, beaucoup sont à Chelsea. Mais quelques-uns restent fidèles au poste, à l’image de Cathy, la cinquantaine elle aussi. Elle fréquente le PMU avec son mari Eric après des années passées dans les virages :
« Cette écharpe, elle date de la saison 93-94 ! Le match contre le Real, j’y étais. J’ai pris les mollets de Ginola dans la face ! »
Sa première fois au Parc, c’était à 16 ans, entre copines. Aujourd’hui, à 47, elle regrette avec une pointe d’amertume dans la voix, que ce ne soit « plus pareil »… Et ce n’est pas la seule déçue du stade. Pierre, 28 ans et 7 ans d’abonnement dans les pattes, a arrêté :
« C’était un truc de famille, on y allait avec mon père et mon frère. Mais les choses ont changé. Depuis que je ne suis plus abonné, j’y suis retourné une fois et franchement, je préfère l’ambiance chez Kiki. »
Il faut dire que depuis le grand nettoyage des tribunes du plan Leproux puis l’arrivée des Qataris en 2011, l’ambiance au Parc n’est plus la même. Il est devenu compliqué de boire, sauter et fumer des bédos à la mi-temps. Alors forcément, les anciens quittent le stade. D’ailleurs, ajoute Pierre, « la récente hausse des tarifs de l’abonnement va continuer à en dissuader plus d’un… »
« C'est un client qui me l'a offert. Il a gagné une rencontre avec les joueurs grâce à un concours RMC, et il a préféré mettre le maillot ici plutôt que de le garder chez lui. » / Crédits : Camille Diao
Des règles tacites
Conséquence de cette migration des déçus du Qatar, les règles en vigueur dans les virages perdurent au PMU. Les chants sont bien rodés, lancés par les anciens en fonction de l’action. Chaque joueur star a sa chanson, de Javier Pastore à Marco Veratti :
« T’es tout p’tit mais y’a personne pour t’dépasser ».
Au coin de la rue, 4 jeunes font discrètement tourner un joint avant de retourner à l’intérieur. Journalistes eux aussi, ils ne sont pas là pour bosser mais sont familiers du lieu :
« Ici, c’est comme à l’époque dans les virages : il y a des règles à respecter. Les chants, il faut les connaître, c’est un ancien capo qui les lance. Si tu es nouveau, tu fermes ta gueule, tu apprends, tu te fais accepter. Pas question de lancer des chants à l’arrache ou tu seras mal reçu ! »
Aujourd’hui cependant, les règles sont mises à mal : « il y a 70% de touristes ! » Aux soirs comme celui-là, ils préfèrent sans hésiter les petits matchs de championnat.
Discrétion de rigueur
Car les habitués eux ne sont pas toujours enchantés d’être envahis par les curieux, et encore moins par les journalistes. Notre présence, révélée par l’appareil photo, suscite dès le début du match quelques réactions hostiles. Après une explication un peu houleuse, deux supporters nous expliquent :
« Ici, on veut juste être tranquilles ! Les médias, ça ramène trop de monde et ça change l’ambiance. Regarde comme c’est bondé ce soir… »
Comme l’avait résumé l’un des journalistes rencontrés un peu plus tôt :
« On s’est déjà fait voler le parc, on va pas se faire voler le bar ! »
Kiki, le patron, doit régulièrement réduire le nombre de tables et de chaises pour pouvoir faire rentrer tout le monde. Mais « tant que l’ambiance reste agréable… »
Paris est magique
La route est bientôt bloquée par les supporters qui allument des fumigènes. / Crédits : Camille Diao
Alors que la 90e minute approche, les Parisiens, toujours à 10 contre 11, sont en mauvaise posture. Les supporters joignent leurs mains en silence, comme pour prier. Et la Sainte Patronne du PSG doit les entendre, car miracle : voici le but qui emmène les Parisiens en prolongation. Les minutes qui suivent sont assez floues : cris de joie, pogos et pluie de bière.
« A diiiix, on encule Chelsea, à diiiiix, on encule Chelsea ! »
Quand finalement l’arbitre siffle la fin du match et la qualification des Parisiens, l’explosion de joie déborde jusque dans la rue. La route est bientôt bloquée par les supporters exaltés, qui allument des fumigènes pour fêter la victoire. L’ambiance reste bon enfant, et si les voitures à l’arrêt klaxonnent, c’est bien pour prendre part à la liesse générale.
Il est minuit passé quand le bar finit par désemplir. Mais avant de rentrer, c’est l’heure pour les plus fidèles de filer un coup de main : ce soir comme tous les soirs de match, pour passer le balai et récupérer les verres vides, Kiki ne sera pas tout seul.
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