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    09/02/2015

    Chaque semaine, ils se donnent rendez-vous avec leurs bécanes pimpées

    Les cascadeurs des parkings du 78

    Par Inès Belgacem , Michela Cuccagna , Louise Pinton

    Tous les dimanches dans la zone industrielle de Rosny-sur-Seine, GuyGuy et Nico squattent un parking avec leurs motos tunées. Au programme, roues arrière et acrobaties. La discipline s’appelle le stunt et fédère des centaines d’apprentis cascadeurs.

    Guillaume se tient debout, les bras en croix, droit comme un I sur sa moto en marche. Casque sur la tête, ses gestes sont précis et calmes. Le rider est tout à son aise. Voilà qu’il entame un virage, toujours en l’air. « On appelle ça un “Christ air”, c’est quand on est debout sur la selle ou le réservoir », glisse KX, posté en retrait avec son amie Morgane, sur le parking qui sert de piste aux motards. Ce dimanche après-midi, ils sont deux à enchaîner les tricks – comprendre les figures – dans cette zone industrielle quasi-déserte de Rosny-sur-Seine. « Ça n’est pas mon vrai nom KX, poursuit le dénommé Jean-Philippe en se grattant l’arrière de la tête. On a tous un pseudonyme pour le stunt ».

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    Le stunt, c’est un sport de moto en provenance des US, des années 1980. Le but : enchaîner les figures en bécane. / Crédits : Michela Cuccagna

    Le stunt, c’est un sport de moto en provenance des US, apparu dans les années 1980. Le but : enchaîner les figures en bécane. KX, lui, s’y est mis à l’âge de 16 ans, en 2006, « avec [son] premier scoot », précise-t-il, en replaçant ses lunettes. Le garçon stoppe net la conversation, interrompu par un crissement de pneus tonitruant. Guillaume vient de se garer dans un dérapage contrôlé à quelques centimètres. « Quelle entrée ! C’est pour impressionner les filles ça… », se moque KX, qui n’a pas bougé d’un iota. L’autre enlève son casque tout sourire, fier de son effet. Le grand brun n’a pas le temps d’en placer une qu’une deuxième moto vrombit derrière lui. Le nouvel arrivant quitte son casque à son tour. « Je n’arrive pas à faire le “Special K” ! » balance-t-il avec une pointe d’agacement.

    La communauté des stunters

    Les trois acolytes se côtoient depuis une dizaine d’années et se chambrent allègrement. Le stunt, c’est ensemble qu’ils l’ont appris. « On s’est rencontrés sur Internet je crois », rembobine difficilement Guillaume. D’où leurs pseudos, vestiges de l’adolescence : KX pour Jean-Phillipe, GuyGuy pour Guillaume et Nico pour Nicolas. « Comme beaucoup de fans de moto, on s’est intéressés au stunt dans les années 2000. C’est à ce moment-là que des forums sur le sujet sont apparus », explique Nico en s’installant sur son engin, casque sous le bras. Le stunt devient incontournable en France à la fin des années 1990 grâce à un titre de presse en particulier : Moto et Motards. Ce dernier fait du stunt sa spécialité, ringardisant au passage le reste de la presse spécialisée. Bientôt, leur lexique à base de « stoppie », « coaster watata » et « curling » s’affiche dans tous les magazines.

    « Moto et Motards, c’est un peu des vendus », souffle Guillaume, en s’en prenant à la récupération médiatique du stunt par le magazine. « Le stunt, ils ne l’utilisent que pour faire leur pub », commentent les riders en se remettant en selle. En terme de presse, il préfère citer France Stunt, tenu par leur pote Ludo, rencontré lui aussi au détour d’un forum il y a dix ans. Joint par StreetPress, Ludo nous a mis en relation avec les riders des Yvelines. L’intéressé a dû arrêter le stunt pour des raisons de santé. Plutôt que d’abandonner sa passion, il décide de la commenter. Son site compte 39.800 fans sur Facebook.

    Ludo est aujourd’hui une sorte de coordinateur des stunters français. Ils forment une petite communauté bien organisée qui se serre les coudes. Via leurs vidéos, les réseaux sociaux et les rassemblements organisés en France et en Europe, les motards se rencontrent et restent en contact :

    « C’est une discipline plutôt saine. Il n’y a pas d’embrouille. Sauf s’il y a une nana dans l’histoire ! »

    Les crews de riders sont affiliés à un spot, souvent leur lieu d’entraînement. En région parisienne, on en distingue trois ou quatre. C’est dans la région havraise ou dans le Sud que les gros groupes se réunissent. « Ici on roule à trois, mais on connaît un paquet de stunters Français au final », assure Nico, blondinet de 28 ans, en sirotant un Coca à la paille. Aujourd’hui sur le parking, ils ne sont que deux à faire le show, le 3e ayant rebroussé chemin à cause du mauvais temps. Morgane, la copine de Nico, se balade d’ailleurs avec un plaid sur les épaules. La température frôle le 0° et la bruine les force à rouler sur un sol mouillé, donc dangereux.

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    « Je n’arrive pas à faire le “Special K” ! » balance Nico avec une pointe d’agacement. / Crédits : Michela Cuccagna

    Un sport de riche pratiqué par des pauvres

    Guillaume vient d’exécuter avec brio un « Special K », soit un lever de moto sur la roue arrière, tout en plaçant une jambe par-dessus le guidon et l’autre à 90° dans le vide. Nico soupire. « T’y arriveras un de ces quatre », sourit KX, en l’encourageant. Lui ne se mouille plus trop en bécane. Voilà déjà quelques années qu’il a arrêté le stunt. Sa moto, il l’a d’ailleurs revendue :

    « Les priorités changent. Et je n’avais plus les moyens d’entretenir ma moto. »

    Nombreux sont ceux à avoir lâché l’affaire comme KX. A la belle époque, fin 2000, ils étaient une dizaine de stunters à rouler dans le coin. Aujourd’hui, ils ne sont plus que deux courageux, trois dans les bons jours.

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    A 60e l'essence pour une journée plus les éventuels dégâts, « c’est clairement un sport de riche pratiqué par des pauvres ». / Crédits : Michela Cuccagna

    C’est qu’un après-midi d’entraînement, comme celui de ce dimanche, coûte 60 euros rien qu’en essence. A quoi peuvent s’ajouter des pépins, le pire étant une panne de moteur. La facture peut alors monter jusque 5.000 euros. Après un regard sur sa bécane, une Yamaha R6 blanche pimpée, Nico reprend une gorgée de coca :

    « C’est clairement un sport de riche pratiqué par des pauvres. »

    Lui veut lancer son garage, être son propre patron. KX travaille dans un magasin de voiture d’une grande enseigne. Les moteurs ne sont jamais bien loin.

    Pimp my bécane

    Même s’il ne pratique plus, KX vient pratiquement tous les dimanches voir les deux motards. Comme Bob, Baptiste, Maxime et Domy, des amis de la bande, arrivés en groupe. « C’est toujours un peu le défilé le dimanche », explique Baptiste, un grand blond de 22 ans emmitouflé dans son manteau beige, bonnet vissé sur la tête. Chaque week-end, tout le monde passe voir les stunters s’entraîner et se rencontrer. Un lieu de squat en somme. « Faut voir en été, c’est un bordel ! » Le genre où fauteuils, enceintes et barbecue sont de sortie, avec vrombissement de moteurs en fond sonore. Des réunions qui peuvent rassembler plus d’une vingtaine de copains. Et tout ce petit monde vient de partout en Île-de-France : eux sont à une quinzaine de bornes environ, Nico vient de Dreux, à presque une heure en voiture.

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    Chaque week-end, tout le monde passe voir les stunters s’entraîner et se rencontrer : « Faut voir en été, c’est un bordel ! » / Crédits : Michela Cuccagna

    Attrapant une casquette noire dans le camion qui a servi a emmené les bécanes, Guillaume se couvre la tête pour se protéger de la bruine :

    « On ne fait pas n’importe quoi avec les motos. On essaie de respecter les règles. »

    Sauf que le stunt n’est pas un sport reconnu en France et rouler avec de grosses cylindrées, hors des pistes prévues à cet effet, est interdit. « On s’est arrangés pour le parking », explique Guillaume alors que derrière lui Bob et Maxime ont entamé une partie de frisbee. A condition qu’ils soient sérieux, les stunters sont autorisés à utiliser l’espace le dimanche, jour où personne n’est là. Et Guillaume prend très à cœur le respect des règles :

    « Certaines voitures ou motos nous voient faire des roues arrière et nous rejoignent alors qu’ils n’ont ni les protections, ni le matériel adéquats. Dans ces cas-là, on leur explique que ça n’est pas un endroit pour faire n’importe quoi. »

    Un vrai petit gendarme. « La police nous connaît aussi », ajoute-t-il. Les pandores passent quand même régulièrement pour s’assurer du sérieux des riders. « Ils prennent des photos aussi ! » rigole Nico. Trop retapées, les motos de stunt ne sont pas homologuées pour la route. Ils ont interdiction de rouler avec et les emmènent d’ailleurs en camion :

    « On a une moto de route et une moto de stunt. »

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    GuiGui fait le mariole devant le camion qui transporte les bécanes, puisqu'elles sont interdites de route. / Crédits : Michela Cuccagna

    Pour pouvoir faire des figures en lâchant le guidon, ils installent par exemple des freins au niveau des pédales. Guillaume, lui, a monté des barres de curling à l’arrière pour effectuer des figures et une « crash cage » pour protéger le moteur. D’autres ont viré leurs phares pour les rendre plus esthétiques ou plus légères. Bob commence à peine le stunt. A force de voir les riders sur le parking, il s’est dit « Pourquoi pas moi ? » :

    « On a retapé une épave, une 600 CBR, qu’on a achetée 800 euros à deux. C’est un pur plaisir de venir la cramer ici. Mais surtout en été ! »

    En attendant Hollywood

    Posté dans sa Laguna couleur or depuis presque une demi-heure, Hamad observait avec intérêt les acrobates sur roues. « Bravo, c’est ouf ce que vous faites ! » Il fait partie d’une association de Mantes-la-Jolie, dans laquelle il dessine des fringues :

    « J’ai un copain qui fait du rap. Il va bientôt tourner un clip. Ça vous intéresserait d’en faire partie ? »


    Vidéo Le clip dans lequel tournent les riders du 78

    Nico part en négociation. Des clips, ils en ont déjà tourné, pour La Fouine et Sexion d’Assaut par exemple. Un après-midi de tournage peut ramener jusque 1.000 euros pour les semi-pros, 5.000 euros pour les pros. « Dans ce milieu c’est des radins ! On m’avait appelé pour tourner dans un clip de Matt Pokora, celui avec Tal. Les mecs voulaient me filer moins de 600 euros la journée », se souvient Tibo, qui se fait souvent contacter par Facebook. Les stunters ont souvent une page fan sur le réseau social, qui devient vite leur CV. « Je passe ça à mon pote, il vous appelle, assure Hamad sans se laisser démonter. Mais au top les gars ! C’est dingue ce que vous faites. »

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    Nico négocie avec Hamad ses services pour le tournage d'un clip. / Crédits : Michela Cuccagna

    « Il y a toujours des gens qui viennent regarder », lâche Morgane, discrète et toujours drapée dans sa couverture :

    « Ils passent en voiture et sont intrigués par le bruit. Quand ils voient les motos, ils sont hyper surpris. On ne voit pas ça tous les jours. »

    C’est sûr que le ballet des deux motards est impressionnant. GuyGuy et Nico tournent ensemble sur une roue en se donnant la main. Morgane prend un casque et part rejoindre son copain pour un show en couple. Elle monte sur le réservoir, se place en face de son mec et enroule ses jambes autour de lui. La voilà qui s’allonge sur le guidon alors que Nico démarre la moto.

    Guillaume, lui, espère se professionnaliser. « C’est toujours le premier, tous les dimanches. Il est dans le top 5 national des meilleurs stunters », assure Baptiste admiratif. Sa moto verte, marquée de son blaze « GuyGuy », est rutilante. Ses objectifs : multiplier les shows et les compét’s en France et en Europe, les tournages aussi. Une de ses connaissances a été la doublure de Scarlett Johansson pour les scènes de moto dans Lucy, le dernier Besson. Il a empoché plus de 20.000 euros.

    Attention tout de même à ce qu’on ne lui retire pas son permis : quand on lui demande combien de points il lui reste, le rider se fait hésitant :

    « Peut-être un seul … »

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