Il pleut ce jour-là à Moscou. Le ciel est gris. Comme chaque année, le 10 novembre 2013, la Russie célèbre la Journée de la police. Malgré la pluie, les Moscovites et les touristes déambulent sur la Place rouge. Un jeune homme apparaît. Il s’assoit sur le trottoir en face du Kremlin. Il est nu. Il se cloue les testicules au pavé et reste là, telle une statue grecque, tête baissée. Des policiers s’approchent. Ils lui demandent de se lever mais il ne bouge pas. Ils lui mettent une couverture sur les épaules et l’emmènent au poste. Cinq jours plus tard, il est accusé de hooliganisme, mais il est aussitôt acquitté.
Piotr Pavlenski est un artiste russe, né à Saint-Pétersbourg en 1984. Sa performance, intitulée Fixation, fait le tour de la toile. La date choisie pour cette performance n’est pas anodine. Piotr Pavlenski veut protester contre l’État policier que son pays est devenu :
« Cette performance peut être considérée comme une métaphore de l’apathie, de l’indifférence et du fatalisme politique de la société russe contemporaine. […] Ce n’est pas l’anarchie bureaucratique qui prive la société de la possibilité d’agir. C’est la fixation sur ses défaites et ses pertes qui cloue la société au pavé du Kremlin. »
Bouche cousue en soutien aux Pussy Riot
En mai 2013 déjà, Piotr Pavlenski s’était enroulé nu dans du barbelé devant l’Assemblée législative régionale de Saint-Pétersbourg pour protester contre l’arsenal de lois répressives récemment adoptées en Russie.
« Toutes ces lois visent les gens, pas les criminels […]; comme un fil barbelé, elles les gardent dans leur cellule individuelle. » Le corps de l’artiste dans le barbelé symbolisait alors l’existence humaine dans un système juridique répressif. Un environnement où tout mouvement provoque la douleur.
Un an plus tôt, Piotr Pavlenski s’était également cousu la bouche en soutien aux Pussy Riot. Il s’était rendu à la cathédrale Notre-Dame de Kazan avec une pancarte sur laquelle était écrit: « La prestation des Pussy Riot était une reprise de la célèbre action du Christ (Mat. 21: 12-13). » Ce passage de la Bible fait référence à l’expulsion des marchands du Temple. Un clin d’œil à la censure dont sont victimes les artistes en Russie.
L’utilisation de la psychiatrie à des fins politiques
Après chaque performance, il est examiné par des psychiatres qui le déclarent sain d’esprit et parfaitement responsable de ses actes. En octobre 2014, il réalise Séparation: assis, nu, sur le mur de l’Institut psychiatrique de Moscou, il se coupe un lobe d’oreille avec un couteau. Il proteste contre l’utilisation de la psychiatrie à des fins politiques. « Le couteau sépare le lobe d’oreille du corps. Un mur de béton sépare les gens raisonnables de patients aliénés. De nouveau, la psychiatrie est utilisée à des fins politiques ; l’appareil policier reprend le pouvoir et détermine le seuil entre la raison et la folie », dit-il pour expliquer sa démarche.
Piotr Pavlenski est un artiste engagé qui se bat pour la dignité, la liberté, et contre la passivité de la société. Le gouvernement agit, le peuple subit. À ses yeux, les deux sont responsables. Les autorités cherchent à lui coller une étiquette. Mais il n’est ni « aliéné » ni « hooligan ». En Russie, un hooligan est une personne qui manque de respect à la société. Le message de Piotr est à l’opposé de ce sentiment. Il aspire au dépassement, à l’ouverture, à la considération. La société russe peut agir et changer son sort, il en est convaincu: c’est là une très profonde expression de respect.
Sur Vladimir Poutine, tout a été dit ou presque. Mais le quotidien vécu par de nombreux Russes demeure largement méconnu : associations harcelées, médias bâillonnés, liberté d’expression limitée, homosexuels marginalisés.
Dans ce livre, rédigé par un collectif d’associations qui les soutiennent, 15 portraits d’activistes, journalistes et militants.
Les autres visages de la Russie, éditions Les Petits matins, 10 euros. Par Acat, Amnesty International, la Fidh, Inter-LGBT, Reporters sans frontières, Russie Libertés .
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