« Rien n’arrête un peuple qui danse », « Laissez-nous raver », « Touche pas à ma teuf » : voici quelques-uns des slogans qui résonneront à travers la France samedi 31 janvier, jour de « rassemblement de défense de la fête libre ». Une mobilisation inédite des acteurs de la scène free party. Samedi après-midi, des milliers de teufeurs se rassembleront devant les mairies, préfectures et autres lieux symboliques des sanctions prises à l’encontre des organisateurs de teufs illégales.
A Paris, rendez-vous est donné devant le ministère de la Jeunesse et des Sports à partir de 14h. Blandine, membre du collectif Ornorm qui gère l’organisation du rassemblement, espère réunir un millier de personnes dans la capitale. Et se félicite de l’engouement des teufeurs :
« Des rassemblements sont prévus dans 44 villes de France, jusqu’à Saint-Denis de la Réunion ! C’est la première action coordonnée depuis plus de 10 ans. »
Dénoncer la « répression » du mouvement rave
(img) Le flyer
Objectif de la mobilisation : dénoncer la « répression » policière du mouvement rave. Depuis la présentation au ministère de l’Intérieur d’un rapport à charge en 1995, les free parties sont sévèrement encadrées par la loi. 20 ans plus tard, organiser une free, c’est toujours prendre un risque. Lunatik, organisateur et DJ au sein du soundsystem Health Mental Unit (HMU) et acteur de longue date de la scène free, l’a appris à ses dépens :
« J’ai été condamné plusieurs fois pour organisation de raves illégales, j’ai fait des travaux d’intérêt général, j’ai payé des amendes, j’ai vu la police charger sur la foule pendant les grosses soirées de l’époque… En 20 ans que je pose, on m’a déjà saisi 4 fois ma sono, il y en a pour des milliers et de milliers d’euros. Aujourd’hui, j’ai l’interdiction totale d’organiser un évènement musical en France. »
Mais les poursuites peuvent parfois prendre un tour plus sérieux, comme après la dernière soirée HMU en septembre 2013 :
« C’était le 7 septembre 2013 dans une carrière à Crépy-en-Valois, en Picardie. La soirée s’est super bien déroulée, bonne ambiance, pas de soucis. Mais au petit matin, un mec qui s’était isolé pour dormir est tombé d’une falaise dans son sommeil. Il en est mort. »
En tant que principal organisateur de la soirée, Lunatik est tenu responsable. Placé 36 heures en garde à vue, il voit à nouveau l’ensemble de son matériel saisi et fait l’objet d’une enquête, qui est toujours en cours aujourd’hui :
« Ils harcèlent les parents de la personne décédée ainsi que le propriétaire du site pour porter plainte contre moi, ce qu’ils n’ont pas fait. C’est pour ça que l’enquête n’est toujours pas bouclée. Au bout d’un an, j’aurais du légalement récupérer ma sono mais ce n’est toujours pas le cas. »
Lunatik déplore également le manque de solidarité du public envers les soundsystems inquiétés par la justice.
Une législation d’exception
Samedi, les revendications des teufeurs seront multiples. Ils réclament notamment une hausse du seuil de déclaration de leurs soirées : aujourd’hui, la loi prévoit la déclaration obligatoire d’une free party rassemblant plus de 500 personnes, un chiffre qui diffère des 1500 prévus pour les autres types de manifestations festives. Une « législation d’exception » selon Fabrice, volontaire de l’association de prévention des risques liés aux drogues Techno Plus :
« La culture techno est une victime collatérale de la guerre à la drogue. L’argument des drogues permet de pénaliser encore plus le public des free parties, comme il permet par exemple d’arrêter des gens qui n’ont pas la bonne couleur dans la rue. C’est un prétexte. »
Autre revendication d’importance : l’arrêt des saisies et la restitution du matériel qui reste en possession des forces de l’ordre. « Conformément à ce qui est prévu dans la loi », précise Fabrice. « Nous souhaitons simplement que les autorités respectent la loi, nous écoutent et conservent une attitude respectueuse à notre égard. »
Un monsieur rave au ministère
Pour autant, le dialogue entre les représentants du mouvement free et les autorités n’est pas inexistant : les négociations ont repris en 2013 après 5 années d’interruption. Aujourd’hui, Fabrice constate une amélioration :
« Le porteur du projet n’est plus le Ministère de l’Intérieur mais celui de la Jeunesse et des Sports : ça montre qu’on est enfin considérés comme un mouvement culturel et moins comme des fauteurs de trouble. »
(img) En plein préparatifs
Cette amélioration doit beaucoup à la mise en place d’un groupe de travail interministériel et à la nomination en 2010 d’un « référent national des rassemblements festifs organisés par les jeunes » : Eric Bergeault. Celui-ci est chargé d’accompagner les organisateurs de raves dans leurs démarches auprès des pouvoirs publics, et propose aux autorités des outils pour mieux gérer ce type d’évènements. Contacté par StreetPress, il explique sa démarche :
« La free party a tout d’abord été analysée sous l’angle de la sécurité et de l’ordre public. J’essaie de mettre en avant d’autres lectures possibles : par exemple celles de la pratique culturelle et de l’engagement associatif des jeunes. »
Dans la même optique d’apaisement, en avril dernier le Ministère de l’Intérieur a adressé un rappel à la loi à toutes les gendarmeries et commissariats de police, afin d’éviter les abus constatés. Sans aucun effet, selon Fabrice :
« Le problème, c’est que les préfectures et les municipalités ne suivent pas les circulaires qui leurs sont envoyées. Nos interlocuteurs sont de bonne volonté mais sont incapables de faire appliquer leurs décisions au niveau local. »
Contradiction ? Vous avez dit contradiction ?
Mais qu’adviendra-t-il de la fête libre une fois toutes ses revendications satisfaites ? Les free parties auront-elles la même saveur sans une petite baston avec les keufs au petit jour ?
La culture rave, par définition transgressive et clandestine, se trouve dans une position paradoxale lorsqu’elle cherche à se faire accepter par les autorités et l’opinion publique. Une tension dont les responsables du mouvement sont bien conscients et que Fabrice, 20 ans de free dans les pattes, résume ainsi :
« Le fond du combat, ce n’est pas de légaliser, mais plutôt de remettre les choses un juste niveau de valeurs. Même si on est hors-cadre, ça ne justifie pas qu’on se fasse taper dessus, gazer, charger, confisquer notre matériel… Faire la fête, c’est pas un crime. »
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€ 💪Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER